La ‘démocratie’ est-elle enfin possible ?
Deux possibilités d’organisation d’une collectivité sont possibles : l’une repose sur une pyramide hiérarchique, l’autre sur un réseau de type neuronal. Quels sont les avantages et les inconvénients de ces deux structures ?
Dès la nuit des temps, le plus fort imposait sa loi et, comme chefs de famille, de tribu, de clan, de troupe, ils soumettaient leur entourage pour vaincre les autres, les éléments, les peurs environnantes… La coercition était l’arme principal du dominant. Les collectivités devenant de plus en plus grande, l’alliance des dominés auraient pu les aider à briser leurs chaînes : l’adjonction de dieux, d’un Dieu devint indispensable. Le père créateur permit de consolider le pouvoir du chef, devenu chef par sa noble naissance le plus souvent, en mettant (au moins théoriquement) démunis et gens aisés dans le même tissu sacré. Dieu mourut après être devenu révolutionnaire, républicain, socialiste et laissa les leaders fort dépourvus quand la bise fut venue. Un autre sacré devint indispensable pour préserver ce qui était pensé comme le nerf des relations sociales : la mise en place d’une domination quelle qu’en soit la source. L’élection au suffrage universelle donne naissance aux démocraties qui permettent à tous de choisir leur maître et ses subalternes sans changer la structure de décision qui peut être illustrée par un arbre à l’envers, le tronc figurant la tête pensante. Un mécanisme électif est évidemment impensable (le plus souvent) dans les entreprises privées, le chef, quelle que soit la strate, est pensé comme le plus apte que les raisons soient sociales, culturelles ou académiques.
Le fait d’avoir été élu implique-t-il une sacralisation suffisante pour pouvoir prendre des décisions forcément difficiles par définition, les autres allant de soi ?
Les Démocraties dites représentatives connaissent des problèmes qu’elles auront quelque peine à surmonter. Le leader a de plus en plus de mal à imposer une ligne cohérente à la collectivité qu’il préside car les communautés d’intérêt sont devenues puissantes et omniprésentes dans les médias, et chacune d’entre elles réclame (à tort ou à raison) plus de moyens. Le bain dans un même sacré permet de justifier des inégalités matérielles : votre rémunération n’est pas liée à votre utilité sociale. Dans l’ère du seul quantitatif, l’argent-roi, votre salaire équivaut à votre valeur sociale. La sanctification du chef grâce à son élection au suffrage universel n’est pas suffisante pour le mettre hors de portée des gens du commun. Passé l’attrait de la nouveauté, il ne devient dans une grande mesure qu’un parmi d’autres. Ceci met en péril le processus électif de sacralisation. Aux élections législatives de 2017, 51,3% des français s’étaient abstenus au premier tour. Des taux du même ordre étaient relevés aux élections européennes. Seule l’élection du chef de l’État semble indiquer un intérêt significatif des Français (abstention : 22,23% au premier tour). Le sacré de l’État repose donc grandement sur les seules épaules du Président de la République, comme il reposait autrefois sur celles du monarque, du comité de salut public, de l’empereur, avec essentiellement la même structure patriarcale. L’absence de sacré, d’éloignement (ou de hauteur) conduit immanquablement au manque de respect : le moindre faux pas, le plus anodin des faits divers, l’anicroche politique le plus banal affaiblissent l’être suprême devenu trop ordinaire aux yeux de beaucoup et ne satisfaisant pas ou pas assez vite les besoins terrestres de ses ex-fidèles.
Les nouveaux textes sacrés proposés sont ceux décrivant des droits plutôt que des devoirs. Ils se déclinent en une multitude de traités, lois, règlements, décrets qui s’adressent à des collectivités plutôt qu’à des individus auxquels la morale ancienne s’adressait. Maintenir la cohérence d’un ensemble implique l’utilisation de diverses armes : la coercition physique ou mentale, l’habileté voire la rouerie. Mais les peuples sont maintenant trop éduqués et trop abondamment informés pour accepter qu’un des leurs, qu’un de leur semblable, puisse leur faire accepter des sacrifices au nom du bien commun, si tant est que ce soit réellement son but ce qui est plutôt rare. Or c’est justement le rôle premier d’un chef : expliquer et faire accepter les décisions difficiles qui demandent des efforts… à tous et à chacun. Des solutions sont proposées pour approfondir l’aspect démocratique des démocraties tout en conservant l’aspect pyramidal, elles ne peuvent donc pas changer radicalement les choses.
La voie pyramidale implique au niveau mondial une tête constituée des Chefs d’État des 197 pays membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Le mode d’emploi à suivre est fourni par « La Charte des Nations Unies » qui codifie les grands principes des relations internationales, depuis l'égalité souveraine des États jusqu'à l'interdiction d'employer la force dans les relations interétatiques. Chaque chef d’État est élu au sein de Démocraties dans lesquelles toutes les opinions conformes au droit sont possibles. Les citoyens-électeurs font part de leurs préférences lors des élections ou, si la situation s’envenime, lors de manifestations voire d’émeutes.
