La Droite, une vocation naturelle à gouverner les sociétés

Il n’aura échappé à personne que la droite a gagné les élections en Allemagne Une victoire modeste mais nette. La France et l’Italie sont gouvernées par la droite et les Travaillistes britanniques sont sur un siège éjectable. Les professeurs de sciences politiques tentent de tracer un diagnostic sur la faiblesse actuelle des formations sociales démocrates, qui ne parviennent plus à séduire l’électorat. Il paraîtrait que la social-démocratie a épuisé son processus historique, l’Etat providence étant constitué et achevé. En raisonnant correctement, on devrait conclure que si la droite est au pouvoir, c’est qu’elle porte un processus historique. Mais les droites européennes n’ont-elles pas aussi participé à la constitution de l’Etat providence ? Par exemple en France pendant les Trente glorieuses ou en Italie avec les Chrétiens-démocrates. Si on devait assigner un rôle historique à la droite, il faudrait trouver des droites qui ont été le ressort de transformations importantes. En ce sens, les Républicains sous Reagan ou les Tories sous Thatcher, ont accompli un processus historique dont on peut penser qu’il a consisté en un détricotage de l’Etat providence au profit de l’entreprise économique privée. C’était dans les années 1980. Et maintenant ? Vu qu’il n’y a plus grand-chose à détricoter et que la crise financière est arrivée, nous pourrions penser que la droite elle aussi a épuisé sa quantité de progression. Mais alors, pourquoi c’est la droite et non pas la gauche qui gouverne ? En admettant que l’histoire soit achevée, la politique se fait gestion de l’état accompli des choses, faisant fructifier et développant ce qui est possible de faire. Les citoyens préfèrent alors mettre aux commandes de la gestion des pays des formations de droite plutôt que des partis de gauche. Oui, mais pourquoi ?
Il y a bien une explication, assez simple mais sans doute si choquante que la plupart des bonnes consciences la censurent. Il fut un temps où les divisions gauche/droite avaient un ressort idéologique, des idéaux, avec des forces sociales liées plus ou moins à la division de classes et à la conscience d’intérêts antagonistes. Cette fracture subsiste mais elle a perdu de son influence et n’est plus le ressort du jeu de pouvoir pratiqué par les partis désirant gouverner les pays occidentaux. Les aspirations individualistes l’emportent sur le souci des valeurs. Chacun tente d’améliorer sa situation, ou de ne pas la perdre, et quand il y a une progéniture, les parents dotés de moyens font le maximum pour lancer leurs gamins sur une trajectoire de réussite, cours particuliers à l’appui et inscriptions dans les établissements privés. La pensée de gauche n’a plus que quelques résidus s’exprimant sous forme de combats particuliers, par exemple la Poste. Les plus à gauche sont actifs et très critiques de la politique gouvernementale. Ce qui ne fait pas un programme pour gouverner. Un programme introuvable du reste, avec des partis de gauche désemparés. La société n’est politisée qu’en surface, avec quelques mouvements actifs et un réservoir de polémique inépuisable, parfois futiles (Hortefeux, Polanski), dès lors que les médias offrent quelques grains à moudre aux mécontents de l’opposition, dont on peut quand même souligner qu’ils assument leur responsabilité de citoyen en conservant leur capacité d’indignation. C’est ce qui empêche les pays de tomber dans les bas fonds de la tyrannie et de la dictature. Mais sur un plan de la profondeur des ressorts sociaux et politiques, on ne trouve plus tellement de ressort politique et historique. La raison étant que les préoccupations des sociétés, gouvernants et citoyens, devient de plus en plus technique et que comme l’avait montré Ellul, plus la technique se répand, plus elle contourne, voire elle éteint, l’action politique. La bureaucratie se substitue à la gouvernementalité, les rapports d’experts prennent le pas sur les débats citoyens. On l’a vu à propos du Grenelle de l’environnement.
Si la droite gouverne, c’est parce que la droite représente en fait les intérêts des plus forts (quoique, le terme de fort de convienne pas. Mieux vaut parler de puissants) Et que la nature, même si la loi (pas vraiment naturelle) institue « l’égalité en droits » des citoyens, fait naître des individus différents, les uns doués de force, de puissance, d’aptitude, et d’autres moins bien lotis. La nature est un terrain offert à la lutte universelle, celle darwinienne réservée aux espèces, celle sociale et encadrée, réservée aux humains socialisés. Aux différences congénitales s’ajoutent les différences acquises par l’expérience. Ces acquis étant souvent de la constitution à la naissance et du milieu social, les différences naturelles ont tendance à se renforcer tout en laissant filtrer des opportunités pour ceux qu’on appelle les mal nés. Même si les sociétés ont pris le parti de secourir les défavorisés, le jeu politique et économique place aux commandes les plus forts tout en asservissant les plus faibles. Les puissants dominent. On a assisté depuis 20 ans à une gouvernementalisation de la puissance. Ce qui signifie que les plus forts sont au pouvoir et que cette situation traduit le fait que les forts ont gagné naturellement la partie sociale en maîtrisant au mieux les rouages démocratiques, médias compris. Les sociétés post-modernes ont repris le cours naturel de l’histoire, mais dans un contexte démocratique. Alors qu’en des temps reculés, d’autres dispositifs plaçaient les plus forts au pouvoir, par exemple les nobles de l’Ancien Régime. Les peuples se sont illusionnés sur la capacité de la démocratie à créer les conditions d’un accès équitable à l’existence qui ne soit pas soumis à la domination des plus puissants. Car le propre des puissants est de s’emparer des leviers pour dominer, quel que soit le régime, et la démocratie n’échappe pas à cette emprise. Elle renforce même le processus en produisant une figure docile du système, celle du parvenu, à qui on a fait croire qu’il a du mérite et qui se croit un petit peu puissant.
Il est donc naturel que la droite gouverne les pays démocratiques post-industriels. Car la droite est le levier des puissances qu’elle sert au mieux tout en s’en servant et tout en maintenant l’état de la société traversée par l’échelle des puissances et des classes. Tel est le destin des nations techniquement avancées. La technique est le champ d’épreuve où se dessinent les accès à la puissance. Car la technique ne concerne pas seulement les machines mais aussi les hommes. Le technicien et le manager sont des Figures métaphysiques formant le ressort anthropotechnique naturel de la puissance et dont la gouvernance revient naturellement à la droite, y compris en régime démocratique. La libre expression des oppositions politiques montre la puissance des uns et l’impuissance des autres. La gouvernance de la droite traduit parfaitement la division entre puissants et impuissants. La distinction formelle de classes est devenue inopérante. Ceux qui s’en réclament participent à l’impuissance des peuples et des individus.
Peut-on refuser cette situation et la changer ? La réponse est oui. Est-ce facile ? La réponse est non. Vous pouvez rallumer votre poste de télévision.
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