La démocratie noyée sous la polémique
Nul ne peut dire quand cela a commencé, car des polémiques, il y en eut à toutes les époques. Mais force est de constater une inflation notable du nombre de polémiques disputées dans les médias. La vague est arrivée progressivement si bien que nous nous sommes accoutumés à ce phénomène de société qui pourtant, n’a rien d’obligatoire. Rien ne dit que ces polémiques soient nécessaires, ni utiles. Mais elles sont nombreuses et parfois violentes dans les formes prises par la discussion. Pourquoi tant de polémiques.

D’après les racines étymologiques grecques, la polémique aurait un rapport avec la guerre mais ce sens a été abandonné depuis des lustres. La polémique est tout simplement une discussion publique conduite par des parties dont l’opinion diverge. Il faut qu’il y ait désaccord pour engendrer une dispute, une controverse ou polémique. Le mot dispute est tombé en désuétude depuis la fin du Moyen Age. La controverse est un débat contradictoire, qui peut se tenir dans un cercle fermé de savants, de théologiens, de philosophes, d’experts. En fait, c’est l’occupation de l’espace publique qui fait qu’un débat contradictoire sera désigné comme polémique.
Pourquoi tant de polémiques sur la place publique ? Prenons le journal de la mi-journée sur Canal plus ; une partie est consacrée aux trois polémiques du jour, avec comme maître de cérémonie le rédacteur en chef du journal Marianne, que l’on sait être féru de polémiques, comme du reste son directeur JF Kahn, orateur au verbe bien trempé et à la redoutable expérience de polémiste sur les plateaux télé ; et du reste candidat du Modem au européenne, dans un parti dont le chef François Bayrou a besoin de polémiques pour exister politiquement et saute sur tout sujet se prêtant à l’expression de son désaccord. On ne se plaindra pas de l’excès de polémique, car c’est tout de même mieux qu’en Chine. Là-bas, mieux vaut ne pas être en désaccord avec le régime et le faire savoir publiquement. En France, patrie de Voltaire, c’est l’inverse. Il est de bon ton d’être polémiste. Et d’ailleurs, les médias disposent de préposés à l’organisation de polémiques. Ce sont par exemple Laurent Ruquier, qui a délégué la provocation à deux polémistes bien trempés qui eux-mêmes, font l’objet de polémique. Car le destin de la polémique est d’arriver à ce qu’on polémique sur son usage. Il existe une politique politicienne comme il existe une polémique « polémicienne ». C’est magique, comme la multiplication des pains. Premier temps, on polémique sur un sujet. Deuxième temps, fallait-il vraiment polémiquer ?
Quelques esprits férus de technologies médiatiques verraient dans la pratique de l’Internet la cause d’une augmentation des polémiques. Ce n’est pas faux mais le désir de polémique semble être ancré plus profondément dans la nature sociale de l’homme. Alors qu’Internet était embryonnaire, déjà, des plateaux télés étaient offerts à la polémique, avec des émissions accueillant des gens comme tout le monde, venus exprimer leur opinion sur un sujet de société. On se souvient de l’émission animée par André Bercoff, supprimée parce qu’on y causait trop librement sur des sujets parfois libertins. Plus sérieux ont été les thèmes déclinés dans ça se discute, émission crée par Jean-Claude Delarue, avec à l’origine deux séances, un soir les « pour » et le lendemain les « contre ». Parfois, les gens se livraient sur des sujets de société importants et d’autres fois, des futilités. Comme ce fut le cas dans l’émission c’est mon choix. Mais là, l’esprit de polémique avait disparu et si désaccord il y avait, ce n’était pas le but de l’émission, consacrée à des témoignages plutôt qu’à des débats contradictoires.
Ce qu’on peut reprocher à la polémique, c’est de tout niveler, de faire co-exister des débats de fond avec des disputes sur des futilités. Et ces temps-ci, dieu sait si on discute de choses sans grand intérêt, à se demander si cet excès de prises de paroles et d’opinion sur tout ne servait pas à combler un manque de démocratie et le sentiment d’impuissance face à une réalité qu’on ne veut plus subir. Alors, tout est prétexte à polémique, pour marquer sa désapprobation, son mécontentement, sa colère. La Rolex de Sarko, le bon mot de Séguéla, la bague de Rachida, le faux SMS de Sarko, l’enfant de Rachida, les bottes Dior de Rachida… On discute beaucoup sur des sujets de peu d’importance, qui ne changeront pas la vie. Si les talons de Rachida étaient plus courts, cela n’aurait pas plus d’incidence que le fameux nez de Cléopâtre. A l’inverse, on discute peu sur des sujets d’importance. Mais ça arrive de temps à autre, chez Taddéi ou dans un coin d’Arte.
Ellul avait jugé la propagande comme un élément fondamental de la démocratie, incontournable, même si la propagande ne contribue pas à améliorer la société. C’est en quelque sorte un besoin fondamental de l’homme psychique dans la société, un besoin d’avoir des points de repère, même si parfois, cela se retourne en trompe-l’œil. La propagande participe au besoin de représentation de l’individu socialisé ; elle se présente comme une diffusion de masse d’opinions, de points de vue. Par voie de conséquence, la polémique n’est que la réactivité face à la propagande. Une manière de réguler l’opinion, de rééquilibrer les pouvoirs médiatiques et publicitaires. Une manière aussi de conjurer l’impuissance de la pensée et de permettre au citoyen de se dire, « moi, on ne me la fait pas ! ». Alors on fonce dans la polémique, on se précipite sur l’écran, et maintenant, on peut même y participer à travers les blogs et le journalisme participatif. Le seul problème, c’est la priorité, la hiérarchisation des sujets débattus. Et là, la démocratie plie mais ne rompt pas. Elle plie sous la vague des polémiques sans intérêts qui occupent le temps de cerveau. Pascal y verrait un divertissement tout aussi nécessaire qu’un autre pour tromper les inquiétudes. Et dieu sait si notre pays est inquiet, alors les polémiques fusent ces derniers temps. Dernière remarque, la polémique ne nécessite pas une connaissance poussée d’un sujet. Nul besoin d’un savoir économique pour commenter le voyage du Président au Mexique, mais simplement une notion vague de ce qui est bien et mal. Car souvent, les polémiques ont un ancrage dans la morale. Par contre, les débats sur le plan de relance et la situation économique nécessitent des connaissances et même bien instruit, le citoyen n’est pas certain de pouvoir disposer d’un bon point de vue puisque les experts eux-mêmes sont dans l’incertitude.
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