• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > La faim dans le monde deviendra-t-elle un enjeu pour le PS ?

La faim dans le monde deviendra-t-elle un enjeu pour le PS ?

Un projet de real politique pour « Le Monde », pragmatique, prudent, voir « sans souffle » pour certains, ce projet de texte pour la convention du PS consacré à l’international et à la défense semblait soporifique, malgré ses 19 pages. Et pourtant, il y a bien un chapitre qui attire l’attention, celui consacré, page 11, à La lutte contre la faim et pour la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres [1] (voir en annexe). Ce texte, qui sacrifie naturellement, pour le parti d’opposition, à l’anti-sarkozysme ambiant « la politique étrangère de M Sarkozy n’a pas su apporter de réponses vraiment appropriées » en page 2, s’appuie aussi sur un constat, la France a moins d’influence, fait le choix de l’ONU et a pour méthode de fixer des caps, capables de mobiliser d’autres pays. Et ce sujet criant de la faim dans le monde, évoqué sans suite lors d’un G8 il y a trois ans, mais repris dans le texte du PS, mérite bien un coup de projecteur, un éclairage approfondi, et la mobilisation de tous.

Toutes les cinq secondes, dans le monde, un enfant meurt de faim

Les émeutes de la faim de 2007 ont marqué les esprits, mais, très vite, nous sommes retombés dans « une normalité glacée », qui se satisfait sans le dire d’une situation qui reste insupportable. Retenez tout de même ces quelques chiffres, terriblement anonymes : Toutes les cinq secondes, dans le monde, un enfant de 10 ans meurt de faim, près de 100 000 personnes par jour….En 2007, 854 millions de personnes étaient gravement sous alimentées dans le monde. En Afrique, le nombre de personnes souffrant gravement de la faim est passé, en trente ans, de 1972 à 2002, de 81 millions à 203 millions. Les ménages dépensent de 10 à 20% de leur budget à l’alimentation en occident et de 60 à 90% dans les pays du tiers monde. Et ces chiffres ne sont pas près de baisser, quand, en 2008, le prix du riz double en un an, alors que, au Bangladesh, la moitié de la population vit avec moins de un euro par jour.

Le prix du blé et du riz font les fortunes des spéculateurs

De plus, 122 pays en voie de développement cumulaient en 2007 une ardoise de 2100 milliards de dollars de dettes. C’est alors que le FMI - Fonds Monétaire International - leur a imposé des plantations d’exportation pour fournir des devises destinées à permettre à ces pays de payer leurs dettes ou au moins ses intérêts. Et les Etats Unis de Georges Bush ont voté 6 milliards de crédits pour développer les biocarburants et ont ainsi soustrait au marché alimentaire 138 millions de tonnes de maïs. L’Union européenne elle-même s’est fixé l’objectif de 10% de biocarburants en 2010. En 2008, le prix du blé a augmenté de 62%, celui du riz de 83% et du maïs de 38%. Les derniers chiffres font état d’une flambée des prix du blé. A Rouen, en septembre dernier, la tonne de blé se négociait autour des 230 euros, contre à peine 130 euros mi-juin, avant la moisson, ce qui représente une hausse de 80% en moins de quatre mois…Une aubaine pour les spéculateurs qui jouent sur les achats à terme, et qui ont peu revendre à bon prix leur mise initiale, bénéficiant de la crainte ambiante, alors que les stocks de blé restent élevés. On estime à au moins 30% la part d’inflation sur prix des transactions de blé. Ce fonds vont directement dans la poche de spéculateurs comme les fonds de pension, qui ne s’intéressent pas à la marchandise en tant que telle, mais veulent juste réaliser un profit spéculatif, en revendant leurs offres d’achat à terme avant leur date d’expiration. Considérés comme une diversification intéressante des portefeuilles boursiers, ces achats à termes offrent une rentabilité qui attire de nombreux investisseurs. 

Les incendies en Russie, notamment, ont renchéri le court du blé.

Et ces spéculateurs jouent sur les évènements. Ainsi, début aout, la FAO, organisation des nations unis pour l’alimentation et l’agriculture avait revu à la baisse ses prévisions de production mondiale de blé, à 651 millions de tonnes, contre 676 millions en juin.

