La fin de la navette spatiale 9) l’absence dramatique de succession
On l'a vu, la NASA, emportée par un flot de décisions calamiteuses et détournée de ses objectifs par des pressions politiques, a passé ces dernières années à colmater ses erreurs plutôt qu'à proposer de faire rêver des générations. Seules les sondes lointaines, comme les formidables Voyager ou les sondes martiennes (et les infatigables robots Spirit et Opportunity*) ou l'actuel expérience Cassini, voire les projets liées à l'étude des astéroïdes peuvent encore faire frissonner d'émotion ou d'avancées sur la connaissance scientifique du monde qui nous entoure. La gestion catastrophique à tous les niveaux de la navette spatiale se termine en queue de poisson mémorable (Endeavour, au 20 mai, pour la troisième fois de son existence, craint à nouveau pour sa rentrée avec des tuiles abîmées). Au bout du compte, l'organisme astronautique est incapable de faire la jonction entre son vaisseau en fin de vie, devenu dangereux, et une nouvelle génération devenue nécessaire. Rien ou presque n'a été prévu comme remplacement. On vous a déjà parlé du vaisseau russe qui va effectuer l'intérim, je ne vais pas y revenir, et plutôt tenter de discerner quel sera l'heureux élu qui sortira d'un concours entre quatre sociétés privées, choisies pour construire avant 2013 la fameuse remplaçante.
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De tous les prétendants abandonnés ces dernières années, le HL-20 était bien le plus abouti. Normal, il avait coûté 2 milliards en développement à la NASA. Le projet remontait à 1988 déjà, sous le nom de CRV (Assured Crew Return Vehicle) ou de PLS (pour Personnel Launch System), l'engin imaginé devait être une sorte de canot de sauvetage pour la navette, sous forme d'un lifting body nommé HL-20, ressemblant beaucoup au projet russe BOR-4. L'engin aurait eu deux pilotes et aurait pu "sauver" 8 personnes, accueillies en soute arrière. BOR-4 était un petit engin d'essai, pesait 1,5 tonnes et a eu droit à cinq lancements, dont 4 récupérés sous le nom déguisé de Cosmos 1374, le 4 juin 1982 de Cosmos 1445 le 16 mars 1983, de Cosmos1517 -le 27 décembre 1983 et de Cosmos 1616 le 19 décembre 1984. Les russes affublaient leurs satellites du même nom générique de Cosmos pour embarrasser la CIA. Le mot "cosmos" chez les russes est d'une certaine saveur : quand Youri Gagarine atterrit dans un champ de blé à 400 km de où on l'attendait, il est obligé d'expliquer aux paysans du coin qui le prennent pour un extraterrestre "qu'il est russe, et qu'il vient du cosmos " ! BOR-4, repêché au large de l'Océan Indien ou en Mer Noire préfigure parfaitement les formes générales du vaisseau. Des modèles "terrestres" ont été aussi testés. Son vaisseau lanceur étant la fusée ukrainienne Kosmos (?) du KB Yuzhnoye... le modèle BOR était remarquablement dessiné, au point d'abaisser sensiblement les températures de sa coque. Les russes ont toujours été les as du crayon et de la gomme ! La comparaison du HL-20 américain avec le projet russe BOR-4 est assez sidérante...
Le HL-20, pas loin du concept parfait, en effet : débarrassée de sa charge militaire ; une navette pouvait être plus petite en effet. L'appareil imaginé par les chercheurs de Rockwell International (de sa Space Systems Division surtout) ne faisait que 8,84 m de long et 7,16 m d'envergure seulement : ailes repliées il aurait tenu à l'intérieur de la soute de la navette ! Il aurait pesé une dizaine de tonnes, pour 84 pour la navette... Mieux encore : après l'accident de Challenger, un vaisseau de sauvetage avait paru nécessaire, au cas où la navette tombait en panne en orbite : jusqu'alors on songeait à en lancer une seconde, mais le délai de mise en orbite était tel que l'idée d'une sorte de "canot de sauvetage" avait son chemin, avec le HL-20 mais aussi le X-33, qui reprenait trait pour trait le dessin du X-24A, un des meilleurs engins au catalogue des lifting bodies.
Le HL-20 avait été conçu spécialement pour une maintenance facile : des panneaux de coque pouvaient facilement se soulever, pour permettre d'accéder facilement aux organes intérieurs de la mini-navette. Lockheed Advanced Development Company et le Langley Research Center travailleront sur le projet jusqu'en décembre 1991. Juste auparavant, des étudiants du North Carolina State University et du North Carolina A & T University vont réaliser une maquette en bois de l'appareil, pour évaluer notamment l'aménagement intérieur (c'est classique en aéronautique et cela permet de vérifier l'habitabilité.
