La démocratie serait-elle devenue une impasse ?
Certains le pensent, même à voix haute désormais.
Le Brexit nous l'a révélé comme nous l'avaient révélé Français et Hollandais votant contre l'adoption de la constitution européenne en 2005, les peuples parfois s'égarent et se dressent contre ce qui est considéré par ceux qui nécessairement savent le sens de l'histoire.
Quel paradoxe ! Ceux qui savent ont dû penser à une certaine époque que la démocratie allait dans le sens de l'histoire, et nous en sommes convaincus par leur rejet de ces régimes qu'ils n'estiment pas très démocrates, sauf quand il s'agit de leurs amis qataris ou saoudiens, mais là c'est le respect des cultures qui domine sans doute. Et les voilà désormais confrontés à ce que nous nommerons l'impasse démocratique. L'impasse démocratique c'est quand les peuples votent mal, vont contre le sens de l'histoire. Il y a vraiment de quoi être en rogne, non ?
Par chance, dans certains cas, et jusque-là ça fonctionnait assez bien, il existait des parades à ces votes farfelus qui perturbaient cette heureuse marche en avant dont on nous a tellement conté son caractère aussi inexorable que bienfaisant. On pourra noter en passage cette contradiction qui existe dans l'esprit entre marche inexorable suggérant que les dés sont jetés définitivement et la démocratie qui laisse supposer que les peuples peuvent maiser leur destin. Par ailleurs il ne semble pas que tout le monde ait perçu que le chemin suivi soit parsemé de pétales de roses. Si c'est une réalité pour certains, lesquels se retrouvent au moins pour partie chez ceux qui savent, c'est moins évident, et c'est un euphémisme, chez beaucoup d'autres.
Mais après tout, jusqu'ici, cela n'avait guère d'importance. On pouvait faire revoter, une fois, deux fois,…, les récalcitrants enfin ceux qui n'avaient pas compris où se situaient leurs intérêts. Danois à propos de Maastricht et Irlandais dans plusieurs occasions s'en souviendront. On pouvait contourner les choses, comme le fit Sarkozy, appuyé par sa majorité et le parti socialiste, et passer outre le référendum en utilisant la voie parlementaire. Dans le cas du brexit, par contre, les choses se présentent assez mal pour contourner les résultats d'un référendum qui a "mal tourné" quoique des tentatives existent, dont l'une juridique menée par un cabinet d'avocats taisant scrupuleusement le nom de ses clients pour que le vote n'ait rien de contraignant et que le Parlement reprenne la main.
Il faut donc réagir. Car les risques de contagion existent, tant l'euroscepticisme, rebaptisé populisme, ce mot vulgaire suggérant que l'avis des peuples doit rester subordonné à ses intérêts que seuls connaissent ceux qui n'en font plus partie, gagne du terrain.
Tout d'abord il faut empêcher que se déroulent de futurs référendums sur ces questions importantes auxquelles le peuple ne connait rien. C'est bien connu que le référendum pose une question mais que le peuple répond à une autre. Ou alors qu'il n'a pas compris la question. Ou encore qu'il ne dispose pas des éléments susceptibles de lui faire apporter une réponse éclairée. La démocratie directe, c'est du surfait. Regardez où cela a pu mener parfois les Suisses se privant d'éléments architecturaux magnifiques sous prétexte que ceux-là ne se marieraient pas très bien avec leurs paysages. Les peuples finalement ils nous emmerdent. Laissons-leur un simulacre de démocratie avec quelques élections dans lesquels des systèmes d'alliance leur permettront de dégager soit une majorité soit libéralo-sociale, soit sociale-libérale. L'alliance circonstancielle des deux tendances peut permettre de vaincre des populistes de gauche ou de droite nécessairement divisés. Cela dit le caractère encore improbable il y a peu de cette alliance de circonstance face aux populismes, ainsi définis, est quelque chose d'assez récent et somme toute gênant. Pas tant à cause d'idées qui sur l'essentiel se rejoignent mais parce que il faut désormais se résoudre à partager un gâteau appétissant sous la menace de la pression d'électeurs qui votent de plus en plus mal. On a pourtant tout fait pour culpabiliser ces derniers, les assimilant à d'affreux souverainistes, donc racistes, antisémites, xénophobes, nationalistes, bas-du-front, etc., etc., sans que pour autant soit enrayée la progression des dits populistes. Le vote FN en France est évidemment le symbole de cette progression et de cette fâcheuse tendance du peuple à s'écarter du progrès qu'on a voulu lui imposer pour son bien. Et effectivement c'est inquiétant, car le programme du FN ne présente pas un modèle alternatif qui puisse faire rêver. Mais le programme à ce stade n'a plus guère d'importance dès lors qu'on aborde, qu'on ose aborder, les sujets sur lesquels glissent les autres tandis que ces sujets sont capitaux pour le peuple. On a toujours davantage confiance en un médecin qui reconnait des symptômes dont on souffre, même si son diagnostic et ses remèdes sont aberrants, qu'en un médecin qui malgré votre mal au ventre chronique vous assure que vous êtes en parfaite santé. C'est toute la clé du succès du FN en France et d'autres mouvements politiques parfois d'autres bords dans d'autres pays occidentaux. Car le mal semble être occidental, même si l'Europe semble être davantage touchée. Ce qui fait que la démocratie dans nos pays se résume de plus en plus à choisir entre ce qu'on estime un pire et un moins pire, entre Clinton et Trump aux Etats-Unis, entre Marine Le Pen et Sarkozy/Hollande/Juppé chez nous. Ce qui signifie en clair que le système a évolué de telle façon que la démocratie est amputée de ce qui est sa raison d'être, c'est-à-dire du choix d'un destin commun, qui devrait se définir par autre chose que par le rejet d'une option du pire tel qu'on le conçoit. Voilà ce qui arrive après des décennies de propagande mensongère en faveur d'un modèle qui a forcément déçu tandis que dans le même temps le vrai pouvoir était transféré ailleurs, de façon visible vers des experts eux-mêmes destinés à masquer les vrais détenteurs du pouvoir. La façon dont furent et dont sont menées les négociations du TAFTA devraient finir de convaincre les plus sceptiques, qui finira par advenir sous une forme ou une autre, en changeant de nom, en insistant sur des points secondaires présentés comme des avancées majeures pour les intérêts des peuples concernés tandis que celles-ci seront réduites à néant par l'essentiel qu'on découvrira avec horreur au fil du temps sans possibilité de retour en arrière. Un peu comme la construction européenne… avant le brexit.
