La fin de la guerre en Ukraine, et ce qu’elle présage pour l’avenir du monde
Qu’en est-il de la guerre elle-même en Ukraine ? De l’armée russe qui a envahi l’Ukraine le 24 février 2022 ? Tout d’abord, avant de comprendre ce qui se passe dans ce conflit, il faut s'interroger sur ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui, depuis la découverte de l’arme nucléaire. Par exemple, l’Occident n’a opté pour l’OTAN, une organisation atlantique largement supervisée par les États-Unis, que parce que le monde est devenu réellement dangereux. Depuis le monde bipolaire avec l’avènement de deux superpuissances, les États-Unis et l’Union soviétique, après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une course pour l’armement nucléaire s’est engagée mettant face à face les arsenaux nucléaires américains à ceux de l’ex-URSS ; les deux grandes puissances ne visaient plus à développer de grandes armées comme ce fut le cas avant 1945 où l’élément humain et l’armement conventionnel jouaient un rôle déterminant dans les guerres. Y compris pour les puissances européennes.
Les chars d’assaut fussent-ils les plus blindés, les plus perfectionnés ne pesaient plus devant les armes nucléaires balistiques tactiques et stratégiques (ICBM) disposés partout et toujours plus proche du camp opposé pour gagner de précieuses minutes pour frapper ou riposter dans les minutes qui suivent l’attaque nucléaire ennemie.
Comme les sous-marins nucléaires qui se cachent pendant des mois sous l’eau et ne sont pas détectés, et, dotés d’armes nucléaires tactiques, peuvent tout aussi frapper les bases militaires, lieu de déploiement des forces armées, les villes, etc., dans les minutes qui suivent l’ordre de procéder aux tirs missiles ; il en va de même pour les avions stratégiques porteurs d’armes nucléaires qui patrouillent jour et nuit dans les zones internationales, prêts à déclencher le feu nucléaire sur l’ennemi.
Une situation complètement nouvelle pour les grandes puissances contrairement aux autres pays d’Asie et d’Afrique qui sont encore dans les organisations militaires passées, obligés de disposer d’armées où l’élément humain avec l’armement conventionnel est primordial pour leur défense nationale ; à la fois pour prémunir ces jeunes États contre la déstabilisation issue de forces extérieures et contre les troubles internes. Bien sûr, les autres puissances nucléaires, comme la Grande-Bretagne, la France, la Chine, sont aussi dotées d’armes nucléaires mais leurs arsenaux sont sans comparaison avec ceux des deux grandes puissances nucléaires du monde, les États-Unis et la Russie.
Il faut rappeler qu’en 1945, l’Union soviétique avait 25 000 chars, alors qu’aux États-Unis, pour la seule année 1942, la production d’armements était établie pour 60 000 avions, 45 000 chars et 8 millions de tonnes de matériel, et, en 1943, de 125 000 avions, 75 000 chars et 11 millions de tonnes de matériel. » (1)
Les chiffres de 25 000 chars pour l’URSS et les prévisions pour 1943 de 125 000 avions, 75 000 chars pour les États-Unis donnent le tournis. Alors qu’avec l’avènement de la bombe atomique, tous les plans d’armement des puissances ont été bouleversés, une guerre entre les puissances avec des armes conventionnelles n’avait désormais plus de sens. Bref, l’arme nucléaire a interdit les guerres entre les puissances ; c’est la raison pour laquelle, les chiffres récents de l’Atlas sociologique mondial ne portent que sur les chars lourds, les États-Unis, la Chine et la Russie n’ont respectivement plus que 2645, 4800 et 7073 chars de combat, loin des chiffres de 1945. Quant à la défense aérienne, elle comprend essentiellement des missiles de courte et moyenne portée et des missiles balistiques tactiques et stratégiques intercontinentales ; les trois puissances ont respectivement 1192, 9104, 3275 missiles, tous vecteurs confondus.
Pour le nombre d’ogives nucléaires, la Russie est la première puissance nucléaire mondiale. Selon les estimations de la Federation of American scientists (FAS) pour l'année 2023, la Russie détiendrait au total 5 889 ogives nucléaires, les États-Unis 5 244 ogives nucléaires ; au total, ces deux superpuissances détiendraient 90 % des armes nucléaires dans le monde, ce qui signifie que chaque missile balistique intercontinental (ICBM) peut transporter plusieurs ogives nucléaires (à têtes et cibles multiples).
