La Fondation Raoul Follereau est-elle une PME familiale dont la présidence se transmet de père en fils ? C’est André Récipon qui l’affirme. Décryptage d’un habile contournement de la réglementation des fondations reconnues d’utilité publique.
Nous allons aujourd’hui nous pencher sur la nature juridique de la Fondation Raoul Follereau.
À l’origine de cet article, nous sommes partis des propos d’André Récipon en personne, propos que nous avions déjà cités dans notre article précédent consacré à la pensée politique d’André Récipon (
ici) mais que nous reproduisons ici :
« le 23 mai 1992, lors de l’assemblée générale, j’ai fait la déclaration suivante : “(…) je suis ici pour transmettre le flambeau tel que je l’ai reçu de Raoul Follereau. À mon tour, je déclare solennellement devant vous que je confie à mon fils Michel la charge de l’œuvre que j’ai reçue de Raoul Follereau et que je lui demande de poursuivre”. » (Combat pour la Charité, André Récipon, Pierre Téqui Éditeur, 2000, page 21) ;
« notre vie familiale et privée est étroitement liée à la vie de la Fondation Raoul Follereau (…) j’ai mis en place une structure dont ton père <Michel Récipon> a maintenant la responsabilité. (…) Contrairement à ce que certains avancent (…) ce n’est pas une famille qui s’est emparée d’un héritage, c’est une famille qui s’est chargée d’une tradition, celle de poursuivre l’œuvre de Raoul Follereau. C’est l’honneur de ton père <Michel Récipon> de la maintenir aujourd’hui, et ce sera, demain, le tien et celui de tes frères et sœurs. (…) » (Lettre ouverte à Mathilde, André Récipon, Pierre Téqui Éditeur, 2005, page 31).
Dans la mesure où la Fondation Raoul Follereau est une fondation reconnue d’utilité publique, nous étions étonnés qu’il puisse être juridiquement possible d’instaurer ainsi un processus de dévolution successorale, comme si la présidence d’une fondation reconnue d’utilité publique pouvait se transmettre de père en fils sans limitation de durée.
Nous n’avons pas été déçus par nos recherches : elles nous ont permis, en effet, de découvrir que la Fondation Raoul Follereau est une sorte d’Objet Juridique Non Identifié (OJNI) dans lequel un petit nombre d’individus semblent bien avoir verrouillé l’exercice du pouvoir.
Avant toute chose, signalons quatre sources documentaires nous ont été utiles pour la rédaction de cet article :
- Mémento Pratique Francis Lefebvre Associations 2010 - 2011 ;
- Dalloz Action Associations 2000 ;
- Fondations par Éric Baron et Xavier Delsol aux éditions Juris Associations, 2004 ;
- Dictionnaire Permanent Lamy Associations ;
- le rapport annuel 2009 de la Fondation Raoul Follereau (
ici) ainsi que les pages institutionnelles de leur site internet (
ici).
Introduction sur les fondations
En quelques mots, nous dirons qu’une fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes décident de se déposséder d’un bien qui leur appartient au profit d’une entité juridique spécifique dont la mission sera de poursuivre une œuvre d’intérêt général.
Ce qui différencie une fondation d’une association classique loi 1901, c’est que l’État apporte sa pierre à l’édifice sous la forme d’une reconnaissance d’utilité publique.
La Fondation reconnue d’utilité publique est donc une entité juridique particulière qui réunit trois caractéristiques :
- un acte privé des fondateurs, ce qui suppose un appauvrissement (dotation) ;
- une œuvre d’intérêt général qui sera financée soit par les revenus générés par le placement de cette dotation, soit par la consommation progressive de cette dotation ;
- une reconnaissance par l’État français, ce qui génère des avantages exorbitants de droit commun, notamment des réductions d’impôts pour les donateurs, la possibilité de recevoir des dons et des legs en franchise de droits de succession, etc.
Lorsque ces conditions sont réunies, l’organisme peut se prévaloir du titre officiel - et protégé - de "Fondation reconnue d’utilité publique". Il est évident qu’une telle qualification constitue, aux yeux du grand public, un gage de confiance, de transparence et d’honorabilité bien plus important qu’une simple association de la loi 1901. Il s’agit donc d’un titre recherché notamment par ceux qui sollicitent la générosité du public.
La gouvernance des fondations reconnues d’utilité publique
Il résulte de ce statut si particulier des droits, mais également des devoirs.
Nous avons vu ci-dessus qu’une fondation reconnue d’utilité publique constitue, en quelque sorte, une entité privée chargée d’une œuvre d’intérêt général, avec la bénédiction de la puissance publique.
Arrivé à ce stade de notre exposé, un élément est capital : il s’agit de l’indépendance de la Fondation, tant vis-à-vis de ses fondateurs que vis-à-vis de l’État.
Autrement dit, la Fondation, une fois créée, échappe au pouvoir des fondateurs mais ne tombe pas pour autant sous la coupe de la puissance publique. Cet exercice délicat d’équilibriste trouve sa concrétisation dans le mode de gouvernance.
Ouvrons une parenthèse. Il existe quatre modes de gouvernance possibles mais nous allons nous concentrer sur celui choisi par la Fondation Raoul Follereau : Conseil de Surveillance et Directoire. Fermons la parenthèse.
