La Féria de Nîmes : un camion de boucher comme métonymie de la tauromachie !
Ce dernier week-end, comme chaque année en septembre, a eu lieu la Feria des Vendanges à Nîmes. Dans le cœur historique de la ville romaine, et au-delà, les trottoirs sont alors investis d’une multitude de bistrots ou de restaurants sous tente, qu’on baptise « bodegas » pour la circonstance dans la tradition espagnole : dans des musiques assourdissantes saturées de batteries frénétiques, qui s’entremèlent d’un comptoir à l’autre, bière, rosé et sangria coulent à flots ; gardiane de taureau et paella sont les plats du jour invariables. Et comme il est d’usage aussi en Espagne, les corridas rythment la journée dans l’amphithéâtre romain, appelé communément « Les Arènes ».

On rôdait autour, vendredi soir, 16 septembre, tendant l’oreille aux clameurs et applaudissements de la foule qui s’élevaient, par instants. Une corrida allait s'achever, quand on est tombé en arrêt devant une scène qu’on n’attendait pas. On en a pris une photo. Elle illustre cet article.
La mise hors-contexte, premier procédé structurel de l’image
Aux lecteurs qu’on agace malgré soi, depuis plusieurs années, par l’usage de termes spécifiques qui seuls permettent d’analyser l’information condensée dans une image, on voudrait montrer qu’on ne peut pas s’en passer sous peine de faire de la paraphrase sans s’appuyer sur des indices probants.
1- Comme toute photo, celle-ci est une mise hos-contexte de la scène exhibée. Le champ est à ce point rétréci qu’on ne voit qu’un fourgon stationnant par l’arrière sous une arche d’un édifice qu’on devine romain. C’est ou un théâtre ou un amphithéâtre. Une légende doit préciser ce que l’image ne peut dire : il s’agit de l’amphithéâtre de Nîmes, a-t-on déjà dit.
2- La mise hors-contexte n’est pas seulement spatiale, mais aussi temporelle : la photo est incapable d’informer le lecteur sur le moment de sa prise. Là encore, une légende doit pallier cette infirmité : c’était, vendredi 16 septembre, vers 19h30, pendant le week-end de la Feria de Nîmes, au moment où s'achevait une des corridas qui s’y donnent traditionnellement, a-t-on encore dit plus haut.
Les métonymies de la corrida
Le fourgon, stationné en marche arrière sous l’arche, porte ensuite un logo, celui d’un boucher bien connu, « Bigard ». Cette présence insolite de ce camion de boucher est ce qu’on nomme une métonymie. À vrai dire, on ne reconnaît pas moins de trois métonymies, car cette scène présente à la fois des parties pour le tout et l’effet pour la cause
1- Deux arches et deux pilastres suffisent à désigner un amphithéâtre et d’autre part, le fourgon au logo reconnu renvoie à l’activité de la boucherie tout entière.
2- Quant à l’effet exhibé, ce n’est n’est ni plus ni moins que l’issue programmée de la corrida qui est ici affichée : un fourgon de boucher attend sa livraison de viande qui ne peut être que celle du taureau que les toreros sont encore en train de faire courir dans l’arène sous les ovations du public, et d’affaiblir en le lardant de banderilles avant de lui plonger l’épée entre les omoplates dans une ultime estocade.
En somme ce fourgon de boucher en attente apparaît à lui seul comme une métonymie de la corrida, qui, le cérémonial excepté, n’est qu’une variante de l’activité bouchère. Et de fait, par le vantail du portail entrouvert, on a pu voir une masse noire au sol traînée par un attelage d’ânes ou de mulets, emportée de l’arène vers le camion en attente. Qu’on regarde la photo qu’on a prise, ci-dessous : le regard de l’âne ou du mulet est à lui seul une autre métonymie : n’y lit-on pas tout le plaisir qu’il y a, en cet instant, à être un âne ou un mulet et non pas un taureau ?
On sait d’avance qu’on va horrifier les passionnés de tauromachie. Mais ce fourgon sous une arche de l’amphithéâtre de Nîmes, à deux pas d’un long camion qui achemine les taureaux de l’élevage à l’arène, offre un raccourci du spectacle qui fait vibrer les aficionados. Si cérémonieuse que soit la corrida, elle ne peut être rapprochés des autres arts ou sports. Au théâtre, sans doute, il arrive que les personnages meurent sur scène, mais, Dieu merci, les acteurs qui les incarnent restent bien vivants. Dans l’art de la corrida, un des acteurs est obligatoirement condamné à mourir : c’est le taureau en général, quoiqu’il arrive que le torero y laisse la vie. Pour mesurer la cruauté programmée de ce spectacle, il suffit d’imaginer qu’à côté du fourgon de boucherie dans l’attente de chair fraîche, stationne sous une autre arche un corbillard. Paul Villach
Documents joints à cet article

10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON