La Fayette au Panthéon ?
Une vive polémique est née sur l’opportunité de transférer la dépouille de La Fayette au Panthéon. Le chef de l’Etat n’en a pas parlé même si l’on sait qu’il a lu une biographie de La Fayette. C’est Bernard Kouchner qui a évoqué cette possibilité lors de la célébration aux Etats-Unis du 250e anniversaire de la naissance du grand homme.
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Dans le quotidien Le Monde du 9 novembre, l’historien Jean-Noël Jeanneney se fend d’une diatribe qu’il conclut en déclarant La Fayette indigne de reposer au Panthéon. Selon lui, La Fayette n’a jamais été républicain et il a abandonné son armée en pleine guerre pour passer chez l’ennemi. Il a, pour ce fait, été déclaré "traître à la nation" et menacé d’être guillotiné à Paris.
Pour l’examen des faits reprochés, reportons-nous à Michelet. Ce dernier écrivit : "La Fayette ne semblait voir d’ennemi que les jacobins. Par une adresse, il appelait son armée à rétablir la Constitution, défaire le 10 août, rétablir le roi. Cela équivaudrait à mettre l’étranger à paris. Il n’y a aucun exemple d’une telle infatuation. Heureusement il ne trouva aucun appui dans son armée". C’est dans la nuit du 19 au 20 août 1792 que La Fayette trahit sa patrie. Il était alors général en chef de l’armée du nord et franchit les lignes ennemies avec son état-major en quête d’un appui étranger. Ses troupes n’obéiront pas à son ordre de se dresser contre l’Assemblée. Pire, il fut emprisonné par les Autrichiens qui voyaient en lui un homme dangereusemenet subversif. Par chance pour lui, cet emprisonnement de cinq années le réhabilita aux yeux du peuple français, dixit Michelet.
Voilà pour les faits en eux-mêmes, qui pris isolément sont impardonnables. Mais quelle est l’opinion de la nation aujourd’hui sur La Fayette ? En 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, la question fut posée aux Français par l’intermédiaire d’un sondage Sofres. 57 % des personnes interrogées le désignèrent comme le révolutionnaire le plus sympathique. Mais qu’en conclure ? Les personnes sondées n’avaient pas été informées préalablement des faits reprochés. D’autre part, juger La Fayette sympathique par comparaison aux révolutionnaires sanguinaires (Robespierre, Danton, Marat) ou troubles (Talleyrand) n’est pas un critère suffisant pour déclarer qu’il y a consensus national. A cette même occasion, une pétition fut signée en faveur du transfert de la Fayette au "temple des grands hommes". Au compte des signataires, on trouve des personnalités de tous bords politiques : Fabius, Juppé, Raffarin, Mamère... Mais il ne s’agit là que d’une pétition, non d’un référendum populaire.
Gonzagues Saint-Bris, auteur d’une biographie sur La Fayette réplique à Jean-Noël Jeanneney par un article dans Le Monde du 5 novembre. Pour lui, "les hommes d’exception ont toujours servi l’intérêt de la France plus que celui d’un régime, que ce soit au temps de la monarchie ou de la république". Si La Fayette s’est montré opposé aux républicains, il a toujours été un fervent démocrate. L’Histoire l’atteste : le jeune général a milité pour l’abolition de l’esclavage et n’a pas - contrairement à Napoléon - varié sur cette question. Il s’est porté au secours de la révolution américaine. Ce côté du personnage devrait l’emporter sur l’autre côté de sa biographie. Il est juste de faire observer ici que bien malin eut été celui qui pouvait dire à l’époque quel était le meilleur régime politique (république ou monarchie ?) dans ces années de bouleversements qui virent se succéder en France plusieurs formes très différentes. La Fayette aurait pu suivre le parcours trouble d’un Talleyrand. Il ne le fit pas et resta fidèle à son opinion malgré les avatars nombreux des régimes. Chateaubriand en parle ainsi : "Aucune souillure ne s’est attachée à sa vie, il était affable, obligeant, généreux". Madame de Staël souligne qu’il a sacrifé sa fortune au service des grandes causes.
Au regard de tout cela, on peut dire que La Fayette fait surtout figure de grand démocrate et de héros. Faut-il le transférer au Panthéon ? La question est très délicate. La Fayette est le héros des deux mondes. Il est tellement vénéré aux Etats-Unis que 40 villes, 7 comtés et une montagne y portent son nom ! Mais, précisément, c’est cette double appartenance dans les mémoires qui m’amène à déclarer que le moment n’est pas opportun. La récente visite du président Sarkozy aux Etats-Unis, et surtout son soutien très appuyé de ce pays et de son haut dirigeant, ont déclenché des désapprobations. Le transfert de La Fayette au Panthéon dans ce contexte pourrait nuire à la mémoire de ce héros national. Il est urgent d’attendre...
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