Arrivent ensuite, loin derrière, la Chine, troisième puissance nucléaire mondiale avec 410 ogives, un volume en hausse par rapport à 2022, la France (290), le Royaume-Uni (225), le Pakistan (165), l'Inde (160), Israël (90) et la Corée du Nord (30).
Que peut-on dire de ce changement de paradigme du monde ? Alors que les puissances qui ne savent qu’une chose « faire tout ce qui est nécessaire pour vaincre tout adversaire qui se met en travers de leurs plans ». La nouvelle arme atomique n’a-t-elle pas changé leurs plans de puissance ? Ne les a-t-elle pas poussé à mettre fin à la guerre, a fortiori quand la Deuxième Guerre mondiale a fait entre 60 et 80 millions de morts, environ 2,5% de la population mondiale de l’époque, en 6 ans, et autant sinon plus de blessés et d’handicapés à vie.
On comprend que les pertes humaines uniques dans l’histoire et l’avènement de l’arme atomique ont poussé les grandes nations à rechercher la paix, ce qui les a amenés à reconsidérer le Pacte de la Société des Nations qui a été créée à la fin du Premier Conflit mondial et le remplacer par une Organisation des Nations Unies visant à consacrer une « paix universelle ». Tous les États du monde devaient obéir à un directoire constitué de quelques membres, les principaux pays sortis victorieux en 1945, qui est le Conseil de sécurité de l’ONU, dont chacun pouvait bloquer les autres, plutôt qu’à un hégémon se déterminant entièrement à sa seule volonté.
De Onze membres initialement, cinq permanents et six non-permanents, le Conseil de sécurité a été porté à Quinze, par un amendement adopté le 17 décembre 1963 ; la résolution de cet amendement qui porta le nombre de membres non-permanents à dix fixa, dans son article 3, le nombre de représentants par zone géographique.
Quoique l’on dise, l’Organisation des Nations Unies a été un progrès majeur ; quand bien même des conflits graves pouvaient surgir et opposer les membres du Conseil, celui-ci ne pouvait en aucun cas prendre des mesures collectives contre un des membres permanents, et ce en rapport du rang de puissance nucléaire que chaque membre a dans le Conseil. Ce qui explique l’importance du « droit de véto » ; c’est dire que le blocage du Conseil de sécurité est régi par l’arme nucléaire, obligeant les membres permanents du Conseil de sécurité de trouver des solutions aux conflits entre eux et éviter tout dérapage pouvant provoquer une troisième guerre mondiale, qui serait apocalyptique pour l’ensemble de l’humanité.
Mais comment l’humanité est arrivée à cette Organisation de Nations Unies ? Il faut rappeler les événements historiques qui ont joué dans cette année-charnière que fut l’année 1945. Alors que, par un curieux hasard, la Charte des nations Unis a été adoptée à la fin de la Conférence de San Francisco, le 26 juin 1945 ; moins d’un mois plus tard, le 16 juillet à 5h 29, une bombe atomique explosait pour la première fois au Nouveau-Mexique, aux États-Unis ; moins d’un mois plus tard, deux bombes sont larguées sur Hiroshima et Nagasaki, le 6 et 9 août 1945 ; moins d’un mois plus tard, le 2 septembre 1945, le Japon signait l’acte de capitulation.
Pourquoi ces événements qui se suivaient deux mois, après la capitulation de l’Allemagne hitlérienne ? C’est que le monde s’est engagé malgré lui dans un nouveau paradigme de l’histoire qui n’a plus rien à voir avec les années ante-1945, un nouvel état du monde se mettait en place.
La guerre de Corée (1950-1953) est venue mettre fin à l’occupation américaine du Japon qui a duré six années et quatre mois ; et c’est cette guerre de Corée qui a provoqué le retournement de la stratégie américaine ; les États-Unis ont compris qu’ils devaient mettre fin à l’occupation et aider à tout prix le Japon pour mettre ce pays asiatique leur côté face à l’Union soviétique et la Chine. En 1953, l’armistice est signé entre la Chine, la Corée du Nord et le représentant des Nations Unies.
Force de dire que l’histoire de l’humanité est rationnelle en tout point, elle s’égrène comme une horloge céleste. On peut dire qu’il y a quelque part un Esprit céleste dans le tout-monde humain ; les êtres humains quand bien même sont dotés du libre-arbitre ne connaissent pas leur destinée, leur avenir. On ne peut en douter que, sans l’arme atomique, la paix entre les puissances mondiales n’aurait jamais duré, d’autres guerres auraient continué à opposer les puissances.