Des prévisions qui tiennent compte de la situation conjoncturelle défavorable. Le monde n’a pas eu de chance, en effet. Nous avons connu des accidents climatiques comme les inondations au Canada (4ème exportateur de blé mondial), des incendies en Russie (3ème exportateur mondial ) qui ont fait passé la production russe de 90 millions de tonnes à 70 à 75 millions, et entrainé un embargo sur les exportations de blé jusqu’au 31 décembre de cette année. Et comme si cela ne suffisait pas, il faut aussi faire avec la sécheresse en Australie, un typhon au Bangladesh, et un hiver plus froid en Chine et au Vietnam. Résultat, une hausse du cours du blé, qui se répercute déjà sur le consommateur français, avec une hausse de deux centimes par baguettes, mais qui va aussi augmenter le coût de revient du porc et de la volaille. Le prix du blé a également une conséquence avec l’augmentation du prix du maïs, qui agit comme un substitut pour nourrir les bovins. Plus généralement, on doit donc s’attendre à une augmentation généralisée du prix des aliments, et du pain. Les conséquences devraient être désastreuses dans beaucoup de régions, comme Haïti.

Le changement des habitudes de consommation alimentaires dans le monde

Mais au-delà des effets de la météo sur la production, il existe aussi des effets structurels et profonds, qui modifient le marché. Ainsi, le pouvoir d’achat des pays émergents (dont le Brésil, l’Inde et la Chine) augmente de façon significative, et modifie les habitudes alimentaires des populations. En Asie, par exemple, la consommation moyenne par personne et par jour est déjà passée de 2150 kilocalories en 1970 à 2800 kilocalories en 2000. Et, en 1970, les calories d’origine animale représentaient moins de 5% de la consommation individuelle et en représentaient plus du double, soit 11,7% trente ans après. Ors, ce sont sept calories végétales qui sont nécessaires à la production d’une calorie animale. Avec l’augmentation de la population urbaine, la demande augmente de plus en plus, rendant la production moins excédentaire et tendant les marchés.

Le riz nourrit plus de deux milliards cinq cent millions d’habitants en Asie

Le riz fait aussi partie des matières premières qui sont soumises à la fluctuation des cours. Ainsi, en mars 2008, le prix du riz a augmenté de 30% en un seul jour. Durant les premiers mois de 2008, les prix du riz avaient quasiment doublé, passant de 380 dollars la tonne à plus de 780 dollars. A l’origine de cette hausse vertigineuse, l’Egypte, le plus gros producteur du proche orient, qui a suspendu la vente de son riz à l’étranger pour une période de six mois. Cette mesure, visant à permettre à la population égyptienne de se nourrir à un prix raisonnable, a privé le marché mondial d’environ un million de tonnes de cette céréale. Et cette décision faisait suite à celles du Vietnam, et de l’Inde, deuxième et troisième exportateurs de riz, qui, comme le Cambodge, ont décidé de réserver leurs productions à un usage intérieur. Cette céréale, qui nourrit plus de deux milliards cinq cent millions d’habitants en Asie, est aussi l’aliment de base de nombreux pays d’Afrique, comme le Cameroun, le Sénégal ou le Burkina Faso, qui ont connus des mouvements sociaux contre la hausse du prix des denrées alimentaires. Comme nous l’avons déjà évoqué, le prix du riz a doublé en un an, alors que, au Bangladesh par exemple, la moitié de la population vit avec moins de un euro par jour.

La pêche est victime des « usines flottantes » qui ne respectent rien

Et les produits de la mer ? Il est vrai que les poissons représentent 23,1% de l’apport de protéines animales en Asie et 19% en Afrique. Dans le même temps, les mers du monde sont pillées par des usines flottantes, qui utilisent des filets à mailles étroites, pourtant interdits, et ne respectent pas les zones de pêche côtières de pays incapables de se faire respectés. N’oublions pas que, dans le monde, 35 millions de personnes vivent de la pêche, dont 9 millions en Afrique. Alors que l’aquaculture ne concerne que 27% de la production mondiale, 77% de cette pêche est réalisée dans les eaux intérieures, par opposition à la haute mer, dans zones de plus en plus sinistrées, qui poussent notamment les Africains à émigrer pour ne pas mourir de faim. 