Et donc retour au danger tel que perçu par nos élites. Le danger étant en l'occurrence un possible retour du peuple dans le jeu et qui menacerait donc un système dont un des piliers de la stabilité était un simulacre bien huilé de la démocratie.
Les réactions sont à la mesure des enjeux, violentes.
Il y a ceux qui menacent, qui se veulent intransigeants, qui souhaitent que des nuages de sauterelles s'abattent sur le Royaume-Uni, pas tant finalement pour le punir, quoique…, que pour dissuader d'autres pays d'envisager de suivre la même voie. Ainsi Thierry Pech, grand mamamouchi de Terra Nova, ce phare de la pensée libertaro-liberale française, ennemi des peuples constitués et des Etats-nations, déclarait très récemment lors d'une émission sur France Culture qu'il fallait que les pays européens se montrent intransigeants avec les Britanniques à l'occasion des pourparlers de sortie et que, ce point devant être la conséquence du premier, qu'il fallait que les choses se passent mal pour eux. Il fallait, pour résumer, punir ceux qui avaient mal voté pour que d'autres n'aient plus l'idée de faire la même chose.
Et puis il y a ceux, sans que pour autant ils se distinguent des précédents, qui, partant de l'analyse structurelle du vote, souhaitent que soit révisé le mode d'expression du vote démocratique. Puisque les "vieux" ont voté davantage pour le brexit que les "jeunes" il ne serait pas illogique de pondérer les votes en fonction des tranches d'âge. C'est une thèse qui a été par exemple suggérée par Fillon. Une conseillère d'Etat suisse, Jacqueline Fehr, sans doute amère devant certains résultats des votations de ces concitoyens et après analyse du scrutin référendaire britannique a même théorisé la chose : un coefficient 2 pour la tranche des 18-40 ans, un coefficient 1,5 pour les 40-65, et un coefficient 1 pour les plus de 65 ans. Loin est donc l'époque où l'avancée en âge signifiait davantage de sagesse. Désormais c'est clair, plus on vieillit plus on devient con. Sauf les politiques établis évidemment.
Ceux qui estiment, Macron par exemple, que le vote pour le brexit est majoritairement le fait de gens peu cultivés, c'est un euphémisme dans sa bouche, pourraient suggérer, pourquoi pas, de pondérer les voix selon le QI ou le niveau d'instruction des votants. Après tout, tout devient possible dès lors qu'il s'agit de délégitimer un résultat électoral qui déplait.
Cela dit ce n'est pas très cohérent. Car par exemple dans le cas des présidentielles autrichiennes, ce sont les votes par correspondance, donc essentiellement des expatriés et des vieux ne pouvant guère se déplacer qui ont fait la différence et permis de vaincre le vilain candidat du FPÖ. Le très notable accroissement des votes par correspondance du second tour montre d'ailleurs que les vieux ont dû sacrément se mobiliser pour empêcher le pire. Leur aurait-on donné un coefficient 2 que la victoire du candidat écolo en aurait été davantage éclatante. Ah, mais j'oubliais, ce vote a été invalidé récemment pour irrégularités. Ceci est sans doute scandaleux car la démocratie, la contemporaine, devrait quand même s'attacher davantage au résultat qu'aux procédures. Et là le résultat était forcément bon.
Voilà où nous en sommes en cette période trouble où les peuples, contre leurs intérêts évidemment, semblent vouloir reprendre leurs destins en main par le biais de la démocratie. Certes, parfois, on peut s'effarer de ce que cela donne compte-tenu de la nature des alternatives qui se proposent à eux et vers lesquelles ils se sentent poussés sans que pour autant on puisse véritablement parler d'adhésion. Mais ce qui est plus grave, c'est, à mon sens, d'une part qu'on leur réfute ou tente de leur réfuter ce droit d'être en rupture avec la voie qu'on leur propose ou impose depuis des décennies, et d'autre part que plutôt que de tenter de répondre à leurs attentes ou à leurs craintes, on en arrive à l'idée de truander les procédures garantissant l'exercice de la démocratie. Ça ressemble vraiment à de l'affolement mais aussi à un mépris profond avec ceux qui devraient être et rester les vrais détenteurs du pouvoir.
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