La dénonciation, c’est bon pour les nazis
Encourager la dénonciation, dénoncer autrui, cela rappelle « les heures les plus sombres de l'histoire ». Qui n'a pas entendu ces mots dans la bouche de quelque soi-disant intellectuel ? Qui ne s'est pas vu ainsi sermonner ?
Dénoncer quelqu'un, c'est commettre un acte extrêmement grave, une faute morale. D'ailleurs, je ne devrais pas parler de dénonciation mais de délation (qui n'est rien moins qu'une dénonciation méprisable et honteuse). Encourager la dénonciation, dénoncer autrui, cela rappelle « les heures les plus sombres de l'histoire ». Trahir autrui, un concitoyen, un être humain comme soi-même, le livrer aux mains des autorités... Voilà qui est détestable, petit, bas, mesquin. Criminel.
Qui n'a pas entendu ces mots dans la bouche de quelque soi-disant intellectuel ? Qui ne s'est pas vu ainsi sermonner ? Qui n'a pas été renvoyé aux « heures sombres de l'histoire » ? A les entendre, dénoncer, c'est toujours dénoncer un Juif menacé de mort, c'est toujours envoyer un innocent au bagne. Sur la question — oh quel étonnement — les voix qui se font entendre sont de tous bords (de l'est marin à l'ouest pourpre) et ces voix sont — oh quel étonnement — à l'unison.
Et c'est bien cela qui me fait réagir. Tous nous imposent de nous taire face au délit. La bonne position officielle, la position morale de base, celle qui nous est imposée serait la suivante : nous taire, pour ne surtout jamais collaborer avec les autorités, avec la force. Je vais et je veux choquer, si c'est ainsi. Car, je dis que non, dénoncer, ce n'est pas dénoncer un Juif menacé de mort.
J'ai entendu ces jours-ci, qu'il y avait un danger (oui, un « danger ») à avoir, en France, une presse qui se met à dénoncer les comportements jugés déviants. Certains jugent que nous n'avons pas besoin d'une « police de la morale », qui ferait tomber tel ou tel ministre, maire ou autre, pour quelque incartade dans des zones ténébreuses...
Cela est tout bonnement révoltant. Oui, les citoyens exigence une transparence, une honnêteté totale. Et non ce n'est pas un truc de nazi, ou de bouseux à mentalité provinciale. Oui, nous voulons du propre, nous voulons que les comptes soient bien tenus. Oui, nous en avons marre que tous profitent des failles du système, de tous côté. Sans que nous ne puissions réagir. Nous devons, et nous pouvons réagir. En luttant contre la perversion morale de la classe politique, et de tout un chacun d'ailleurs, et en soutenant une presse qui dénonce les abus.
Car nous ne vivons plus sous le joug d'un gouvernement totalitaire, collaborationniste. Nous vivons dans une république, bananière certes (et là est bien le problème), mais régie, dans le fond, par certains textes et organes nous assurent que la démocratie prévaut. En d'autres termes, tout ce que l'on peut dénoncer en 2013, ce sont des actes ou des faits illégaux (et, il est vrai, l'illégal rejoint souvent l'immoral). Je sais que la déviance morale est un concept tout relatif ; mais il ne s'agit pas là de dénoncer un mari volage, ou le recours à l'avortement. Nous parlons du respect de la loi, dont les infractions nous portent préjudice, à nous tous, citoyens contribuables.
De plus, je répondrais qu'une éventuelle dénonciation de délit ne déboucherait pas sur une mise en branle d'une police discrétionnaire et brutale au service d'un régime arbitraire, mais sur la mise en mouvement de la justice française, contrôlée par les institutions judiciaires européennes au besoin. On peut critiquer la justice française, et l'on peut critiquer la justice européenne, mais certainement pas pour leur dureté, ou pour condamner des innocents à tour de bras.
En fait, n'en déplaise aux journalistes bien pensants, dénoncer est une obligation légale (art. 434-1 du Code Pénal). Quiconque a connaissance d'un délit ou d'un crime sans le rapporter aux autorités judiciaires est lui-même passible d'une condamnation. Que nous parle-t-on de la présomption d'innocence ? Il s'agit d'alerter la justice, qui doit ensuite enquêter, et condamner, ou non.
Il est donc criminel, au sens moral au moins, que les trois-quarts de la presse française aient eu connaissance de faits (on nous dit aujourd'hui que depuis vingt ans toutes les rédactions de Paris savaient que Cahuzac avait un pactole caché) sans en référer à la justice. L'affaire Cahuzac est une occasion supplémentaire de constater que la presse ne nous informe que de ce qu'elle veut bien.
Gardons bien à l'esprit que police et justice ne peuvent pas, spontanément, s'enquérir de chaque déviance à la loi. Nous subissons constamment des préjudices moraux et financiers. Lorsqu'un homme politique pique dans la caisse. Lorsque votre voisin est aux Baléares alors qu'il est en congé maladie, lorsque votre voisine fait crotter son caniche sur le trottoir en bas de votre immeuble, lorsque Cahuzac ne paie pas ses impôts, lorsqu'un artisan se fait payer au black, c'est vous qui payez, sous forme d'impôt ou sous forme d'énervement (un 4x4 BMW est garé sur le passage piéton) et de frustration (un type passe devant vous dans la file d'attente à la sécu), c'est vous qui payez, et c'est vous qui êtes puni.
Alors exigeons de la transparence, des révélations, de la justice. Que la presse dénonce puisqu'elle en a les moyens, et vous-mêmes dénoncez, et ne vous en laissez pas conter : personne ne mourra dans les camps, cette fois-ci. Ceux qui ne sont pas capables de faire la différence entre dénoncer un innocent et dénoncer un salaud, ceux-là sont à plaindre, car c'est la différence (toutes proportions gardées) entre dénoncer un Juif et dénoncer son bourreau.
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