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La fin de la navette spatiale 6) la NASA et son incapacité à gérer les risques

L'épisode précédent nous le disait : la NASA, administration de taille devenue démesurée, est totalement incapable d'évaluer correctement les risques, ce qui met constamment en danger ses cosmonautes. La judicieuse comparaison faite par Roy Brander dans l'épisode précédent entre la catastrophe du Titanic et celle de Challenger était très éloquente. Les deux se sont produites à la suite d'enchaînements de décisions inconsidérées, de mauvaises évaluations des risques, à partir d'une simple donnée climatique différente de l'ordinaire. La Nasa a réussi à démontrer que dès 1986 elle était arrivée à un stade avancé d'incompétence. On pouvait s'attendre à ce que les 32 mois de purgatoire qui suivraient lui serviraient de leçon. Même pas : les lancements et les missions ont continué à être entachés d'erreurs et d'incidents qui auraient pu tourner au drame, comme pour ce fameux vol du 6 décembre 1988 (STS-27), sans que la lourde administration qu'est devenue la NASA ne se résolve à prendre des décisions plus rigoureuses de sécurité, notamment à propos du deuxième problème fondamental de l'appareil qui est son réservoir central et surtout son revêtement. Jusqu'au jour ou cela va tourner à un second Titanic, où là encore la NASA ne saura pas répondre correctement à un problème évident. Quand bien même elle aurait demandé à une navette abîmée de rester en orbite, la durée de préparation d'une de secours aurait mis en difficulté l'équipage, qui n'aurait même pas pu chercher secours auprès de l'ISS : Columbia ne disposait même pas d'un collier d'amarrage pour y mettre en sécurité ses occupants !

Challenger n'a donc hélas pas suffit. Les pontes de l'armée ont repris le dessus et ont à nouveau poussé à la roue. La dernière mission secrète de Navette aurait été parait-il la 53eme, qui a eu lieue le en décembre 1992 (pour le 15 eme vol de Discovery et le largage de l'imposant satellite SDS-2 de la CIA). Ce qui signifie que depuis cette date, les militaires américains se sont dégottés un autre joujou pour livrer en orbite des satellites de la taille d'un bus, où pour aller espionner les satellites de l'adversaire, désormais plutôt chinois que russes, quoique... Malgré ce fait, les missions ont donc continué, toutes civiles désormais nous assure-t-on. Etrange en ce cas le nombre de militaires encore à bord des derniers vols.., mais en dehors de cela, depuis Challenger, ce qu'il faut noter, c'est que les vols se sont surtout beaucoup espacés. L'année 1985 avait vu un record de 9 vols (sur les 52 prévus dans le projet au départ. un par semaine !), et dès 1999 on était déjà descendu à trois seulement ! De 1985 à 2005, la moyenne des vols, c'est simple est descendue à 5 par an, soit 10 fois moins que ce qui était prévu sous l'ère Nixon ! Le 10 mars 2010, dans une tribune de The Hill, Don Beattie, un ancien manager de la Nasa préconisait pourtant de maintenir jusque 2020... 2 vols de navette par an encore maximum. Et encore, pour tenter d'amortir les investissements consentis, la re-construction d'une navette supplémentaire !