Une décision doit avoir un aspect binaire, 0 ou 1, oui ou non, pour pouvoir conduire une collectivité dans une direction donnée, sinon, l’omniprésent bruit de fond empêche tout mouvement cohérent. C’est la raison d’être des pyramides hiérarchiques mais d’autres voies peuvent être empruntées pour obtenir le même résultat.
Chaque individu reçoit actuellement éducation et informations, il les traite d’une façon intelligente et adopte en conséquence une opinion qu’il échange avec autrui. Un ordre est apporté en transformant les citoyens en militants, les artisans en employés, les auditeurs en cobayes de communicants. L’intelligence est au cœur de chaque individu isolé mais est absente des relations entre individus : des maîtres guident des élèves, des professionnels éduquent des apprentis, des sages servent de modèles à des ouailles… Peut-on faire autrement ?
Les réseaux de neurones ne mettent pas en œuvre une logique déductive dans laquelle on tire des connaissances à partir de savoirs déjà bien établis en possession de savants (ceux qui savent). Les réseaux de neurones fonctionnent par apprentissage : on assimile dans un premier temps une série d’exemples concrets sans a priori théorique, souvent en très grands nombres. On peut ensuite, grâce aux exemples fournis précédemment, traiter des cas nouveaux non encore rencontrés. Les réseaux de neurones sont capables de fonctionner même en mis en présence d'informations partielles ou brouillées. Il est également possible de partir d'algorithmes peu performants et ensuite d’améliorer leurs performances grâce à l'expérience plutôt qu’en les guidant pas à pas. Dans une telle structure la notion même de vérité issue du rationnel disparaît pour laisser empiriquement place au plus probable, au plus utile voire au plus aimé. Le savant détenteur de savoirs historiques, sociaux, politiques… n’a plus qu’une contribution au milieu d’une multitude d’autres. La notion de chef n’a plus de sens car le système fonctionne sans eux. Les valeurs portées par l’Égalité, la Liberté, la Fraternité sombrent également dans la mer des certitudes expérimentales confrontées à de nouveaux réels.
Un circuit intégré d’ordinateur peut contenir une dizaine de milliards de transistors, valeur tout à fait comparable aux 100 milliards de neurones que comporte un cerveau. Il y a enfin de l’ordre de 3,5 milliards d’adultes productifs dans le monde susceptibles d’utiliser un ordinateur : comment faire fonctionner un réseau ?
Un individu donné peut servir comme élément de base d’un réseau de type neuronal sous certaines conditions. La connectique via Internet permet la mise en relation de tous avec chacun mais il faut y introduire quelques caractéristiques pour ne pas engendrer d’immenses vagues inintelligentes basées sur des émois, des affects non maîtrisés, des réactions plutôt que des actions.
Les réseaux neuronaux sont constitués d’éléments possédant des entrées en provenance d’autres neurones et d’une sortie qui dépend des valeurs d’entrée d’une façon non-linéaire : un signal de sortie est émis sous forme binaire, 0 ou 1, oui ou non, à condition que la somme des valeurs d’entrée soit supérieure à un seuil. La non-linéarité du traitement élémentaire du signal est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour obtenir un réseau intelligent. Les valeurs d’entrée sont affectées d’un coefficient (le poids synaptique) qui sont ajustées lors de la phase d’apprentissage du réseau. Si un individu membre d’un réseau se conforme à ces règles, le réseau qui en résulte peut être intelligent. Il ne doit pas réagir aux informations mais les examiner rationnellement et ne transmettre que ce qui est en accord avec son propre libre arbitre (sans aucune limitation de celui-ci). Soumis à une excitation du même type, il doit moduler ses entrées d’information pour tenter de tenir compte de leur pertinence cette fois encore selon des critères qui ne tiennent qu’à lui. Ses sources d’information servant d’entrées doivent être le plus large possible sans élimination de certaines d’entre elles a priori. Il faut se garder de tout réseau militant qui, s’il donne peut-être un sentiment de puissance, est antinomique d’un réseau neuronal efficient car obscurément dépendant de trafiquants de vérités biaisées.
L’intelligence artificielle peut paradoxalement redonner, voire pour la première fois, donner une chance à la démocratie d’exister. Dans celle-ci le peuple a le pouvoir sans intermédiaires, les voix même les plus humbles comptent autant que celles d’une minorité agissante pour aller vers le bien commun. Et une le pouvoir du peuple par le peuple, une démocratie, pourrait enfin émerger. Les sondages effectués par des instituts spécialisés sont un premier pas dans cette direction.
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