Malgré tous ces efforts, c'est néanmoins le cargo Soyouz-Progress apparu en 1978, qui sera retenu comme canot de sauvetage de l'ISS : un choix devant davantage au partage politique de la station qu'aux performances réelles de l'appareil sélectionné. A partir du Progress, ls russes proposeront un développement en CSTS (Crew Space Transportation System) ou ACTS (Advanced Crew Transportation System), un projet réalisé en commun par l'European Space Agency (ESA) et la Russian Space Agency (FKA).
Finalement, l'Europe décidera de faire cavalier seul sous la bannière de l'ESA en réalisant l'ATV. L'engin, baptisé Johannes Kepler, a réalisé son premier vol le 24 février 2011 : c'est un module entièrement automatique, qui vient se greffer sur l'ISS sans aucune intervention humaine : une superbe réussite. Ici, la vidéo de son approche, commentée en anglais avec un bel accent français.
Les russes reviendront à la charge avec une autre proposition, la "PPTS" pour "Prospective Piloted Transport System", lancé par une fusée Rus-M. L'engin abandonne le look "Soyouz" pour un design plus "Apollo". A croire qu'en matière d'astronautique on a tout découvert dans les années 50-60 et plus rien imaginé après....
Pour le HL-20, au final ce ne sera que partie remise, d'une certaine manière. Si après le dernier vol d'Atlantis, programmé pour fin juin 2011, les États-Unis dépendront donc au moins pendant au moins quatre ans de ces antiques Soyouz russes pour ravitailler la station orbitale (car du côté américain, il n'y a aucun remplaçant de disponible), le "vieux" vaisseau peut toujours être ressorti des cartons ! Quatre ans de disette américaine pour l'ISS, en effet, le temps de construire quatre projets dont un seul sera retenu au final : la NASA s'y est pris bien tard, ou plutôt a été contrecarrée par les accidents, leur étude et leur analyse, et un gouvernement stupide désireux de reconquête spatiale tenant de la fanfaronnade pure : on était reparti pour rien sur la Lune, avec G.W.Bush, avant d'envisager d'aller sur Mars pour y trouver ce que les sondes y ont déjà trouvé (de l'eau !). Il n'y a aucun intérêt scientifique à amener (difficilement) des hommes sur la planète rouge, et le projet d'y aller à déjà englouti de l'argent pour rien. Les engins automatiques sont parfaits pour ça. Pour les remplaçants potentiels, la NASA a jeté l'éponge depuis l'arrivée de G.W.Bush qui a tué dans l'œuf plusieurs projets, dont le le X-33. Elle a donc confié tardivement et en dernier ressort à quatre compagnies privées américaines (Space X, Sierra Nevada Corporation, Blue Origin et Boeing) la réalisation de projets totalement différents, en leur accordant un total de 269 millions de dollars pour le développement de leurs projets.
Et, parmi ces projets, celui de Sierra Nevada, à le voir, ressemble comme par hasard de fort près à notre fameux HL-20. Aux Etats-Unis aussi, on fait souvent du neuf avec du vieux. On le rebaptise, surtout : le HL-20 est devenu depuis le "Dream Chaser", le "chasseur de rêves". Un vieux rêve, remis au goût du jour. C'est encore Aviation Week qui nous le confirme le 19 février 2010. L'engin est bien une copie, mais avec un nouveau mode de propulsion, empruntée aux recherches du génie de Burt Rutan et ses réalisations chez Scaled Composites. "Nous pouvions prendre un véhicule qui avait presque 10 ans de développement et des centaines de millions de dollars de travail », explique Mark N. Sirangelo, vice-président des systèmes spatiaux de Sierra Nevada."Il y a eu 1400 tests en soufflerie, et une série de travaux qui a été faits. Nous avons églalement gardé tel quel le modèle externe du véhicule, car ainsi nous étions en mesure d'utiliser une grande partie de la recherche précédente)" précise Sirangelo. En somme, la firme évitait les mois d'essais en soufflerie, déjà mené. Sierra Nevada qui est au départ un fournisseur de composants électroniques, a racheté 38 million de dollars en 2008 la technologie de Space Dev, petite firme de 200 personnes et fusionné avec MicroSat, et s'est ainsi lancé dans la recherche spatiale. Pour ce ce qui est du moteur, c'est la technologie hybride utilisée dans la fusée SpaceShipOne de Rutan, gagnante du concours Ansari X-Prize car SpaceDev était propriétaire de la technologie : devenue maintenant une filiale de Sierra Nevada, il était logique qu'on fasse appel à elle.