4000 émigrants meurent chaque année dans des embarcations de fortune

On estime que, chaque année, quelque 2 millions de personnes essaient d’entrer illégalement sur le territoire de l’Union Européenne, et que, sur ce nombre, environ 2000 périssent en Méditerranée et autant dans l’Atlantique. Comment lutter efficacement contre l’immigration clandestine sans prendre en compte la situation des pays d’origine ? Comment ne pas craindre une augmentation du nombre de ces départs désespérés si rien n’est fait ?

Il faut soutenir le monde agricole

Alors, que faire, pour briser cette spirale infernale ? Nous savons bien que l’aide alimentaire d’urgence ne règle le problème que quelques jours. Les paysans, appauvris par des années d’abandon du secteur agricole par les pouvoirs politiques, doivent retrouver un soutien réel et efficace. Dans ce cadre, l’essentiel des sols, capital des nations, doit être protégé des transactions du monde financier. Les engrais minéraux, qui procurent de meilleures récoltes à court terme, avant de rendre les sols infertiles doivent notamment être proscrits. [2]

Payer le juste prix pour les productions du sud.

Mais comment rejeter purement et simplement l’idée de tirer un profit de l’agriculture ? Peut-t-on raisonnablement faire l’apologie d’une agriculture vivrière ou autarcique ? Non, et si la première richesse d’un pays est bien sa population, sa santé et sa force, il ne peut être fait abstraction de sa population agricole. Et seul un soutien du capital financier à l’agriculture peut lui permettre de se moderniser et de produire. Cela veut dire que les pays occidentaux doivent payer de façon convenable les produits agricoles du sud, et qu’une réforme agraire s’impose dans le tiers monde, avec l’autosuffisance alimentaire comme objectif. Le développement du commerce équitable ne suffira pas, l’engagement doit se faire au sein de l’OMC, l’organisation mondiale du commerce.

Fermer concrètement la bourse de Chicago sur les matières premières

Cela veut dire aussi qu’il faut lutter contre la privatisation de l’eau potable et avoir un plan soutenu d’irrigation des cultures. Du point de vue des Etats, l’alimentation nationale doit bien occuper la première place des préoccupations, le système financier ne venant qu’en second lieu. Pour refonder un nouvel ordre mondial, il faudrait aussi un moratoire de la dette des pays les moins avancés, fermer la bourse des matières premières de Chicago (La ville du président Obama), et interdire les achats à termes sur les matières premières agricoles. Dans le même temps, l’Europe devrait renoncer à son plan pour les biocarburants.

Le PS a-t-il compris l’enjeu ?

Alors, peut-on dégager l’agriculture des fluctuations de prix imposées par les marchés ? Comment inciter les pays à satisfaire leurs besoins vivriers immédiats avant de commercialiser leurs éventuels excédents de production et régler le problème des pays importateurs ? Ces questions sont-elles vraiment traitées dans le texte adopté à l’unanimité par le conseil national du PS le 8 septembre dernier, soumis au vote des militants le 30 septembre avant une convention internationale le 9 octobre ?

On peut noter l’intention des rédacteurs, page 11 sur 19, dans un chapitre intitulé « lutte contre la faim et pour la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres », par ces quelques mots, au milieu d’une argumentation : « reconstitution des stocks, lutte contre la spéculation, stabilisation des prix des denrées alimentaires » [1]

Pour le sociologue Jean Ziegler, il faut « abattre l’ennemi »

Jean Ziegler, sociologue inclassable, a été nommé rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Pour lui, le lieu essentiel de ce combat c’est la conscience collective « longtemps, dit-il, la destruction des êtres humains par la faim a été toléré dans une sorte de normalité glacée. Aujourd’hui, elle est considérée comme intolérable. L’opinion fait pression sur les gouvernements et les organisations interétatiques (OMC, FMI, Banque mondiale, etc.) afin que des mesures élémentaires soient prises pour abattre l’ennemi ».

