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La drôle de commémoration

Peut-on fêter sans arrière-pensée l’armistice du 8 mai 1945 ? Alors que Jacques Attali répétait mardi soir sur le plateau du Grand Journal de Canal + qu’il pensait possible une troisième guerre mondiale, que de plus en plus de commentateurs évoquent une prochaine guerre civile en Ukraine, quelle signification accorder à cet évènement ? Sommes-nous d’ailleurs réellement en paix ?

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Des soldats tuant le temps pendant la drôle de guerre, le 28 novembre 1939

Deux choses me frappent particulièrement dans les analyses géopolitiques occidentales que je lis, et j’en ai lu un certain nombre depuis quelques mois. D’abord, le désir de guerre. Une guerre qui ne se limite pas simplement à des aspects économiques. Comment en est-on arrivé là ? Comment une telle propagande belliciste a-t-elle fait pour se répandre autant dans les médias, la diabolisation de Poutine représentant seulement un des aspects ?

La commémoration du centenaire de la première mondiale enflamme probablement en partie l’esprit des intellectuels réfléchissant sur les tensions internationales. Ce conflit occasionna la mise en pratique d’une théorie du célèbre prussien Carl von Clausewitz : la guerre totale. Clausewitz dessina les contours de ce que pouvait être une guerre absolue, mais il pensait que des facteurs comme l’intervention des Etats, l’évolution des situations conflictuelles ou les calculs politiques en limiteraient la pratique. La première guerre mondiale montra que les hommes pouvaient s’affranchir de ces limites. Elle marqua une rupture dans la conception de la guerre qui se fit de plus en plus totale. Elle le demeure aujourd’hui.

S’il est admis que Clausewitz a théorisé le concept de guerre absolue, cette dernière a en fait existé de tout temps. Dès lors que des peuples ont été opposés pour des motifs moraux ou de civilisation, il y a eu de véritables massacres : les croisades, les invasions mongoles, la colonisation de l’Amérique, sont autant d’exemples où la guerre n’a pris fin qu’une fois l’ennemi vaincu, soumis, bouté hors du territoire ou tout simplement assassiné. Les guerres non totales avec des règlements à l’amiable ont eu lieu entre peuples partageant des convictions morales proches, c’est-à-dire, concrètement dans notre civilisation : entre chrétiens. Le tournant que représente la première guerre mondiale est que l’aspect total s’est propagé au sein de notre civilisation d’origine chrétienne.

Se remémorer les guerres passées ne constitue pas à mon sens un motif suffisant d’échauffement des esprits. L’autre chose qui me frappe particulièrement en lisant les analyses géopolitiques, c’est le peu de considérations économiques entrant en ligne de compte. C’est comme si le pétrole, le gaz et les intérêts commerciaux ne jouaient aucun rôle dans les tensions en Ukraine, entre les Etats-Unis et la Chine, ou bien encore avec l’Iran que certains américains s’acharnent à qualifier de danger potentiel, alors que ce dernier pays a cédé sur quasiment tous les points concernant le nucléaire.

J’ai l’impression que l’écrasante majorité des intellectuels occidentaux est complètement à l’ouest. Nos penseurs semblent confinés dans le XXème siècle et n’arrivent pas à en sortir : économiquement, ils espèrent que la croissance va revenir par miracle ; géopolitiquement, ils croient que les conflits se jouent encore principalement sur un terrain militaire. C’est à croire qu’ils n’ont jamais travaillé de leur vie, qu’ils sont inconscients des réalités économiques. Ils ne savent pas que la troisième guerre mondiale a déjà débuté depuis des décennies et qu’elle est économique.

Le terme de guerre économique est employé de manière courante, mais il paraît tabou de faire le lien entre ce qui se passe en Ukraine et la guerre économique. Les Etats-Unis ont tellement bien réussi leur propagande, les dirigeants européens sont tellement apeurés – et donc soumis à la soi-disant locomotive étasunienne - à l’idée de ne pas atteindre leurs objectifs de croissance, que tous les citoyens de l’Union ont été mis dans l’obligation de choisir un camp : les Etats-Unis ou la Russie.

Tout cela n’explique qu’en partie comment le désir de guerre peut s’instiller aussi facilement dans l’esprit des citoyens. L’autre partie de l’explication tient à ce que le peuple ne réfléchit pas, il ne pense pas par lui-même. Les gens sont principalement des moutons suivant aveuglément leurs dirigeants ou leurs mentors, une « masse » comme écrivait Hannah Arendt. Les gens, dans leur immense majorité, ne cherchent qu’à se raccrocher à la pensée d’un autre, à la reconnaissance d’un de leurs pairs, ou pire, à la gloire d’un autre en imaginant par projection psychologique que cette gloire puisse rejaillir sur leur propre personne.

L’anti-américanisme systématique emprunte au même schéma avilissant. Les opposants à l’hégémonie américaine basculent trop souvent dans une idéologie adverse qui reste une idéologie similaire sans le savoir, notamment parce qu’elle se pense inconsciemment supérieure, officiellement meilleure. Comme l’a si bien exprimé Jean-François Revel : « L’idéologie, c’est ce qui pense à votre place ».

Ce 8 mai 2014 me rappelle que la guerre ne cesse jamais. Elle continue inlassablement sous une forme ou sous une autre. Ce qui change, ce sont les armes employées, elles tuent plus ou moins, mais asservissent bel et bien. Qu’il s’agisse d’un brevet, d’une alliance commerciale, ou d’un drone, le résultat commun de leur action est que les survivants continuent d’accumuler des frustrations. Ces dernières alimentent l’espoir de pouvoir un jour se venger.