La fameuse technologie employée est celle du caoutchouc synthétique (polybutadiene) HTPB mis en contact avec avec... du protoxyde d'azote, de l'oxyde nitreux (du gaz hilarant, découvert en 1776 par Joseph Priestley, on l'utilise aussi comme gaz propulseur, dans les bonbonnes de crème chantilly ou même d'air sec pour les ordinateurs !).
Jim Voss, devenu directeur technique du projet Dream Chaser, garantissant le procédé : il a volé cinq fois dans la navette spatiale. C'est efficace, on le sait, mais heureusement qu'à l'altitude où on l'emploie personne ne peut sentir ce qui se passe : c'est une horrible odeur de pneu brûlé qui s'échappe d'une très longue flamme. Pour lancer l'engin, un contrat a été passé avec United Launch Alliance (ULA), pour adapter Dream Chaser au sommet d'une classique Atlas V 431 . Ce n'est pas ce qui avait été prévu au départ. L'assemblage a des airs de... Dynasoar, on revient 50 ans en arrière... Comme au bon vieux temps des Lifting Bodies, les ingénieurs ont eu recours à des maquettes à 15% de la taille, parfois lancées d'hélicoptère. En 2012, le WhiteKnight Two de Virgin devrait lancer le Dream Chaser pour évaluer ses capacités de vol atmosphérique, et le premier vol suborbital devrait être tenté en 2013, un vol spatial en 2014.
Techniquement, c'est une cabine à base de résine époxy (moulée) et non plus de l'alluminium, contenant le propulseur, autour de laquelle viennent se greffer les divers réservoirs ou autres matériels, recouverts d'une coque extérieure sans tuile, mais avec un matériau de type ablatif. L'histoire ne dit pas comment vont s'y prendre les ingénieurs pour en changer : logiquement, tous les panneaux extérieurs du HL-20 d'origine se démontaient facilement : à chaque vol, l'appareil changera donc de peau extérieurs sur une grande partie de sa surface. Une société filiale de Sierra existe déjà pour ce faire, c'est Straight Flight. En dehors de sa mue prévue, c'est en quelque sorte un énorme SpaceShipOne. Question protection contre la chaleur, c'est une technique là encore "ancestrale" qui a prévalu, puisque le Dream Chaser utilise le même matériau que le revêtement de la cabine Apollo : du nid d'abeille rempli de résine ablative. Quatre centimètres d'épaisseur d'Avcoat sur les endroits les plus chauds, la rentrée consommant 31,21 kg de résine brûlée. Le nez qui supportera 1900°C sera en carbone-carbone, comme sur l'actuelle navette. Cette configuration date des essais de HL-10 ou de X-24, où l'on avait imaginé de l'ablatif et non de la tuile. Des quatre projets, c'est bien celui qui détient la plus grande cote auprès des anciens de la NASA, cosmonautes compris : les autres sont des capsules, un type de vaisseau dont l'ESA vient de montrer qu'il pouvait se passer de pilotes... son meilleur supporter à ce jour étant Buzz Aldrin.
Quatre sociétés et quatre projets, retenus par la NASA, disions-nous au tout début. Reste en effet deux projets après Sierra Nevada Corporation de Louisville, Colorado qui a reçu 80 millions de dollars pour son HL-20 bis, et Space Exploration Technologies (SpaceX), d'Hawthorne, en Californie 75 qui en a reçu 75 pour une proposition bien plus sage. Space X, j'en ai déjà expliqué l'origine ici : ce sont eux qui ont lancé il n'y a pas si longtemps leur fameuse meule de fromage comme "passager" de leur capsule spatiale d'essai. Avec une fusée mêlant tuyères soviétiques et un autre moteur appelé Merlin, à base de moteur d’ascension du LEM, Space X a réduit les coups de développement et a décroché le deuxième contrat avec un véhicule classique : ce n'est pas une société innovante, mais plutôt une équipe fort débrouillarde qui dépense beaucoup moins... que la Nasa. Le module Dragon se décline en deux versions, automatique et pilotée, et ressemble à une ancienne cabine Apollo avec un module arrière de Soyouz, pour déployer ses panneaux solaires. Le premier module a fait un bond le 28 septembre 2008, et sa configuration classique nous ramène à une déperdition de matériel comme celle qu'avait voulu éviter le Shuttle. Bref, une proposition qui ramène davantage en arrière qu'autre chose.