A 1,5 milliard de dollars chaque lancement on peut aisément le comprendre : l'engin qui devait "démocratiser" le vol spatial est devenu un échec économique patent. Chaque engin avait été prévu pour voler 100 fois avant de partir en retraite. On en est loin, à peine au tiers. Discovery a pris sa retraite après 39 vols, Challenger a fait seulement 10 vols, Atlantis effectuera sa dernière en juin prochain alors que ce n'est que la 33eme, Endeavour, la plus "jeune" (construite pour remplacer Challenger) en a fait 25 à peine (et est en train d'effectuer son dernier vol), Columbia s'est crashé au bout de 28 vols... Les cinq, au total, n'auront fait que 135 vols. On en attendait 400 ! Les vols s'étant espacés depuis 1986, les engins volant moins, on aurait pu s'attendre à un vieillissement moins important par cellule construite. C'est oublier que les vibrations sont telles à bord que le métal vieillit plus vite que prévu, et que la conception des engins datant des années 70, pas mal de choses à bord sont obsolètes, notamment l'informatique de bord, qui en est restée aux tores de ferrites comme capacité mémoire, ou au DOS comme système d'exploitation des données sur les disques durs. Vu d'un œil d'aujourd'hui, la navette utilise des appareils dignes de la préhistoire de l' informatique.  A bord, les ordinateurs étaient au départ des IBM AP 101 modifiés (consommant 600 watts chacun et pesant 25 kilos !) programmés en langage assembleur et en Fortran, dont il devient difficile aujourd'hui de trouver des spécialistes en cas de panne. Ils ont été "modernisés" dans les années 90... la puce centrale se trouvait déjà dans les B-52 et les F-15 et elle date des IBM 360 sortis en 1964 ! ce qui veut dire que la RAM à bord est désormais de 256 K (et non pas Mo !), par ordinateur, c'est à dire qu'un ordinateur portable actuel doté de 2 Gigas de RAM est 7812 fois plus puissant déjà que l'un de ceux de la navette... Comme mémoire, donc, des plaques de tores de ferrite, et pour les données des disques formatés sous DOS. Autrement dit : c'est complètement archaïque ! Pour donner une idée de comparaison, l'ordinateur le plus puissant au monde, en 1985, est le Cray 2, aux rangées de mémoires refroidies par perfluorocarbure. Un universitaire US, le Dr. Jack Dongarra de l'Oak Ridge National Laboratory (de l'Université du Tenessee), vient de remarquer que l'Ipad2 avec lequel j'ai rédigé un bon tiers de cet article est plus puissant que lui... "De la taille d'une machine à laver, il était immergé dans un liquide de refroidissement, le Fluorinert, très efficace à l'époque. Un cœur du processeur de l'iPad 2 est aussi puissant qu'une version quatre processeurs du Cray 2 avec une puissance totale estimée à 1,5-1,65 gigaflops" C'est sur le Cray One sorti en 1976 et construit à 16 exemplaires seulement que furent créés les premiers flux de modélisation de l'air autour de la navette. L'engin pesait 5 tonnes et culminait à 166 mégaflops. L'iPhone version 3.1 en fait le double.

Mais il n'y a pas que l'état technique des lieux qui est à déplorer. Pour l'accident de Columbia, la NASA va remettre en marche son train à ne pas savoir gérer les crises. Un train qui va vite prendre son rythme de croisière de sénateur pour arriver au final à sept cadavres de plus. Ce jour, là, pourtant, pas de glace visible sur le pas de tir. On en est au 102 eme vol, et à ce stade, malgré Challenger, une routine évidente est apparue. L'engin est un appareil historique : c'est cette navette qui a fait le tout premier vol de navette le le 12 avril 1981, le jour même du vingtième anniversaire du premier vol spatial de Gagarine. Ce jour-là, c'est son 28 eme décollage, celui d'un engin âgé de 24 ans déjà. Les navettes, on vous l'a dit, sont composés d'un vaisseau spatial et de deux sources d'énergie : celle des boosters à poudre, dont on a déjà étudié le danger potentiel et l'énorme réservoir à hydrogène et oxygène liquide , une sorte de bidon d'aluminium mince, entièrement recouvert de polystyrène floqué pour servir d'isolant, de dimension impressionnante : 46,7 mètres de long pour un diamètre de 8,40 mètres. Autrement dit un engin encombrant, qui doit être amené par bateau avant d'être relevé au milieu de l'immense VAB qui a servi à Saturn-Apollo. 

Assez vite lors des missions, cet élément, peint au départ en blanc, va poser de sérieux problèmes. Toute sa carrière sera marquée par des fuites à répétitions. Ce qui est ennuyeux : la gigantesque bouteille thermos de 738 tonnes à plein contient en effet "half a millions of gallons" de liquide, soit la bagatelle de 5 430 000 litres (pour 630 tonnes) d’oxygène liquide et 1 465 000 litres d’hydrogène liquide, soit (environ 108 t). A vide, il ne fait que 32 tonnes, et même 29 seulement dans sa nouvelle version "allégée" jusque 1998, année où il a encore été allégé pour ne plus peser que 26 tonnes.