Joaquim Defghi

Blog : actudupouvoir.fr

Twitter : https://twitter.com/JDefghi


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11 réactions à cet article    


  • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 9 mai 2014 11:29

    À l’auteur :
    « Jacques Attali répétait mardi soir sur le plateau du Grand Journal de Canal + qu’il pensait possible une troisième guerre mondiale »

    L’Humanité est-elle assez irresponsable, folle, pour s’engager dans une troisième guerre mondiale qui verrait son anéantissement du fait d’une inévitable escalade nucléaire ? ? ?...



    • Joaquim Defghi 9 mai 2014 16:19

      Bonjour Jean-Pierre Llabrés, 


      votre question, à laquelle je n’ai pas de réponse, m’en suggère d’autres : l’homme est-il responsable ? Le Petit Robert donne pour définition autre que celle du droit suite à des dommages : « Nécessité morale de remplir un devoir, un engagement ». Dans quelle mesure l’homme, occidental ou non, accorde ses actes avec sa morale ?

    • hurlevent 9 mai 2014 11:51

      Le 8 mai 1945 n’a pas été signé un armistice mais la capitulation de l’Allemagne.


      • juluch juluch 9 mai 2014 13:28

        Tout a fait !!


        L’auteur a confondu avec l’Armistice de 1918......

      • anamo 11 mai 2014 13:21

        Faux ! Le 8 mai, on honore la mauvaise conscience de François Mitterand. Qui a rétabli ce jour férié pour tordre le cou aux critiques sur ses errements passés (Vichy, Papon ...) et garder le lien avec les institutions juives et anciens combattants.


      • Croa Croa 9 mai 2014 14:48

        L’auteur confond tensions et guerres. Les tensions sont généralement économiques et les guerres une rupture. Les tensions sont permanentes mais variables en intensité. Dire que « la guerre ne cesse jamais » est faux et il faut un élément déclencheur pour qu’il y ait guerre et les tensions pourraient être réduites sans qu’il y ait guerre sauf qu’il faudrait à nos ’’élites’’ un peu de sagesse ( ce qui n’est guerre dans leur nature hélas ! ) 


        • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 9 mai 2014 15:11

          L’illustration choisie veut nous suggérer que nous vivons une « drôle de paix » comme nos aînés ont vécu une « drôle de guerre » juste avant le déclenchement du cataclysme...Mais ne vaut-il pas mieux une « drôle de paix » qu’une guerre généralisée... Qui, d’ailleurs, impliquerait qui ? L’« Occident » contre la Russie ou la Chine... Et pourquoi pas plutôt un ennemi mal localisé à base d’islamisme radical ? 

          Si guerre larvée il y a, elle est protéiforme et je vois mal les alliances. Chacun se bat égoïstement dans son coin pour son pré carré. Et je ne vois pas quel étranger à l’Ukraine serait prêt à mourir pour Odessa !

          • Laurent 47 9 mai 2014 18:47

            Tant qu’on n’aura pas compris que la Russie n’est plus l’U.R.S.S., (comme la R.F.A. n’est plus le 3ème Reich), et que cette Russie n’est pas l’ennemie de l’Europe, mais son partenaire commercial naturel, on n’arrivera jamais à rien, surtout par la force !

            Je rappelle qu’il n’y a que les Etats-Unis qui considèrent ce pays comme hostile, car s’il intègre l’Europe, s’en sera fini de l’hégémonie de l’Oncle Sam sur le monde. Ce sont les américains qui sont derrière le putsch de Kiev qui a porté les néo-nazis au pouvoir par la force (maintenant, les preuves du nazisme sont accablantes, vidéos à l’appui). Et les polonais se sont mis de la partie en entrainant des néo-nazis de Pravy Sektor dans l’une de leurs bases, et les drapeaux à croix gammée ont défilé sous l’oeil bienveillant de Fabius, pour ce qui nous concerne. La veulerie de ce triste individu, qui défend des intérêts à des années-lumière de ceux de la France, et qui ose traiter Poutine de fasciste, est à vomir ! Les soviétiques ont eu 27.000.000 de morts durant la dernière guerre, en luttant contre les nazis, alors quand ils les voient ressusciter à ras de leurs frontière, ils prennent des décisions, quelles qu’en soient les conséquences ! Un dernier détail : les polonais reprochent à la Russie d’avoir exécuté 20.000 officiers polonais à Katyn. Ce qu’ils oublient de dire, c’est que les polonais ont exécuté 14.000 officiers russes en 1920 ! C’est un prêté pour un rendu.

            • Beauceron Fulbert de Chartres 10 mai 2014 10:42

              Les temps ont changé. Le français de 1914 ouvrier ou paysan montait facilement au front, celui de 2014 refuserait net. Les armes aussi sont différentes ; aujourd’hui c’est l’arme économique et financière (plus la propagande culturelle) qui est utilisée pour détruire un état.


              • Montdragon Montdragon 11 mai 2014 14:37

                Attali et consorts ne disent pas ce qu’ils pensent mais ce qu’il souhaitent...


                • mmbbb 11 mai 2014 18:36

                  sur le plateau personne ne la contredit helas Attali dit un peu n’importe quoi il n’y aura pas de 3 eme guerre mondiale La guerre actuelle est la guerre economique elle est peut etre plus pernicieuse

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