Par le phénomène nucléaire, chaque bombe atomique est en quelque sorte une déflagration ressemblant à un soleil qui fuse instantanément sur terre, avec des effets absolument apocalyptiques. Force de dire que la bombe atomique est venue mettre un terme aux guerres entre grandes puissances qui, si elles venaient à se déclencher, se termineraient par une Troisième Guerre mondiale effroyable mettant à néant ce que l’Esprit céleste a élevé depuis des millions d’années.
Dans ce cas, on pourrait dire que ce ne serait pas les êtres humains qui auront déclenché une Troisième mondiale mais l’Esprit du monde qui aura décidé de transformer la terre en hiver nucléaire, et peut-être même la fin de l’espèce humaine sur terre.
On comprend alors pourquoi la découverte de l’arme nucléaire n’est pas restée aux seuls États-Unis, elle a été « distribuée » aux autres puissances avant même que l’arme soit devenue thermonucléaire. En 1949, l’URSS qui a fait son premier essai nucléaire s’est placé à parité avec les États-Unis ; entre 1952 et 1953, ces deux puissances sont arrivées presque en même temps à parité sur le plan des armes thermonucléaires (1er novembre 1952 pour les États-Unis, 12 août 1953 pour l’URSS).
Vient ensuite la Chine en 1967, la France en 1966 ; c’est dire que l’ordre de l’humanité est bien agencé ; que cette humanité ne cesse d’être frondeuse, belliqueuse, il demeure qu’elle s’est trouvée assagie par ce mystère qu’est la bombe et qui ne s’emploie que par quelque mystère propre à elle. Et les grands pays, bien qu’ils soient les concepteurs de cette arme, ils sont suffisamment éclairés pour n’en faire pas appel.
Précisément, le progrès technique nous humanise et les guerres des petites aux plus grandes ne durent qu’un temps. Et, on le voit aujourd’hui encore, dans la guerre en Ukraine. Après 78 ans de paix depuis 1945, hormis quelque escarmouche (Corée, Cuba), entre les puissances, pour la première fois éclate réellement un grand conflit en Europe, opposant cette fois-ci les grandes puissances par pays interposé, mais où la Russie est partie prenante et l’Occident est aussi partie prenante par l’aide massive qu’il octroie à l’Ukraine, sauf qu’il ne participe pas aux combats.
Les guerres par procuration entre les grandes puissances n’ont jamais cessé ; au lieu de s’opposer directement, les grandes puissances pour éviter le pire s’affrontent par pays interposé ; que ce soit en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, en Amérique du sud, le processus est toujours le même « armer et financer un pays contre un adversaire contre lequel un conflit direct est impossible, du fait de sa possession d’armes nucléaires. »
Les guerres menées par les États-Unis au Vietnam, en Irak, en Afghanistan, en Syrie et dans d’autres régions du monde ou la guerre menée par l’Union soviétique en Afghanistan n’ont été permises que parce que ce sont des conflits locaux et ne menacent pas la paix mondiale. Aussi peut-on poser la question : « Qu’en sera-t-il de la guerre en Ukraine ? Sera-t-elle une énième guerre par procuration ? Et quelles en seront les conséquences ? »
L’Ukraine soutenue par l’Occident certes a été envahie par la Russie ; les deux camps, Occident et Russie, s’opposent mais sont neutralisés par l’arme nucléaire ; la guerre va se poursuivre en Ukraine tant que les pays occidentaux continueront à penser que l’Ukraine pourrait acculer la Russie à reculer, surtout qu’ils n’ont pas d’alternative ; leur seul espoir est que l’Ukraine arrivera avec ses contre-offensives à percer les lignes du front russe, provoquer le recul des forces russes jusqu’à les sortir du territoire de l’Ukraine.
Et cet espoir existe, ce qui fait durer la guerre en Ukraine. Le problème, c’est qu’après une année et demie, c’est le statu quo, la contre-offensive depuis juin 2023 patine ; il y a très peu de progrès pour l’armée ukrainienne, malgré tous les armements que l’Occident lui a fourni et promet de lui fournir ; et le gouvernement de Kiev ne peut plus reculer car il en va de sa survie.
La guerre par procuration en Ukraine ne ressemble pas aux autres guerres par procuration des années passées ; tout d’abord, elle se déroule à quelques centaines de km de Moscou, la capitale de la Russie, ce qui a un sens géostratégique pour les décideurs russes et occidentaux, d’autre part, en tant que grande puissance nucléaire, la Russie ne pourra en aucun cas accepter une défaite puisque, pour Moscou, la guerre menée en Ukraine n’est qu’une opération militaire spéciale. En clair, il n’y a pas eu de mobilisation générale, pour la Russie, c’est une opération militaire pour protéger les populations russophones d’origine russe ; si elle a envahi l’Ukraine, et s’est terminé par l’annexion de quatre régions ukrainiennes, c’est qu’il n’y avait pas de solution, ce qui explique le recours à la force du côté russe.
