Il est vrai que les dissentiments idéologiques que fait oublier la période fusionnelle d’un amour passionné, ressurgissent quand s’apaise la flamme amoureuse, et peuvent précipiter une rupture. L’amour ne change pas les êtres. Tout au plus les incite-t-il aux concessions le temps de l’embrasement. Mais quand il n’en reste que les braises, les préférences idéologiques refont surface, se raidissent et s’affrontent.
Des tendances idéologiques évolutives
L’idée de procéder à un tri idéologique préalable dans ses relations pourrait donc apparaître judicieuse, si toutefois un être restait toute sa vie obligatoirement rivé à la famille politique de sa jeunesse.
Or, est-ce toujours le cas ? On connaît nombre de gens de Gauche qui ont fini à Droite et même à l’Extrême-Droite comme le sinistre Pierre Laval. C’est même une tendance assez répandue si l’on songe à la dérive par exemple du Parti Radical tirant précisément son nom d’une volonté originelle dans les années 1880 d’appliquer « radicalement » son programme républicain contrairement aux Républicains dits « Opportunistes » qui préféraient alors le faire graduellement et transiger avec la Droite monarchiste. Mais une fois ses grandes réformes mises en œuvre (la loi de 1901 sur les Associations, la loi de séparation de l’Église et de l’État), les Radicaux ont fini, face aux Communistes et aux Socialistes, par rejoindre les familles de Droite dont ils partageaient les convictions économiques, à l’exception des Radicaux dits de Gauche. D’ardents révolutionnaires de Mai 68 ont connu la même aventure en un temps plus court, sans même avoir eu à appliquer leur programme, mais seulement en retournant prestement leur veste.
Inversement, cependant, des gens de Droite finissent parfois à Gauche. Mais ils sont moins nombreux : « le mouvement » qui caractérise la Gauche est, en effet, le propre de la jeunesse et « la conservation » qui est le souci de la Droite, celui de la vieillesse. C’est pourtant le chemin de la conservation vers le mouvement qu’a suivi Victor Hugo et dans une moindre mesure François Mitterrand dont on a dit qu’il était le seul homme de Droite à pouvoir être élu par la Gauche.
Des stéréotypes
Il est, cependant, amusant d’observer dans la publicité de ce site de rencontres l’idée qu’il se fait d’un couple de Gauche et d’un couple de Droite. Deux images sont censées les représenter. Elles donnent tête baissée forcément dans certains stéréotypes.
- Le choix des couleurs respecte ainsi l’affectation traditionnelle de leur charge culturelle : le bleu de l’arrière-plan appartient depuis toujours à la mouvance conservatrice depuis la monarchie et le rouge à celle de la révolution ou du changement graduel socialisant.
- Les deux familles se distinguent aussi par la place réservée au drapeau national français. S’il est déployé en arrière plan sur les deux images, le couple de Gauche tend à le masquer à la différence de celui de Droite qui le met bien en évidence : sans doute faut-il y voir, par métonymie, l’opposition du nationalisme de Droite et de l’internationalisme de Gauche. Mais est-ce bien ainsi que les familles politiques ont manifesté leur attachement aux valeurs patriotiques dans la dernière grande crise qui a déchiré la société française entre 1940 et 1945 ? N’a-t-on pas vu au contraire nombre de gens de Droite et de Gauche pactiser avec l’ennemi dans la Collaboration et des gens de Gauche et de Droite se retrouver ensemble contre l’ennemi pour élaborer le « Programme du Conseil national de la Résistance » ? On garde pour toujours en mémoire le poème d’Aragon « La Rose et le réséda » qui célèbre l’union de « celui qui croyait au ciel » et de « celui qui n’y croyait pas » en ce temps où « les blés (étaient) sous la grêle » et où il eût été « fou (de faire ) le délicat ». Le gouvernement provisoire du Général de Gaulle à Alger réunissait des personnes de Droite comme de Gauche, mais c’est vrai que la Droite avait majoritairement rallié le Maréchal Pétain.
Un leurre d’appel sexuel paradoxal
- Plus étonnantes encore paraissent les allures imposées aux deux couples de Droite et de Gauche. Ils s’opposent d’abord dans un contraste de postures même si elles sont très proches. Ils font face, en effet, tous deux au lecteur et le fixent des yeux dans un simulacre de relation interpersonnelle selon le leurre de l’image mise en abyme, comme pour le racoler. Mais le garçon de Gauche, en retrait, à la différence de celui de Droite, a un rictus aux lèvres qui le fait cligner de l’œil : est-ce que l’effet de cette métonymie est celui de la timidité ou celui de la sournoiserie, alors que le garçon de Droite respire l’assurance et la franchise ?
Les deux couples se distinguent surtout par leurs vêtements au point même de susciter un paradoxe. On peut admettre la distribution qui en est faite : le couple de Gauche affectionne la sobriété et l’économie du modeste T-shirt blanc tandis que celui de Droite préfère chemisier bleu de marque pour elle et, pour lui, chemise blanche, col ouvert sans cravate, qui signalent une recherche de distinction dans le souci de l’apparence. La coiffure, d’ailleurs, le confirme : à Droite, on la soigne, la discipline chez le garçon, la teint en blond et lui donne un élan de fantaisie chez la fille ; à Gauche au contraire, les cheveux paraissent laissés nature, longs et bruns chez la fille, en désordre chez le garçon avec une drôle de touffe de poils sous la lèvre inférieure, comme un zeste de cet esprit rebelle symbolisé traditionnellement par le poil laissé en liberté.
On ne s’attend pas, en revanche, à ce que le leurre d’appel sexuel soit joué par la fille de Droite : le chemisier largement échancré, voire déboutonné, exhibant fièrement la naissance d’un sein ferme qui repousse vigoureusement l’étoffe, on la voit, par intericonicité, prendre la pose de la courtisane qui se plante devant le passant, main sur la hanche. En regard, malgré un regard oblique souriant, la fille de Gauche fait figure de première communiante : elle dissimule sagement sous son T-shirt les courbes discrètes de sa poitrine.
Le leurre d’appel sexuel serait-il donc l’apanage de la Droite et la pruderie, celui de la Gauche ? N’est-ce pas le contraire que ces idéologies ont longtemps offert en spectacle ? La femme-mère au foyer discrète n’est-elle pas l’idéal féminin traditionnel de la Droite tandis que la femme émancipée, « la pétroleuse » qui secoue les préjugés sexuels, la féministe, celui de la Gauche ? Ou faut-il admettre que les rôles se seraient inversés : la « desesperate housewife » des séries télévisées américaines flamberait-elle désormais de tous ses feux tandis que la féministe de gauche, répugnant à jouer la « femme objet », s’habillerait, elle, tristement ?
Tout compte fait, cependant, à s’en tenir aux apparences, si on écarte les stéréotypes, la différence entre couple de Droite et couple de Gauche paraît se réduire à peu de chose selon ce site de rencontres. Ces quatre jeunes gens partagent manifestement des conceptions de vie voisines à quelques détails vestimentaires près dont le coût évidemment diffère. Mais on peut, il est vrai, être pauvre et de Droite, riche et de Gauche. Le plus étonnant est tout de même la métamorphose de la fille de Droite en leurre d’appel sexuel tandis que la fille de Gauche affiche au contraire une réserve inattendue. On ne peut nier que, par rapport aux siècles passés, se soit développée une relative homogénéisation dans les manières d’être, qu’on soit de Gauche ou de Droite, du moins au sein de la classe moyenne. Est-ce à dire qu’en fait chaque être soit lui-même partagé entre la Gauche et la Droite, le mouvement et la conservation, selon les problèmes à résoudre et les choix à effectuer ? Ainsi, par temps de Coupe du Monde de football, est-ce pour un smicard une attitude de Gauche ou de Droite d’applaudir des milliardaires qui courent après un ballon et parfois trichent ?