Le troisième projet est celui de Jeff Bezos, le patron d'Amazon, est c'est bien le plus farfelu ou celui qui paraît le moins réaliste. Là encore, on est sur les bases d'une reprise, celle des projets défunts Roton ou Phoenix, ou des deux projets "Delta Clipper" DC-X et DC-XA de McDonnell Douglas (suspendus après avoir dépensé 40 millions de dollars), qui ont tous été des échecs : un engin suborbital, lancé lui aussi d'une fusée classique type Atlas V, capable de se poser en douceur à son retour, et qui ne présente pas de version passagers : ce serait uniquement un cargo automatique (une version passager est prévue mais dans un développement futur). Pour beaucoup, les 22 millions dont a hérité la firme Blue Origin pour construire son expérimentateur baptisé "New Shepard" ressemblent beaucoup à des deniers publics offerts en pure perte pour assouvir les lubies d'un patron désireux de laisser son nom dans le domaine astronautique, plus que d'aider l'ISS à fonctionner. C'est un gadget, sans intérêt !
Enfin il reste le poids lourd habituel qui cette fois s'appelle Boeing, qui a reçu un lot de consolation à 92.3 millions, à savoir le plus gros lot quand même pour proposer également une capsule archi-traditionnelle, la CST-100, une sorte de croisement entre Apollo et le défunt projet Orion enterré par Obama à son arrivée au pouvoir, qui certainement "compensé" la perte du projet Orion par cette commande. Strictement rien d'innovant là-dedans, l'engin reprenant trait pour trait une épure dessinée au temps de la conquête de la Lune, lors des dessins préliminaires des futurs remplaçants d'Apollo. Une cabine à 7 passagers, perçue parfois comme "low-cost" ; tant les coûts de fabrication sont amortis depuis longtemps avec les matériaux, tels que le bouclier thermique issu d'Orion, de même composition qu'il y a plus de 50 ans ! L'heure n'est plus à l'innovation... mais aux économies !
Un autre projet non retenu dans ce programme, mais retenu dans un autre, bien plus classique, est celui qu'avait proposé Orbital. La firme, c'est surprenant, avait pourtant proposé dans les années 2000 une mini navette, en réponse à la demande de Commercial Crew Development 2 (CCDev-2),de la NASA, un des éléments du vaste programme Space Launch Initiative. En 2010 encore, la firme en faisait encore la promotion sur le web en montrant les photos d'une maquette-bois terminée, créée en association avec Grumman. Là encore, on avait cité le HL-20 comme exemple : en réalité, le projet d'Orbital était plutôt la copie de celui des européens, avec leur Hermès, sur laquelle nous reviendrons bientôt.
Depuis, le projet mis en sommeil pendant quelque temps (de 2008 à 2010) faute de fonds, est devenu Prometheus, au nom sélectionné par un concours sur Twitter, pour faire partie d'un autre programme spatial de la NASA, le Commercial Orbital Transportation Services program (COTS), puis celui du Commercial Resupply Service (CRS), programme dans lequel Orbital Sciences a décroché une place avec ce deuxième projet bien plus sage appelé la capsule Cygnus, lancé par une fusée "made in Orbital" appellée Taurus II. Le HL-20 bis de Sierra Nevada ayant été retenu à la place de son projet, la firme avait eu l'intelligence d'en proposer un tout autre : une cabine spatiale classique, portant donc le nom de Cygnus, donc
et de facture ultra-classique à vrai dire. Pour son développement, la NASA avait octroyé en 2008 à Orbital 171 millions de dollars. Au 31 décembre 2010, Orbital avait reçu 350 millions de dollars pour à la fois son module Cygnus et sa fusée Taurus II. Pour combler les dépenses, Orbital est devenu fabriquant de satellites, en rachetant , à General Dynamics pour 55 millions de dollars à la mi-2010 son usine de montage spécialisée. Elle devrait lui en rapporter 100 par année. Son avenir s'annonce radieux avec la commande de...81 satellites de la liste des nouveaux Iridium pour les services de communication et de GPS.
D'un classicisme plus qu'étonnant quand on sait ce qu'il est prévu pour l'expédier ravitailler la station internationale : la fameuse fusée Taurus II, qui présente à sa base... deux propulseurs très connus : le fameux NK-33, devenu AJ-26, provenant des russes, ceux du deuxième étage de la N1... développés par le Kuznetsov Design Bureau (ici ce qui restait en stock des NK-43). Aerojet avait acheté 40 moteurs NK-33 aux russes, et en contrat avec Orbital, les avait copiés et améliorés, en fabriquant au total près de 200 exemplaires ! Depuis l'achat aux russes, plus de 575 tests ont été faits avec cette ligne de moteurs ultra-perfomants ! Les russes ne peuvent avoir que des regrets : leur engin marchait, côté tuyères, c'est la synchonisation entre elles qu avait plombé le programme, faute d'ordinateur capable de les gérer ! Un des engins pressentis pour remplacer la navette comme fournisseur de matériels ou de cosmonautes à l'ISS nous fait revenir, encore une fois plus de 42 ans en arrière !!! Décidément, sous l'aspect de l'innovation absolue l'astronautique nous réserve bien des surprises !
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