La défaillance des médias en ligne dans l’affaire Xavier Dupont De Ligonnès
Xavier Dupont De Ligonnès a été arrêté ce vendredi en Ecosse
Alors que leparisien.fr titrait l'arrestation de Xavier Dupont De Ligonnès en assurant l'exclusivité de cette information, la France entière redécouvrait le meurtrier qui, 8 ans plus tôt, était soupçonné du meurtre des cinq membres de sa famille. Les réactions ont été très vives et bon nombre de médias ont repris l'information. La France entière apprenait alors l'arrestation de Xavier Dupont De Ligonnès, alors disparu depuis près de 8 ans. Ce n'est que le lendemain, samedi 12 octobre vers midi, que la nouvelle tombe : il se pourrait que l'homme arrêté la veille ne soit pas la personne recherchée. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Une défaillance interne des rédactions
Que nous prenions l'exemple du Parisien ou bien encore du Figaro et de bon nombre d'autres grands médias, aucun doute n'a été émis après l'arrestation d'un homme supposé coupable. Lors de l'arrestation de Mr Guy Joao, identifié par la police écossaise comme Xavier Dupont De Ligonnès, ceux-ci se sont basés sur ses empreintes digitales, prétendument concordantes avec celles de ce dernier. Suite à cela, les autorités écossaises ont alors procédé à l'arrestation de l'individu. Ce n'est que quelques heures plus tard que le doute émerge dans le corps médiatique. Il semble que les empreintes ne correspondent que très partiellement avec celles de Xavier Dupont De Ligonnès. En effet, ces dernières auraient une concordance de 5 points de convergence sur 12, d'après la police. Cependant, en France, et en se basant sur les écrits d'Edmond Locard, professeur de médecine légale et fondateurs du premier laboratoire de police scientifique au monde, cela n'est pas suffisant. En effet, il faudrait une concordance d'un minimum de 12 points pour établir avec certitude un lien entre deux empreintes digitales. Avec seulement 5 points de convergence ici, nous sommes dans la probabilité bien plus que dans la certitude.
Certains médias en ligne n'ont cependant pas attendu de telles informations avant de titrer l'arrestation de Xavier Dupont De Ligonnès et n'ont fait preuve d'aucune réserve. Le conditionnel n'a que très peu été employé de prime abord comme lefigaro.fr qui titrait ce samedi encore "Après 8 ans de fuite Xavier Dupont de Ligonnès a été arrêté". Ce titre a depuis été modifié avec une formule au conditionnel bien qu'il reste encore les traces de l'ancien titre dans l'URL de la page. Pourtant, l'emploi du conditionnel en journalisme est de mise dès lors qu'une affirmation n'a pas été vérifiée au moment de la publication. Dans une affaire comme celle-ci, la prudence était nécessaire et cette erreur pourrait porter préjudice aux proches des victimes, ou même à la confiance qu'ont les publics envers les médias. Mais pourquoi est-ce arrivé ?
Le journalisme à l'ère du numérique
Nul besoin de jeter la pierre au corps journalistique dans sa globalité en criant aux fake news comme ont pu le faire certains politiques. Cependant, il faut rester critique. Le milieu journalistique est aujourd'hui confronté à bon nombre de problèmes partant des transformations de nos sociétés et de ses rapports à l'information à l'ère du numérique. Nathalie Pignard-Cheynel et Arnaud Mercier, deux enseignants-chercheurs en information et communication, l'exposent très bien dans un article publié dans la revue française en sciences de l’information et de la communication. L'article s'intitulant Mutations du journalisme à l’ère du numérique : un état des travaux met en lumière ces divers problèmes et évolutions.
Aujourd'hui, les Nouvelles technologies de l'Information et de la Communication accélèrent la disponibilité de l'information. On assiste plus particulièrement à un changement dans la façon de faire du journalisme. Certains chercheurs sont plutôt pessimistes comme Ingrid Sturgis, professeur spécialisée dans les médias, ayant publié un livre s'intitulant Are traditional media dead ? Can Journalism Survive in the Digital World ? tandis que d'autres voient simplement la mutation d'une profession et de la nécessité de son adaptation comme Remy Le Champion maître de conférences en Sciences de l'information dans son ouvrage journalisme 2.0.
Comme le détaillent N. Pignard-Cheynel et A. Mercier dans leur article :
La rapidité avec laquelle l'information (ou la rumeur) circule sur les réseaux socionumériques a posé rapidement des problèmes déontologiques amenant les rédactions à produire des chartes du bon usage, pour défendre les intérêts économiques des rédactions et éviter les risques de dérapage.
Dans notre cas, la défaillance se situe dans la vérification de l'information. Certains médias français se sont fourvoyés en publiant comme acquise une information non vérifiée, ou du moins partiellement vérifiée. Ici, le fait divers ayant été très marquant pour les esprits, la recherche de l'exclusivité pour leparisien.fr et, l'effet de copie qu'il a engendré, ont primé sur le recul et la vigilance que nécessiteraient normalement de telles affirmations (et accusations). C'est d'ailleurs ce que Julia Cagé, Marie-Luce Viaud et Nicolas Hervé illustrent dans leur ouvrage L'information à tout prix en montrant qu'une information, une fois publiée dans un média en ligne, met en moyenne trois heures avant d'être reprise dans des médias concurrents. Aucune place n'est alors laissée à la vérification et à la prise de distance avec l'information.
La réactivité de l'information en ligne est à double tranchant. Elle permet une diffusion plus rapide et à plus grande échelle de l'information, induisant parfois une réponse plus rapide à des enjeux cruciaux. Mais dans notre cas, l'affaire relevant d'une discipline judiciaire et scientifique, l'attente d'autres éléments, la prudence et l'emploi du conditionnel auraient été de mise. En justice comme en science, il faut du temps et de la rigueur pour s'approcher au mieux des faits et ainsi affirmer ou infirmer une hypothèse.
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