J’espère donc que cette convention du PS permettra également de souligner l’enjeu de cette bataille pour une agriculture pour tous en la portant avec la force qu’elle mérite dans le débat public. Et si les médias s’emparaient du sujet et en faisaient le relai, si ce sujet pouvait s’imposer comme un des enjeux des prochaines échéances, la hauteur du débat public n’en serait que meilleure. Car tout ce qui contribuera à éveiller la conscience collective sauvera des millions de vies.

Eric Donfu 

24 septembre 2010

Notes


[1] Dans le chapitre 2.3 « Instaurer davantage de justice entre Nord et Sud pour un développement plus solidaire » Ce chapitre 2.3 .2 inclus : « La lutte contre la faim et pour la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres sera au cœur de notre stratégie de développement. Les chefs d’Etats et de gouvernement du G8 s’étaient engagés solennellement en 2008 à réunir des moyens considérables pour lutter contre l’insécurité alimentaire : près de trois ans après, on attend encore l’essentiel du versement, cependant que plus d’un milliard de personnes, à travers le monde, continuent de souffrir de la faim. Nous demanderons l’inscription dans la Charte des Nations Unis du droit des peuples à assurer la sécurité de leur approvisionnement alimentaire. Nous agirons partout où nous le pourrons en faveur de la « relocalisation » des productions agricoles à la fois pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre et pour garantir la sécurité alimentaire des peuples. Les terres cultivables des pays les plus pauvres doivent être destinées prioritairement aux cultures vivrières permettant d’assurer l’autosuffisance alimentaire des peuples et non à une culture d’exportation visant exclusivement à rapporter les devises nécessaires au service de la dette ou à enrichir les actionnaires des multinationales. Nous devons œuvrer, aux cotés des pays producteurs, à la mise en place des mécanismes de régulation protecteurs pour ces pays : reconstitution des stocks, lutte contre la spéculation, stabilisation des prix des denrées alimentaires, constitueront à ce titre des enjeux majeurs »

[2] Ces engrais entrainent une diminution de la fertilité des sols, de la production, une diminution de la qualité, la maladie des plantes, des bêtes et des hommes et finalement les maladies du sol lui-même, telles que l’érosion et les déserts de sols alcalins.


Moyenne des avis sur cet article :  3.93/5   (15 votes)




Réagissez à l'article

4 réactions à cet article    


  • UltraLord 24 septembre 2010 11:28

    La faim dans le monde deviendra-t-elle un enjeu pour le PS ? Non. La faim dans le monde fait pleurer dans les chaumières, mais ne fait pas peur. Ce n’est pas tellement exploitable en politique.

    Si vous voulez combattre la faim dans le monde, n’attendez pas l’action des politiques. Faites des dons alimentaires ... parrainez une école dans le tiers monde ... achetez équitable ....

    Merci cependant de rappelez quelques chiffres sur ce lourd fardeau. Et pour rappel, aujourd’hui, la production alimentaire mondiale dépasse le besoin de toute sa population. Le problème est la non répartition des richesses ... comme toujours.


    • asterix asterix 24 septembre 2010 13:15

      Renversons la question et demandons-nous si le PS deviendra un enjeu pour la faim dans le monde. Votre article est lamentable de militantisme par le trou de la serrure.


      • liberateur 24 septembre 2010 14:16

        Astérix se sent-il remis en cause dans son village Gaullois (ou Bruxellois..) ? Et quel trou de la serurre ? Ce papier traite au grand jour une question sur laquelle je n’ai jamais entendu clairement un leader du PS. Ce parti semble plus préoccupé par ses luttes internes et le fait de tailler des costars à sarko que par la lutte contre la faim dans le monde. Je ne suis pas socialiste, mais ce papier très documenté et sincère me touche.


        • LE CHAT LE CHAT 24 septembre 2010 15:51

          Le PS a perdu son porteur de sacs de riz , mais il est vrai que certains sont bien plus préoccupés dans ce parti de la faim au bout du monde où il pourront se contenter d’incantations pleines de bienpensance plutôt que de s’occuper des français qui sont dans la misère !

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON







Palmarès