La face sombre de la « transformation digitale »
Cela commence à se savoir, et de plus en plus : les technologies numériques « nuisent gravement à la santé, à l’éducation et à la société dans son ensemble ». C'est la piqure de rappel du Dr Manfred Spitzer, établi à Ulm et traduit depuis peu. Comment peut-on encore fermer les yeux sur les « effets pathogènes » des « médias numériques » qui agissent comme des « accélérateurs de feu » ? L’état de nos systèmes de santé traduira-t-il bientôt les effets dévastateurs du joug numérique qui pèse sur nos existences ?
D’où nous vient cette croyance que « notre bien-être et notre mal-être dépendent directement de la maîtrise des nouvelles technologies » ? Et d’où vient que l’addiction aux « réseaux sociaux » soit considérée comme une « chance » et non comme un risque majeur en termes de santé publique ?
Neurologue et psychiatre, Manfred Spitzer s’élève contre ce persistant déni de réalité et met en garde tant contre une altération continue de nos neurones et de notre système immunitaire que contre une « perte de contrôle fondamentale » de nos vies désormais placées sous la surveillance de ces technologies : « Les technologies numériques ne nuisent pas seulement à la santé physique et psychique ainsi qu’à l’éducation de la personne : elles ont aussi des répercussions très fortement négatives sur la société ».
Cybercriminalité et technostress dans le pire des cybermondes
Qui prend au sérieux les effets de cette insomnie numérique qui pourtant se font sentir de façon de plus en plus aïgue chez les utilisateurs compulsifs de gadgets numériques comme chez tous ceux qui sont juste « obligés » de s’en servir pour leur travail ou même pour des démarches au quotidien ?
Pourtant, le manque de sommeil nuit au système immunitaire, accroissant les risques d’infections et de cancers – sans parler du surpoids et du diabète suscités par une (mauvaise) position assise prolongée devant nos ordinateurs. La fatigue en résultant, accumulée durant la journée, peut mener à des endormissements au volant comme en bien d’autres circonstances qu'il serait inutile de détailler.
La lumière bleue des écrans inhibe la production de mélatonine, détraquant l’horloge biologique, cela commence à se savoir : « les effets sur la santé des appareils numériques sont plus graves que ceux de la consommation d’alcool et de tabac » avance le Dr Spitzer en se basant sur des données qui devraient faire autorité – si elles étaient diffusées par ailleurs...
Les acheteurs de ces gadgets savent-ils vraiment ce qu’ils font en leur confiant toutes leurs données personnelles ? Qui songerait à confier ses secrets les plus intimes à un « ennemi » (en l’occurence tapi dans l’apparente neutralité d’une « technologie » si familière...) qui travaille contre vous ? Nul ne peut plus l’ignorer : « La tendance actuelle est à la criminalité sur les réseaux sociaux consultés avec un smartphone. Un utilisateur sur six en a déjà fait l’amère expérience : il a alors vu son profil – c’est-à-dire son identité – usurpé par autrui. Et quatre utilisateurs sur dix ont été victimes d’attaques criminelles. »
Pour le praticien, « Internet est, de loin, le plus grand « quartier rouge » du monde » - celui où s’exercent les activités les plus sordides et où s’exacerbent les forces les plus obscures comme les malveillances les plus impunies... Qui n'en aurait pas encore fait l'expérience ?
Vers une société dénuée d’empathie ?
De plus, les derniers gadgets de destruction massive de l’environnement et de l’entendement en vogue depuis douze ans, dits smartphones, « empêchent tout sentiment de satisfaction existentielle et toute capacité d’empathie » souligne le praticien. Qui voudrait vivre dans une société de l’angoisse, dénuée de la moindre empathie envers ses membres, surtout ceux considérés comme « inutiles » ou n’arrivant pas à se conformer au modèle imposé de la « compétitivité » ou du « buzz » permanent ?
Qui n’aimerait pas plutôt vivre dans une société privilégiant la coopération sur la « compétition » ? Si les « réseaux sociaux » donnent l’illusion d’assouvir notre besoin de communauté, ils le font à la manière de ces substances addictives prodigeant leurs calories vides et leurs toxines, attisant sans cesse de nouveaux « besoins » forcément inassouvis.
Les surcoûts économiques, énergétiques et sociaux des dommages numériques sont-ils seulement intégrés - et provisionnés ? La vérité est qu’elle est impayable – 15% de la pollution mondiale vient d’Internet qui dépasse allègrement les transports aériens ou routiers et les usines...
Les livres de Manfred Spitzer (dont son best-seller Digitale Demenz, Droemer Verlag, 2012) ne passent pas inaperçus dans son pays : non seulement ils sont méticuleusement éreintés dans les médias (quand ils ne peuvent plus être ostracisés...) mais il s’est retrouvé mainte fois... diffamé à titre personnel – ce serait là plutôt de bon augure quant à la pertinence de ses données, compte tenu du système de fraude et d’inversion où suffoque et s’éteint une « majorité silencieuse »...