L'assemblage navette-réservoir ce fait sur trois poins : un au sommet du réservoir, par une poutre en V, et deux sont situés en bas. Mais les boosters aussi y sont attachés : en haut dans la zone où les deux réservoirs se rejoignent, et une plus bas. Pour faire parvenir l'oxygène du réservoir du haut, une énorme canalisation de 43 cm de diamètre transporte le fluide à raison de de 1,3 tonne par seconde, sans traverser le réservoir d'hydrogène mais en courant tout le long à l'extérieur pour rejoindre les moteurs de la navette. Le réservoir d'hydrogène faisant de même par un circuit beaucoup plus court, étant plus près des moteurs. Pour remplir la bouteille thermos il faut 5 bonnes heures, celles qui précèdent le lancement. Le réservoir du haut est rempli en premier en oxygène à -4H30 du départ, celui d'hydrogène à -2H50. Deux bras liés à la tour d'accès fournissent les compléments des litres évaporés jusqu'à -2 minutes du départ. Les énormes moteurs liés à la navette, ont été conçus au départ pour résister à 27 000 secondes de fonctionnement (450 minutes, soit 7 heures et demie) à plein régime ne fonctionnent que pendant 8 minutes dans le vol. En réalité, chaque moteur résiste à 30 vols pas plus : leurs pompes dévorent 423 kg d'oxygène liquide et 70 kg d'hydrogène liquide par seconde ! Technologiquement, la plomberie des moteurs est très avancée.

Le point essentiel du réservoir, c'est son... nez, qui paraît si anodin. Il a fallu en fait des centaines d'heures de calculs aux techniciens de la NASA pour déterminer la bonne forme du cône du sommet, car c'est lui qui va renvoyer lors de l'ascension fulgurante de l'engin la pression d'air sur les ailes.  Sa forme n'est donc pas anodine, justement, et assemble trois cônes successifs. Cette pointe vitale située au sommet de l'énorme réservoir comporte trois petites "palettes" plates, chargées d'optimiser le flux d'air. Plutôt discret, le dispositif est donc fondamental lors de la phase délicate du décollage. Il ne suffira pas pour autant à éloigner le bloc de mousse fatal du bord d'attaque de l'aile. En laboratoire, les spécialistes reproduiront mathématiquement ce flux.

Le revêtement de mousse floquée a toujours posé problème, le revêtement se craquant régulièrement, sans oublier des problèmes générés par les habitants des alentours : oiseaux, chassés régulièrement, mais aussi... chauve-souris, dont certaines ont élu domicile au sein même du VAB. Le moindre bobo et la galère commence : il faut décaper la mousse sur une portion déterminée, assurer la jonction avec le morceau changé, et faire attention à ne pas scraper au passage les fils électriques noyés dans la mousse pour les différents capteurs disséminés. Une vraie galère, assurément, quand il s'agit de le faire au sol, à plat, ou lorsque le réservoir est maintenu verticalement. Car à la moindre grêle sur le pas de tir, c'est la catastrophe... A en devenir parfois assez acrobatique. Et parfois, les techniciens découvrent sous la mousse... un revêtement d'aluminium qui est fendillé... la NASA recensera 5 points clés de possibilité de fragilisation de la mousse sur le réservoir. Des caméras placées sur les boosters et sur la navette dès 2005 filmeront le réservoir en train de redescendre dans l'Atlantique, avec de larges traces de mousse manquante...

C'est justement un morceau de cette mousse, chargé de glace générée par le maintien du refroidissement de l'oxygène liquide, situé dans la partie supérieure du réservoir qui va se détacher en altitude et à grande vitesse, et non comme pour les précédents à peine la navette arrachée de son pas de tir. Résultat, un bloc estimé à plusieurs dizaines de kilos de glace (de mousse enrobée de glace) vient frapper a plusieurs centaines de km/h l'aile gauche de la navette, frappant de plein fouet le bord d'attaque en carbone-carbone, sur l'un de ses 22 éléments renforcés spécialement. Conçu pour résister à la chaleur, recouvert de tetraethyl orthosilicate (ou TEOS, qui donne aussi l'aérogel), mais relativement fragile aux chocs, ce qu'on s'est bien gardé de médiatiser. Les caméras, rajoutées depuis l'explosion de Challenger, ont filmé toute la scène, mais elles n'ont rien vu : ce n'est que le lendemain que des vues en provenance de caméra haute définition qu'un sérieux doute va s'installer chez certains techniciens : à peine les premières images haute définition connues, les responsables de la NASA réunissent une procédure de crise, ce qui est plutôt un bon réflexe, à vrai dire. Le problème, c'est que l'administration américaine, engoncée dans ses vieux travers, va complètement passer à côté du sujet. La gestion des risques lui a déjà échappé une fois, elle va récidiver, de façon encore plus caricaturale cette fois. Un panel d'individus va condamner les sept occupants de la navette, en leur laissant miroiter un retour sur terre sans encombre, alors qu'un simple principe de précaution aurait dû l'interdire formellement. La machine avait été certes défaillante, mais en définitive ce sont les cols blancs qui vont tuer les sept cosmonautes, en ne prenant pas la décision qu'il fallait prendre, qui s'avérait complexe et surtout fort coûteuse à mettre en place. A-t-on sacrifié les cosmonautes pour des principes d'économie ? D'une certaine manière, oui.

