La défense doit-elle servir à renflouer les caisses de l’Etat ?
La société dans laquelle nous vivons s'est battie sur une abondance des ressources. Alors qu'elles se raréfient, nous décidons de sacrifier la défense pour équilibrer les comptes. Non seulement nous n'aurons pas des comptes équilibrés mais en plus, nous seront probablement privés d'accès aux ressources nécessaires au fonctionnement de notre économie.

Il ne se passe pas une semaine sans que la défense ne figure dans les titres de la presse nationale, alternativement pour ses succès en opération ou pour les convoitises que suscite son budget. Paradoxe que celui-là puisque les médias comme les décideurs politiques ainsi que les français sont unanimes pour reconnaitre l’efficacité d’un appareil de défense qui permet de balayer l’ensemble du spectre des opérations comme aiment à le rappeler les militaires. La France est l’un des deux seul pays au monde à mettre en œuvre un porte-avions à propulsion nucléaire. Un ami allemand m’a confié que pour lui, c’était un peu comme si une équipe de deuxième division se payait le stade de France. Aucune jalousie dans ce qu’il disait, seulement le constat d’un décalage entre les moyens et les dépenses, une simple logique comptable. De fait, la France vit à crédit et lorsqu'un fonctionnaire de Bercy entend parler de puissance militaire, son esprit visualise immédiatement un système de vase communiquant entre cette puissance et la dette de l’état.
De fait, économie et Puissance militaire sont liées. Le Dr Strange, conférencier américain et auteur d’articles sur l’art de la guerre, identifie deux centres de gravité [1] au niveau stratégique : la puissance militaire et la puissance économique. On peut ajouter que l’un et l’autre sont liés par des relations complexes et que l’une des ambitions des nations qui investissent dans la défense est de valoriser leur puissance militaire pour en tirer des retombées économiques (l’inverse est également possible puisque l’URSS a asphyxié son économie en développant à outrance son outil militaire). Les « best-practices » du domaine, celles qui permettent la transmutation du canon en or sans tirer un coup de feu ne sont pas toujours bien connues du public. Pas de « business » possible sans sécurité et l’armée participe à la sécurisation des endroits où s’exercent les intérêts économiques, c’est là sa principale mission. Mais au delà de cette mission dont le coût est bien accepté, le partage avec les entreprises civiles des résultats de la recherche militaire, les exportations de matériel ou de savoir-faire et le soutien à l’industrie nationale profitent à l’économie. D’autres sytèmes, moins connus, assurent également un bon retour sur investissement : la standardisation des équipements dont nous maitrisons la technologie pour créer des coalitions, les accords de défense en échange de contreparties économiques, la protection acceptée et payante d’un territoire... Enfin, d’autres retombées ne sont pas quantifiables bien qu’incontestables. Elles s’inscrivent dans des domaines plus subjectifs. Ainsi, l’exhibition de matériel de pointe servis par du personnel bien formé apporte une publicité sans équivalent pour le pays qui le met en oeuvre. Peu d’équipement ont la capacité de capter l’attention des médias ; le Charles de Gaulle en fait partie et son appareillage pour raison opérationnelle assure un passage du pavillon français sur Al Jazira ou CNN aux heures de grande écoute et permet, le cas échéant, aux dirigeants français de délivrer un message à la terre entière. Quelle autre capacité permet d’obtenir un tel résultat ?
Pourtant, Bercy feint d’ignorer tous ces avantages en inscrivant la défense dans une logique purement comptable, au sens le moins noble du terme, en soustrayant ce que ça coute sans ajouter ce que ça rapporte puisque cela échappe au budget de l’état. Même si les détenteurs de mandats locaux dans la majorité tentent de freiner le phénomène, du moins lorsqu’il concerne leur base électorale, et le plus souvent au détriment de toute rationalité militaire, la tendance globale consiste à exiger des coupes budgétaires toujours plus claires. Les comptables ont pris le pouvoir et leur ambition se borne à réduire les déficits. C’est certainement une bonne chose puisque tout le monde le dit. Pourtant, cette dette traduit davantage les difficultés à intégrer les prix réels dans l’économie et les défauts structuraux de la finance mondiale que les comportements outrageusement dépensiers des états mais cela nous entrainerai bien loin et là n’est pas l’objet de cet article. Toujours est-il que nos hommes politiques devraient plutôt se demander d’où vient la dette et comment modifier le système pour la combattre plutôt que d’asphyxier volontairement à la fois les leviers de la prospérité et de la sécurité des français. Pour tout dire, cette réduction des dépenses militaires augure assez mal de la protection des deux centres de gravités stratégiques sus-évoqués. Dans un élan suicidaire à moyen et long terme, nos brillantes élites semblent confondre dynamisme économique et équilibre comptable. Comment ne comprennent-elles pas que leur rôle consiste à générer un système permettant à la France de déployer tout son potentiel économique plutôt que de la claquemurer dans un système qui réduit toujours davantage son futur ? Il y aurait certainement matière à réfléchir sur la sélection et la formation de nos élites mais là encore n’est pas l’objet de cet article.
Ceci étant posé, la question du temps devient prégnante : combien d’année(s) de prospérité peut-on se payer sur le dos de la défense ? Ceux qui comme moi ont joué à Age of Empire, ou tout autre « war game » doté d’une dimension économique savent que ce type de choix n’est jamais gagnant car il arrive un moment où ceux qui possèdent une armée surpuissante ont besoin de ressources pour poursuivre leur développement et devinez où ils se servent ? Curieux tout de même que la France et l’Europe désarment au moment où les ressources naturelles se raréfient : le pic-oil vient d’être franchi, les matières premières deviennent rares. Je serai curieux de connaitre le plan, à moyen terme. L’Europe, et la France plus particulièrement, a-t-elle décidé de s’exclure ou de perdre tous les conflits qui ne manqueront pas de naitre, localement, pour le partage des ressources ? Il ne s’agira pas forcement de conflits ouverts mais plus probablement d’accords de défense dont nous serons de fait exclus, faute de capacité à pouvoir les honorer. Nous abandonnons, nous nous rendons, nous refusons le combat ? Nous pensons que cela ne vaut pas la peine de nous battre pour l’avenir de nos enfants ? Nous pensons que les autres auront pitié de nous et partageront ? Il suffit de considérer le traitement réservé aux pays du tiers monde pour comprendre ce qui nous attend. Comment expliquer un tel comportement de la part de nos élites : soit elles ne comptent pas rester en Europe, c’est le privilège des classes très riches, soit elles sont stupides (ce que je ne peux imaginer s’agissant de nos brillantes élites), soit ce ne sont pas elles qui décident et elles sont contraintes par d’autre entités, peut-être des « amies », qui déroulent elles même leur plan. Dans tous les cas, il est temps de prévoir un plan B si l’on veut sauver l’Europe de ce suicide collectif… et contrairement à ce que pensent nos comptables, l’outil de défense n’est pas l’arme du suicide mais l’antidote !
[1] Centre de gravité du niveau stratégique : source de pouvoir et de puissance d’une nation. Sa neutralisation permet à l’adversaire d’atteindre ses objectifs.
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