Mais ses ouvrages d’alerte n’ent font pas moins leur chemin et remplacent avantageusement les magazines mainstream d’abrutissement et d’avilissement dans les salles d’attente de nombre de cabinets médicaux outre-Rhin. Qui n’a pas entendu le sophisme : « Lorsque c’est gratuit, ne cherchez pas plus loin : le produit c’est vous ! ». Explication encore plus limpide formulée par le praticien de santé mentale : « Internet et ses « bienfaits » ne sont aucunément gratuits ! Nous en payons le prix fort, avec une baisse de notre durée de vie et une détérioration de nos conditions d’existence ; ce faisant, nous contribuons à enrichir plus encore les multinationales les plus prospères de la planète »...
Car enfin l’industrie qui nous dicte notre nouvelle existence numérique « rêvée » est la plus riche de la planète – aussi son lobby est-il le plus puissant financièrement et le plus persuasif pour nous vendre au prix fort nos addictions imposées, toujours plus « innovantes, connectées et éco-responsables » à ce qu’on nous dit...
Tout spécialiste en matière de santé publique prend à coeur la santé des jeunes générations livrées à de tels dommages (atteintes au développement organique, psychique, intellectuel et social, sexualisation exacerbée du quotidien, perte de fonctions exécutives, etc.) et donc la question de l’école. Or, il y a péril en la demeure, compte tenu de l’acharnement à équiper tous les établissements scolaires, depuis la maternelle, d’ « outils connectés » ou autres « compagnons d’apprentissage » électroniques - et ce, à grands frais tant économiques qu’écologiques vampirisant et excédant les capacités contributives des productifs qui font (encore...) tourner la société : « les investissements visant à généraliser l’utilisation des technologies numériques dans le domaine de l’éducation représente un gaspillage de moyens financiers. Rogner sur les postes des enseignants et dans le même temps, dépenser des millions pour ces nouvelles technologies est irresponsable et absolument nuisible à l’éducation des enfants. On ne peut et on ne doit pas abandonner à des multinationales, uniquement mues par la recherche du profit, l’éducation des nouvelles générations – qui est au fondement de notre culture, de notre économie et de la société dans son ensemble. »
Il n’est plus possible de l’ignorer, comme le rappelle Manfred Spitzer – et ce n’est pas un « fait alternatif » : les multimillionnaires, promoteurs de la « silicolonisation » du monde depuis leur vallée californienne, se gardent bien d’ « outiller » ( ?!) leurs enfants en gadgets « connectés » et autres « compagnons numériques » qu’ils vendent pourtant à toute la planète ; bien au contraire, ils inscrivent leur progéniture dans des écoles parfaitement exemptes d’écrans et d’ondes electromagnétiques...
Alors, pourquoi cette frénésie à transformer la jeunesse en « chair à tablettes » comme jadis en « chair à canons » et à polluer la planète entière de cette hallucinante quantité de « déchets invisibles » générée par des « connexions » de plus en plus contre-productives (2600 milliards de mails envoyés dans le monde en une année) ? Pour quels « profits » faudrait-il ajouter encore et toujours des écrans aux écrans alors qu’ « en même temps », il est de plus en plus clairement recommandé aux parents de limiter l’exposition de leurs enfants aux gadgets numériques ?
Réponse convenue : « on est dans l’ère du numérique, il faut s’a-dap-ter »... S’adapter au pire des mondes histoire d'en sortir plus vite... les pieds devant ? Est-il possible encore , dans un tel monde bientôt à court d’univers alternatifs de capacités de stockage de nos milliards de données sans cesse émises dans le « virtuel », d’ « interdire le pire » comme l’on interdirait les drogues dures et la pédopornographie ?
Comment faire comprendre que « le progrès » ne passe pas par toujours plus de technologie et de complexité crétinisante, prédatrice de temps et d’énergie comme de moyens de subsistance ? Comment faire comprendre qu'une solution véritablement "écologique" pour "sauver la planète" (ou "le climat", si l'on préfère) ne passe surtout pas par une prolifération d'innovations technologiques galopantes et par une multiplication énergivore des écrans ?
Comment faire comprendre qu'une "transition" véritablement écologique ne passe pas par une numérisation de la société à marche forcée et une invasion de véhicules électriques comme des compteurs communicants à obsolescence accélérée qu'il faudra fabriquer en consumant les ultimes ressources énergétiques fossiles ? Qu'espère-t-"on" au bout de cette chaîne de chaos ?
Pour le praticien, les dommages induits par le numérique (dont la perte d’empathie en sus de la prolifération d'autres pathologies...) ne laissent présager « rien de très bon » à l’échelle planétaire... Notre demeure terrestre brûle et nous regardons vaciller dans la petite lumière bleuâtre notre effacement programmé... Comme s’il s’agissait là d’un spectacle qui ne nous concernerait plus...
Pourquoi ne pas éteindre les écrans, avant d’être éteints par eux ? Pourquoi ne pas les éteindre et s'en désenvoûter pour renouer avec le réel - et rallumer les étoiles ?
Manfred Spitzer, Les Ravages des écrans – les pathologies à l’ère numérique, éditions l’échappée, collection « pour en finir avec », 400 p., 22 €
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