Le vol STS-107 du 1er février 2003, en fait le 113eme décolllage de navette, avait pourtant bien commencé. Ou plutôt, il avait fini par se produire, après pas moins de... 18 reports dûs à des problèmes techniques, le décollage initial étant prévu au 11 janvier 2001 ! Le 19 juillet 2002, alors que la navette était acheminée sur son pas de tir, on avait découvert des criques dans le circuit de distribution de l'hydrogène liquide, et le vol avait été annulé. Columbia avait laissé 6 vols devant elle avant de pouvoir redécoller du complexe 39-A : ses réparations internes avaient été fastidieuses. Bref, le modèle déjà vieillissant, malgré l'accomplissement d'à peine le 1/3 de son contrat initial n'était plus déjà au mieux de sa forme. Les caméras haute définition, le lendemain du décollage révèlent donc qu'un imposant morceau de mousse s'est échappé du sommet du réservoir pour heurter l'aile gauche de la navette. En réalité, ce n'est pas la première fois que ça se produisait : le vol STS-7 de 1983 a déjà connu le même déboire, comme les STS-32 (de 1990), le STS-50 (de 1992), ou les STS-52 a et 62), qui ont tous montré la même chose : des blocs de mousse détachés du réservoir central. En avril 2001 après le vol STS-102, le panneau N°10 en Carbone-Carbone de l'aile gauche de Columbia avait dû être changé, avec la découverte d'une belle écorchure dessus. Le panneau avait tout d'abord était réparé, puis ensuite totalement changé. Des images impressionnantes avaient été prises, et notamment celle des profondes écorchures subies par le dessous de la navette avec les projections de blocs. A ce jour, ces images dérangeantes pour le grand public, au regard de la sécurité de l'équipage, avaient été gardées secrètes.

En somme c'était devenu aussi un sorte de routine malsaine : la NASA savait que ça se produisait, avec recouru à quelques réparations en forme de "patchs" (carrossage aérodynamique ajouté, injection de résine, etc), mais n'avait jamais su les en empêcher. Cette fois-ci, c'est autre chose : le bloc s'est détaché à 20 000 m de haut, la navette s'arrachant alors à Mach 2,46, et l'impact du bloc détaché de glace collée au morceau de mousse, dont la taille avoisinait un attaché-case, avait été conséquent. En laboratoire, une sorte de canon reproduira le phénomène sur une portion complète de bord d'attaque emprunté à une autre navette existante percera un trou de 25x50 cm sur une des plaques de "carbone-carbone". La navette Columbia était déjà "doomed" comme on dit là-bas, au bout d'une minute et 20 secondes de vol : elle était condamnée. Avec un trou pareil dans l'aile, c'est une mort certaine qui attendait tout l'équipage lors de la rentrée. Lors du vol STS-107, il n'est pas dit que le trou aît été aussi important : on penche plutôt pour l'hypothèse d'une craquelure qui se serait agrandie sous la pression du plasma créée par le frottement des couches basses de l'atmosphère.

La définition des caméras de l'époque suivant au sol le décollage n'était en effet pas suffisante pour déterminer l'étendue exacte des dégâts. Ce n'est que plus tard, en 2005, que la NASA, afin de vérifier le bon état de la navette pendant son ascension, utilisera un avion très spécial, capable de grimper très haut, pour prendre des images hautes résolution afin de déterminer au mieux si des dégâts se produisent à nouveau : ne sachant toujours pas vraiment les éviter, on avait une nouvelle fois palié au plus pressé avec une solution coûteuse fort bâtarde. L'engin volant, un RB57F modifié devenu NASA 926, chargé de prendre les vues ayant en effet une allure fort curieuse à vrai dire. Le doute s'était quand même installé : les clichés de l'Intercenter Photo Working Group, une équipe montée après l catastrophe de Challenger, chargée de surveiller le bon déroulement de l'équipage, montrent qu'à 81 secondes et 9 dixièmes du vol quelque chose a heurté l'aile gauche. Cinq jours après le décollage, l'inquiétude née avec cette découverte a grandi. Des mails sont échangés entre ingénieurs, avec une certaine tension qui monte entre les catastrophistes, qui demandent à interrompre le déroulement de la mission et de s'activer vers une mission de sauvetage, et les rassurants, qui prédisent que le comportement en vol n'ayant pas été modifié lors de l'ascension, les vibrations ayant été normales, il n'y a que fort peu de risques lors de la rentrée. A bord, les cosmonautes n'ont aucun équipement de sortie qui leur permette de vérifier l'état de leur navette, et le bras articulé qui pourrait aller inspecter l'endroit touché n'a pas de caméra à son bout. On leur a demandé de tourner la face du dessous de la navette pour que les occupants de l'ISS puissent vérifier s'il y a des dégâts visibles. Personne n'en verra, hélas !

