La fin de la paysannerie, la fin des paysans
Tous les deux jours un agriculteur se suicide en France.
Avant les paysans avaient soif de reconnaissance.
Aujourd'hui ils n'ont plus l'appétit de vivre.
Tous les deux jours un agriculteur se suicide en France. Pour enrayer ce fléau qui représente la troisième cause de mortalité des exploitants dans l'Hexagone après les cancers et les maladies cardiovasculaires, la Mutualité sociale agricole (MSA) met en place une plates-forme téléphonique joignable 24h/24 et 7j/7 au prix d'un appel local ou gratuit depuis une box.
Agri'écoute, c'est son nom, sera opérationnel dès le lundi 13 octobre 2014 au 09.69.39.29.19.
Le désespoir de cette population se termine en drame personnel et familial.
Il éclate aussi en jacquerie.
Hier c'était les préfectures devant lesquelles on déversait du lisier, aujourd'hui c'est la MSA qui est incendiée. La cible change, les méthodes et la violence aussi.
Après le blocage de la voix express mardi, des 21 h vendredi soir ils ont frappé fort puisqu'un convoi de presque 200 tracteurs a convergé vers la zone de Keriven à Saint-Martin-des-Champs où ils ont mis le feu à la Mutualité Sociale Agricole.
http://www.ouest-france.fr/morlaix-les-legumiers-mettent-le-feu-la-mutualite-sociale-agricole-2837035 Morlaix 9 Septembre
Où chercher l'explication de la crise ?
Dans la restructuration du monde agricole ?
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Le nombre d’exploitations a baissé de 52 % en 20 ans, comme le nombre des actifs permanents
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Le nombre d'exploitations agricoles a diminué de 26 % en 10 ans. L'emploi agricole, lui, a chuté de presque autant, tombant à 750.000 équivalents temps-pleins.
Dans les décisions politiques ?
La politique agricole commune (PAC) a été mise en place suite à la signature du traité de Rome en mars 1957. L’objectif était d’assurer l’indépendance alimentaire des pays fondateurs, en favorisant l’accroissement de la productivité, en assurant un niveau de vie suffisant à la population agricole, en veillant à la stabilité des marchés et en garantissant la sécurité alimentaire à des prix raisonnables pour les consommateurs.
Mais la PAC a évolué.
Les réformes des années '80 se sont déclinées en fiasco et celles des années '90 se sont inclinées devant la mondialisation et le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) qui a contraint l'Europe à diminuer sa protection à son agriculture et à ouvrir une brèche aux importations.
De plus, sous prétexte de l'arrivée de 10 nouveaux membres, la Commission Européenne a imposé un nivellement par le bas des prix agricoles garantis.
Dans le circuit agro-alimentaire, l'agriculteur est le premier maillon, mais aussi le plus fragile, et comme l'industriel, il ne fait pas le poids face à la grande distribution dont tous dénoncent « l'âpreté des négociations ». Qu'en termes polis on évoque ainsi les contrats léonins ! Les enseignes font la course aux prix bas et devinez qui reste sur le bord de la route, écrasé.
Les banquiers prêtent pour que l'exploitation produise au profit des hypermarchés, mais les taux d'endettement grimpent à près de 80% du chiffre d'affaires. Comme ils ne manquent pas d'humour noir, ils exigent même des primes assurance décès. La finance tue l'économie, le travail et les gens honnêtes.
Et l'inévitable bureaucratie est toujours prête à mettre la tête sous l'eau à celui qui essaie de surnager : "On passe un tiers de notre temps à remplir des papiers".
Seul contre tous, il reste seul, dans son métier, dans sa vie.
L'isolement crée la solitude qui est deux fois plus mortelle que l'obésité.
Pourtant, les agriculteurs français ne sont pas désarmés intellectuellement. Les jeunes sont mieux formés que leurs aînés et ont un niveau de formation supérieure à la moyenne nationale, à génération équivalente.
Mais comment faire face aux incertitudes économiques des politiques agricoles, à l'instabilité des conditions d'aide publiques, aux variations des prix, à la précarité économique, aux pressions psychologiques ?
Combien de surcharge de travail, combien de stress, combien de dévalorisation de l'image de soi ?
Il y a quelques décennies, j'avais entendu un syndicaliste dire à la télévision :
« Mon père était paysan.
Moi je suis agriculteur.
Mon fils sera chômeur. »
Il était encore trop optimiste.
Un livre que je n'ai pas encore ouvert : Malaise en agriculture. Une approche interdisciplinaire des politiques agricoles (France-Québec-Suisse) Yvan Droz, Valérie Miéville-Ott, Dominique Jacques-Jouvenot et Ginette Lafleur
Références :
www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/HISTO14_c_D2_agri.pdf
http://www.lejdd.fr/Societe/Le-suicide-est-dans-le-pre-633752
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