L’armée ukrainienne pourra-t-elle déloger la Russie des régions du Donbass où deux Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ont choisi de rejoindre la Russie, de même les régions de Kherson et Zaporijjia ? La guerre sera extrêmement difficile, l’espoir sera toujours du côté de l’Ukraine et des pays occidentaux qui ne peuvent mettre fin à la guerre et permettre à la Russie de conserver ces régions annexées ; ce serait une catastrophe tant pour le gouvernement de Kiev comme pour l’Occident, des conséquences incalculables.
Il reste que la réalité est là ; toute guerre finira par se terminer ; l’usure aidant, l’épuisement, le manque de progrès dans les contre-offensives ukrainiennes vont de plus en plus s’avérer lancinants malgré les tirs de missiles et drones qui ne sont qu’accessoires et ne font pas reculer l’armée russe. La guerre a commencé le 24 février 2022, elle se poursuit aujourd’hui, on est en 2023, elle se poursuivra certainement en 2024 sauf événement majeur qui y mettra fin, mais, en 2025, la guerre avec toujours ce statu quo, il est peu probable qu’elle continuera en 2025.
Forcément, sans progrès sur les théâtres de combats, les armements livrés par l’Occident n’ayant pas produit les effets escomptés, une prise de conscience par les pays occidentaux de l’impasse dans cette situation de guerre en Ukraine va progressivement se faire jour. Avec de plus en plus de réticences de fournir des armements, une nouvelle situation va se mettre en place, qui sera déterminante dans la fin de la guerre. L’Occident sera obligé d’arrêter l’aide en armements et le gouvernement de Kiev dépendant de l’Occident ne pourra alors que négocier la fin de la guerre avec la Russie. Et peu importe qu’il abandonne les quatre territoires à la Russie.
Les négociations seront âpres parce que la Russie mettra des conditions à la fin de la guerre, et pas seulement l’acceptation de l’Ukraine des quatre régions annexées par la Russie ; elle imposera à l’Ukraine une interdiction de se doter de l’arme nucléaire. Mais, sur ce point, quand bien même l’Ukraine accèdera à devenir une puissance nucléaire comme Israël, une puissance nucléaire non déclarée ou comme la Corée du Nord, une puissance déclarée, elle sera toujours limitée face à la Russie, sur le plan nucléaire et sur le plan géographique. Une guerre nucléaire avec la Russie aura des conséquences gravissimes pour l’Ukraine et beaucoup moins pour la Russie, qui a un territoire de 17 millions de km2, le plus grand du monde, comparé au territoire ukrainien de 460 000 km2, si on retranche les 140 000 km2 des quatre territoires annexées et de la Crimée.
Force de dire que la guerre est déjà jouée, que c’est la réalité du terrain, i.e. les théâtres de combat, et le temps qui mettront fin à la guerre. L’Occident a essayé avec l’Ukraine pour étendre l’OTAN à toute l’Europe orientale ; il a certes réussi puisque, avec cette guerre, il est passé de 30 à 31 avec l’entrée de la Finlande, et il va passer à 32 avec l’entrée de la Suède ; mais cette guerre lui aura permis de prendre conscience que ce n’est pas en augmentant le nombre de pays dans l’OTAN qu’il va dominer les autres grandes puissances.
On peut même dire que c’est le but historique même de cette guerre en Ukraine qui se joue aujourd’hui pour que les pays occidentaux prennent conscience d’eux-mêmes, de leur stratégie de puissance, de domination, qui n’est pas porteuse, n’amenant que les conflits et les guerres ; et certainement qu’ils seront plus réalistes. C’est très possible que c’est là le sens historique de la fin de la guerre en Ukraine, dans ce qu’elle présage pour l’avenir du monde.
Medjdoub Hamed
Chercheur indépendant en Economie mondiale,
Relations internationales et Guerres
Note :
1. « 6 janvier 1942 : Roosevelt joue cartes sur table devant le Congrès », le 1er janvier 2022
http://lhistoireenrafale.lunion.fr/2016/01/05/6-janvier-1942-roosevelt-joue-cartes-sur-table-devant-le-congres/
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