Au sol, un homme, pourtant, décrit en détail à ses collègues le danger en suspend : il ne sera pas écouté, ou n'arrivera pas à convaincre les autres : c'est le syndrome de Challenger qui recommence de la même façon. "Le 31 janvier, 03h45 CST à 17 heures avant l'accident. L'Ingénieur Kevin Johnson McCluney dans un e-mail à de nombreux collègues ingénieurs sera fort clairvoyant pour prévoir ce qui pourrait arriver étant donné le potentiel de dommages externes survenu au réservoir. « Si on suppose ce genre de dégâts, à cet endroit, on verra alors si un flux limité de plasma chaud entrer dans le passage de roue pendant la rentrée à environ 200.000 pieds. D'abord il y aurait une augmentation de la température des pneus, des freins, des amortisseurs, de l'actionneur et du retour de vérin d'accrochage. Ensuite, il est également prévu que liquide de frein augmente en pression. Les données ne commenceront à s'arrêter que lorsque le câblage électrique sera coupé. Or les indications de télémesure décrits avec précision par McCluney seront exactement les mêmes lors de la rentrée réelle de la navette". Un homme a bel et bien décrit noir sur blanc, 17 heures avant le drame, comment celui-ci allait se passer !

Pendant ce temps, la pression de l'équipe catastrophiste va décider la NASA a contacter ceux qui ont de meilleures caméras au sol : l'Armée, qui va tenter de vérifier l'état de l'aile. C'est la troisième demande faite à ce jour aux militaires. C'est l'unité de l'Air Force Starfire Optical Range de la base de Kirtland qui s'en chargera. Mais l'image produite ne révèlera rien. Or tout s'accèlère, on est déjà à la fin de la mission et au centre de Houston, la Entry Flight Control Team est déjà à l'œuvre, préparant les procédures de rentrée comme une autre routine, sans avoir été avertie du danger potentiel, explique le long rapport sur la catastrophe. Encore une fois, deux équipes n'ont pas communiqué, et aucune personne n' a réussi à convaincre les autres de ce danger. Ce que personne ne sait, c'est que la fente créé par l'impact est à un des pires endroits de la navette en cas de cassure. La plaque de carbone-carbone atteinte est une de celles parmi les plus proches de l'angle du caisson abritant le train gauche de l'appareil : si un flux de plasma s'y engouffre, au lieu de se limiter au bord d'attaque, il va se propager très rapidement via ce coffrage jusqu'au milieu de l'aile et la cisailler entièrement.  On retrouvera étalés au sol en premier les débris de l'aile gauche qui a été arrachée, et plus loin sur la trajectoire de rentrée ceux de l'aile droite. C'est point par point le terrible scénario énoncé par Kevin Johnson McCluney dans son e-mail !

Un autre ingénieur avait lui aussi averti : "Dennis Bushnell, un gestionnaire de Langley qui avait participé à la certification de la navette pour ses vols initiaux en 1980 et 1981, avait averti par courriel à un collègue dès le 5 février que la turbulence de la couche limite, amplifiée par les dégâts sur les tuiles, pourrait être une combinaison mortelle. "Si l'écoulement est turbulent au plus chaud de la pointe du bouclier thermique du bord d'attaque, cela pourrait brûler à travers les trappes de roue (et même avec des tuiles en bon état), avait-il écrit" après avoir visionné les photos haute-définition de l'impact du bloc de mousse détaché .

