La fin du lobbying ?
Les représentants d'intérêts avaient jusqu'au 30 avril pour déclarer leurs activités sur le nouveau registre, accessible en ligne, de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). L'occasion de s'interroger sur l'avenir du lobbying, activité peu connue et souvent mal perçue du grand public.
Il y a dix ans, dans les couloirs de l’Assemblée, un député objectait devant le président d’un think tank spécialisé dans le numérique : « Internet est un effet de mode » ; aujourd’hui, sur la plateforme Parlement & Citoyens, les parlementaires co-écrivent des propositions de loi avec les internautes.
Il y a dix ans, une grande chaîne de café américaine ouvrait en France son premier magasin ; aujourd’hui, sur la plateforme i-boycott.org, l’un de ses plus hauts dirigeants rend des comptes à ceux qui accusent la marque d’évasion fiscale, en dehors de tous les circuits médiatiques traditionnels.
En dix ans, le monde a radicalement changé. Sous l’effet d’évolutions technologiques majeures, l’individu s’émancipe des tutelles. Il s’informe facilement, se mobilise sur les réseaux sociaux ; il contrôle, devient un média. Il peut s’extraire des logiques publicitaires et propagandistes – qu’on le veuille ou non, il devient difficile de lui cacher quelque-chose. Et, quand il le peut, il met en cohérence ses aspirations de citoyen et ses comportements de consommateur.
Dans ce nouveau monde horizontal et transparent, les acteurs du débat public revisitent progressivement leur manière de communiquer.
La communication, une discipline mouvante
Cette évolution suit le sens de l’histoire. Depuis toujours, la communication change sous l’effet des évolutions sociales et des progrès techniques accélérant la diffusion de l’information.
C’est vrai en communication politique. Que s’est-il passé entre la communication hypertrophiée et monopolistique de Louis XIV et celle de Bonaparte, qui encourage la presse à relater ses exploits militaires en Italie ? Les Lumières et les progrès de l’imprimerie ont favorisé l’émergence de l’esprit critique et de contrepouvoirs dans l’espace public.
Un mouvement d’ouverture qu’on retrouve auprès des entreprises, dans leurs relations publiques. La meilleure incarnation en est probablement Ivy Lee – fondateur de l’agence Parker & Lee. Début XXeme, il tire les leçons des mouvements sociaux qui secouent l’Amérique et d’une presse plus investigatrice. Les grandes firmes monopolistiques, habituées à l’opacité, sont ainsi prévenues : « Dites la vérité car, tôt ou tard, le public l'apprendra et vous ne pourrez plus rien contrôler ». Ivy Lee prône l’anticipation, une description argumentée des faits, ainsi qu’une communication ouverte pour susciter la confiance. Il pousse les industries à se comporter en acteurs civiques responsables. Un tournant majeur.
Discipline de la communication comme une autre, le lobbying ne fait pas exception. Il a évolué et continuera d’évoluer. Mais, parce qu’il se joue dans un plus petit cénacle, à l’écart de la pression populaire, il le fait plus lentement.
Le lobbying face à la pression sociétale
En France comme ailleurs, le lobbying doit encore composer avec des procédés discutables, à l’image du chassé-croisé des hommes entre les entreprises – cabinets de conseils compris – et les autorités publiques. Ces procédés alimentent les relations incestueuses entre les mondes économique et politique, et démultiplie conflits d’intérêts cachés et renvois d’ascenseur.
Et, si les méthodes de communication les plus courantes - souvent fondées sur le réseau, à l’abris des regards et en petits comités - sont pour la plupart irréprochables, elles ne sont plus de nature à lever les suspicions. Elles ne peuvent répondre à la légitime aspiration de la société civile à mieux décrypter le débat et à y être davantage associé.
Le terme-même de lobbying, qui persiste chez les professionnels, paraît aujourd’hui anachronique. D’un point de vue symbolique, le « lobby » de la Chambre des Lords – qui a donné son nom à la pratique qui consistait à l’arpenter – est à des années lumières des pratiques numériques actuelles, ouvertes sur le monde et totalement transparentes.
Le plaidoyer, avenir du lobbying
De plus en plus, les consommateurs votent avec leur carte bleue. La Responsabilité Sociale de l’Entreprise est leur boussole. Ils veulent que les entreprises créent de la valeur, au-delà de leurs simples produits ou services, et plus uniquement pour leurs seuls actionnaires. Qu’elles se comportent en acteurs de la vie de la cité, payant leurs impôts et se préoccupant des impacts liés à leurs activités, tissant des liens avec leurs territoires d’implantation. Le rapport Notat-Senard démontre d’ailleurs que l’idée d’une entreprise plus soucieuse de l’intérêt général fait son chemin.
Dans ce cadre, leur participation au débat public prend tout son sens. La seule condition étant, dans un monde devenu horizontal et transparent, de rendre des comptes et d’associer le plus grand nombre à leur démarche. Avec un bénéfice potentiel énorme : illustrer leur sincérité ; élargir leur légitimité.
La grande opportunité de l’époque réside dans le développement d’outils numériques démultipliant, à faible coût, les possibilités de concertation : à tous les niveaux - des salariés jusqu’à la société -, en permanence, avec une parfaite traçabilité et dans la plus parfaite transparence. Les entreprises et fédérations professionnelles peuvent les utiliser au service d’une régulation concertée.
Dans le nouveau monde qui s’impose, il est temps que la capacité d’influence, trop souvent vantée avec une certaine suffisance, passe le relais à la force de conviction. Que la mobilisation des réseaux cède le pas à celle des parties-prenantes, voire des citoyens. Que le lobbying laisse place au plaidoyer, structuré autour de méthodes participatives et d’objectifs mieux dirigés vers l’intérêt général.
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