A 8:44:09 la navette entre donc dans l'atmosphère à Mach 25, ayant reçu le feu vert de la NASA, après 17 jours passés en orbite. A peine eu le temps de remarquer qu'à bord il y avait Ilan Ramon, pilote de chasse émérite israélien, envoyé faire quelques photos de très haute définition, dont celle-ci, et qu'il avait eu Ariel Sharon en direct par conversation télévisée. A 8:48:39, un senseur détecte une anomalie de température sur un des longerons de l'aile, mais ni la terre ni les cosmonautes ne s'en aperçoivent. La navette entame déjà sa série de "S" pour se ralentir : à 8:53:26 elle survole déjà les USA au dessus de Sacramento. Pour elle, c'est déjà fichu. Un des contrôleurs au sol annonce la perte d'info sur quatre capteurs de température de l'aile gauche, dont deux situés en arrière de l'aile près des élevons. Le plasma a déjà cisaillé les 2/3 de l'aile. A 8:53:46, une boule de feu apparaît, puis plusieurs : elle vient de commencer à se désintégrer. A 8:54:25, au dessus du Nevada, la lumière s'intensifie encore : à Mach 22.5 et 227 400 pieds (70 000 mètres), la navette s'est volatilisée en milliers de morceaux qui vont se répandre sur quatre états, étant donné l'altitude : l'Utah, l'Arizona, le Nouveau Mexique et le Texas. Elle ne rejoindra jamais Cap Kennedy où elle devait se poser à 9H16. A 8:54:24 ; le sol a reçu l'annonce de toute une série de dysfonctionnements émanants de capteurs de l'aile gauche. A 8:59 c'est la dernière transmission sonore avec le maleureux commandant de bord. "Mission Control radios : "Columbia, ici Houston, nous avons eu vos messages précédents sur les jauges de pression mais nous n'avons pas eu de réponse." Ce à quoi a répondu Columbia :"Roger, uh... ..."  et puis plus rien. A 9:00:18 , les capteurs des trains avant et principal gauche, n'indiquent plus rien : l'aile n'est déjà plus reliée au fuselage ! Une minute plus tard à peine, les premières vidéos de la navette se désintégrant apparaissent sur les écrans. Un des hommes de la salle de contrôle de la Mission Control team se précipite sur son responsable et lui dit "fermez les portes". La navette est perdue, inutile de s'échiner, il est temps de se préparer à une enquête, et il vaut mieux que les informations sensibles ne tombent pas tout de suite dans les oreilles des journalistes, qui avaient éreinté l'équipe responsable du suivi de Challenger. A 09:08:25, pourtant, le centre de Houston cherche toujours à joindre la navette, qui ne communique plus depuis huit bonnes minutes déjà. Tout est déjà terminé : les vidéos de l'anéantissement de Columbia tournent en boucle sur les écrans. A 10H30, le directeur de la NASA Sean OʼKeefe déclenche l'International Space Station and Space Shuttle Mishap Interagency Investigation Board en nommant l'amiral Harold W. Gehman Jr., retraité de l'U.S. Navy, à sa tête. Pour la deuxième fois de sa carrière, la navette a tué sept personnes. Réduites cette fois en miettes carbonisées. On indiquera avoir retrouvé comme restes humains un "torse carbonisé", "un crâne avec ses dents", et l'image d'un casque brûlé fera le tour du monde, symbole du peu qu'il restait des sept membres d'équipage.  Dans les débris on retrouvera pourtant des sacs presqu'intacts et surtout un disque dur ayant résisté à la chute, avec des données lisibles, celles d'une expérience tenue à bord lors du séjour en apesanteur. Ironie du sort, pendant la descente, le Starfire Optical Range prendra en photo la navette en train de descendre : à droite, et donc sous son aile gauche, une trainée inquiétante est déjà visible. Mais on ne peut déjà plus rien faire.

L'enquête démontrera que les craintes justifies de Kevin Johnson McCluney, et de Dennis Bushnell, mais révélera aussi que les fameux bord d'attaque en carbone étaient l'objet d'un vieillissement prématuré par création de micro-fissures parfois pas plus grosses qu'un cheveu.... provoquées par l'air marin du Cap Kennedy quand la navette restait trop longtemps sur son pas de tir, avaient noté les spécialistes. Pour y remédier "leur suggestion était simple : étendre l'équivalent d'une toile de peintre sur les ailes de la navette pour les protéger de l'air corrosif venu de la mer de Cap Canaveral et pour empêcher la formation de trous minuscules sur les bords des ailes. Ces trous - à peu près aussi large que trois cheveux humains ont commencé à apparaître sur les bords d'attaque des ailes de navette en 1992, d'abord sur Colombia, puis sur d'autres navettes d'autres. Les trous sont apparus après environ 10 vols. La plus ancienne des navettes, Columbia, s'est disloquée à la fin de son 28eme vol, or elle avait sur elle davantage de trous minuscules que tout autre navette, selon les rapports des techniciens de la NASA" . Les navettes, sujettes à un banal vieillissement de cellules étaient désormais bonnes pour la ferraille, victimes... du sel marin de Floride !  "Le sel interagit avec le silicium sur la surface du carbone du bord d'attaque des ailes de la navette pour former des silicates de sodium, qui fondent à une température beaucoup plus basse que le carbone, selon les experts. L'ajout de couches de peinture à base de zinc double l'effet corrosif du sel, avait indiqué le chercheur en matériaux Nathan Jacobson dès 1998". Cela faisait cinq ans qu'il n'avait pas été entendu. Quelques jour après a catastrophe, la NASA révélait les traits de ce qui devrait être la remplaçante de la navette. L'engin, baptisé Orbital Space Plane, plus petit, n'emportant que 4 passagers maximum, devrait "être prêt au plus tard pour 2010", avait spécifié l'agence. Et devrait servir de canot de sauvetage pour l'ISS. On verra ce qu'il en adviendra...

 

la galerie des débris retrouvés :

http://lubbockonline.com/gallery/shuttle_columbia_debris/1.shtml

http://www.iasa.com.au/folders/Safety_Issues/RiskManagement/leadingedge-4.html


Moyenne des avis sur cet article :  3.74/5   (19 votes)




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16 réactions à cet article    


  • alberto alberto 18 mai 2011 09:44

    Bonjour, morice :

    C’est bien interessant, mais tu es courant qu’en ce moment la toile est mobilisée ailleurs...Et tes détracteurs habituels aussi !

    Bien à toi.


    • morice morice 18 mai 2011 12:09

      très sympa


    • zadig 18 mai 2011 10:30

      Bonjour Morice,

      Merci pour cet article intéressant et très (très) bien documenté.
      C’est un véritable travail de « pro ».

      Pendant des années, j’ai imaginé que sur ces « mégas » projets
      tout était prévu, vérifié, suivi, ....

      Et puis j’ai participé à la conception et à la réalisation d’un système
      à tolérances de panne.
      Tout était prévu. et ....
      Je raconterai en détail un autre jour (c’est drôle)

      Salutations


      • morice morice 18 mai 2011 12:10

        Et puis j’ai participé à la conception et à la réalisation d’un système
        à tolérances de panne.
        Tout était prévu. et ....
        Je raconterai en détail un autre jour (c’est drôl
        e)



        j’attends avec impatience !

      • David Meyers 18 mai 2011 11:29

        Super Boulot
        J’ai pas décroché de la 1ere à la dernière lettre

        Les erreurs techniques et d’organisation font froid dans le dos

        Il serait interessant de savoir pourquoi de nobles ingénieurs ou des responsables présidents de ceci ou de cela finissent par devenir de purs zombies décérébrés lorsque l’administratif devient ingérable en taille et en complexité.

        Ce n’est certainement pas une simple équation financière qui a tué les astronautes. Il y a un comportement humain assez étrange qui refuse parfois les évidences.

        On voit un tel comportement lors de la reconstitution de l’accident de la navette au décollage (1er accident) dans la série « La Minute de Vérité » ou un ingénieur (ou un technicien) vient décrire presque exactement l’accident avant le décollage (gel, joints en silicone fragilisés, preuves de détérioration sur les missions précédentes) mais ne parvient pas à convaincre les responsables du tir de reporter la mission.


        • morice morice 18 mai 2011 12:09

          merci Mr Meyers


          lire ce qui vient de se produire pour Endeavour

          L’arrimage d’Endeavour avec la Station spatiale internationale est imminent

          De La Presse Canadienne – Il y a 19 minutes

          CAP CANAVERAL, États-Unis — L’équipage d’Endeavour est presque arrivé à destination.

          Peu avant l’aube, mercredi, la navette n’était plus qu’à quelques kilomètres de la Station spatiale internationale. L’arrimage des deux entités doit avoir lieu en début de matinée et il est prévu que les deux équipages seront ensemble dans la Station à 8h36.

          Avant l’arrimage, le commandant d’Endeavour, Mark Kelly, fera pivoter la navette sur elle-même afin que l’équipage de la Station puisse la photographier sous plusieurs angles. Les photographies contribueront à l’examen de la navette spatiale, de la mousse isolante s’étant détachée du réservoir de carburant lors du décollage du Centre spatial Kennedy, lundi matin.

          Endeavour transporte six personnes, dont un astronaute italien, et le spectromètre magnétique alpha, un instrument de deux milliards $ devant rechercher dans l’espace des traces d’antimatière et de matière noire.

          La toute dernière mission d’Endeavour, qui a effectué son premier vol en mai 1992, doit durer 14 jours.


          bref, ça s’est à nouveau produit !


          • arnold rothstein 18 mai 2011 13:14

            Morice,

            Comment vous joindre ? J’ai une proposition de collaboration à vous formuler.


            • morice morice 18 mai 2011 15:03

              c’est le mot qui m’ennuie : laissez vos coordonnées à la rédact qui transmettra.... 


            • loadmaster 18 mai 2011 14:06

              A voir , un bon documentaire « la minute de vérité » sur l’affaire de la mousse de la navette !!
              un ingénieur pris pour un con au départ mais qui a su démontrer que oui : un bloc de mousse pouvait transpercer une aile de la navette !


              • morice morice 18 mai 2011 15:05

                excellent : c’est visible où en ce moment encore ??? MERCI de votre collaboration, le pousseur de caisse d’avions. Ça a mal démarré entre nous, mais finalement vous vous êtes aperçu que je raconte moins de conneries que d’autres il semble. « pousseur de caisses » n’est pour moi PAS péjoratif :mon père était ouvrier, et poussait aussi des caisses...


                • loadmaster 18 mai 2011 15:40

                  http://www.direct8.fr/program/la-minute-de-verite/episodes/list/page/3/

                  faut chercher j’ai pas bien le temps !!
                  ah oui 95% des cargos sont auto chargeur !! mais avant il faut savoir ou placer les ULD’s smiley


                  • loadmaster 18 mai 2011 16:35

                    en aparté : dire que les Americains ont fortement poussé les Français et les Anglais à retirer Concorde du service après juste un accident ( terrible bien sur comme chaque crash d’avion )
                    à trop vouloir voir la paille dans l’œil du voisin on en oublie souvent d’enlever la poutre des siens !!

                    Challenger aussi avec son joint de dilatation sur les booster qui ne supporte pas le gel et qui reste une nuit complète à une température en dessous de 0 .
                    Là encore un ingénieur avait mis en garde la NASA sur le risque énorme de faire décoller la navette et là encore personne ne l’a écouté !!
                    pourtant déjà avant le même type de joint avait eu un problème , mais les scories crées par l’alu en fusion et qui étaient venus boucher le trou en faisant soudure avaient tenu !! pas là !
                    problème ultra connu à la NASA !!
                    décidément il ne fait pas bon être astronaute au pays de l’oncle SAM .
                    Pour moins que cela la Corée du Nord ce serait vu portée au banc des nations comme incompétente en matière d’aérospaciale, et meurtrière de ses propres équipages !!


                    • morice morice 18 mai 2011 16:57

                      Là encore un ingénieur avait mis en garde la NASA sur le risque énorme de faire décoller la navette et là encore personne ne l’a écouté !! 



                      c’est dans l’épisode précédent !!!

                      Pour moins que cela la Corée du Nord ce serait vu portée au banc des nations comme incompétente en matière d’aérospaciale, et meurtrière de ses propres équipages !!

                      exact



                          • loadmaster 18 mai 2011 18:37

                            Booups j’avais pas lu la partie 5 ( ni la 1 : 2 : 3 : 4 ) car absent pendant un bout de temps.
                            mais pour m’être intéressé à cet accident , c’est tout à fait cela , une chaine d’incompétence ( sauf l’ingénieur tireur de sonnette dans le vide ) ou non en fait c’est pas de l’incompétence c’est une histoire de fric et de doigts croisés pour que tout ce passe bien « encore une fois » 

                            Si les cie aérienne( hors congolaise) faisaient pareil en disant aller ont croise les doigts « encore une fois » ce serait l’hécatombe !!
                            Air France a levé la garde une fois ( concorde ) avec les résultats que tout le monde connait juste une fois en ce disant « de toutes façons ça va décoller » sauf que pas de bol
                            surcharge : 2t au delà de MTOW donc plus de piste et collision fatale avec la barrette du DC10 
                            ajoutez à cela une entretoise oubliée sur le bogie gauche et voilà chronique d’une catastrophe annoncée.

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