La gouvernance qui procède d’un Directoire et d’un Conseil de surveillance consiste en une structure bicéphale dans laquelle les deux "têtes" de la fondation ont des prérogatives bien définies et bien délimitées : le Directoire dirige, le Conseil de Surveillance contrôle et surveille le Directoire.
Comme le Directoire est nommé par le Conseil de Surveillance, c’est ce dernier qui est le centre de notre attention. En effet, la concrétisation de l’indépendance de la Fondation tant vis-à-vis des Fondateurs que de la puissance publique se retrouve dans la composition du Conseil de Surveillance, véritable organe central de la gouvernance de la Fondation.
Concrètement le Conseil de Surveillance doit être composé de 7 à 12 membres dont la répartition est strictement encadrée :
- un tiers du nombre total des membres du Conseil de Surveillance sont, soit les fondateurs, soit des personnes choisies par les fondateurs : c’est le collège des Fondateurs.
- un tiers du nombre total des membres du Conseil de Surveillance sont des représentants de la puissance publique. Concrètement, il s’agit de fonctionnaires d’un pour plusieurs Ministères. Concernant la Fondation Raoul Follereau, les ministères concernés sont celui de l’Intérieur, celui des Finances et celui des Affaires étrangères. C’est le collège de l’État.
- Le dernier tiers est composé de personnes dites qualifiées dont les compétences personnelles doivent être en rapport, en principe, avec l’activité poursuivie par la Fondation. Ce dernier tiers qui est sensé n’être a priori ni du côté des Fondateurs, ni du côté de l’État est élu par les deux premiers tiers. C’est le collège des personnes qualifiées.
Dans un telle configuration à trois tiers, l’indépendance de la Fondation vis-à-vis tant des Fondateurs que de l’État est sensée être protégée. Cependant, ce serait trop simple.
En effet, la loi prévoit la possibilité d’ajouter deux nouveaux collèges, optionnels ceux-là. Le premier collège est un collège de représentants des salariés de la Fondation. Nous pouvons l’évacuer tout de suite : à la Fondation Raoul Follereau, il n’y en a pas. Le second collège est celui dit des "Amis de la Fondation". Derrière ce terme, il faut comprendre des bénévoles, des donateurs, des personnes s’investissant particulièrement dans le cadre de l’oeuvre poursuivie par la Fondation, etc. Chacun de ces deux derniers collèges optionnels ne peut être représentés au Conseil de Surveillance pour plus d’un cinquième du nombre total de ses membres. La loi n’est guère plus bavarde. Un point, néanmoins, est capital : ce sont les collèges des représentants de l’État et des personnes qualifiées qui se voient contraints de réduire le nombre de sièges pour que le total de membres du Conseil de Surveillance ne dépasse pas 12.
Le cas de la Fondation Raoul Follereau ou comment contourner une règle en faisant semblant de la respecter
Pour bien comprendre la situation, il faut savoir qu’à l’origine, en 1968, Raoul Follereau confie à André Récipon le soin de créer une association-mère qui fédérera les dizaines de comités locaux qui existent dans toute la France. Elle portera le nom, désormais célèbre, de Raoul Follereau et sera la continuation de l’Ordre de la Charité.
En 2002, cette association-mère s’appelle l’association française Raoul-Follereau. Il s’agit d’une association loi 1901 dont le sigle est l’AFRF.
Á la même période, le législateur va mettre en place une législation plus favorable pour les Fondations : leur régime juridique va être modernisé et, surtout, d’importants avantages fiscaux vont leur être accordés.
Sans doute habillement conseillée, la famille Récipon va sauter sur l’occasion pour faire d’une pierre deux coups : faire disparaître la nébuleuse des associations locales qui étaient toutes plus ou moins dépendantes de l’association-mère AFRF et monter une Fondation afin de bénéficier des avantages qui s’attachent à ce statut (notoriété, crédibilité, fiscalité, etc.).
Ils fondent alors la Fondation Raoul Follereau :
- conformément au droit positif, les fondateurs s’octroient un tiers de 12 membres du conseil de surveillance, soit quatre sièges, soit 33% des sièges au total ;
- les statuts prévoient, comme la règle l’autorise, la présence d’un collège des Amis de la Fondation Raoul Follereau ; ce collège bénéficie de trois sièges, soit 25% des sièges au total ;
- ce sont les deux autres collèges qui voient donc leur nombre de sièges revus à la baisse : l’État n’obtient que trois sièges au lieu de quatre, les personnes qualifiées ne sont plus que deux au lieu de quatre.
Mais qui sont donc ces "Amis de la Fondation Raoul Follereau" ?
Selon le rapport annuel de la Fondation Raoul Follereau (
ici), cette mystérieuse association des Amis de la Fondation Raoul Follereau, présentée sous le sigle
AFRF, rassemble des bénévoles et des sympathisants se dévouant à son œuvre. Ils seraient 80 membres, selon ce rapport.
Selon le site internet de la Fondation Raoul Follereau (
ici), cette mystérieuse association, à nouveau siglée
AFRF, est dotée d’un conseil d’administration qui compte 8 membres fondateurs et 9 membres actifs. Leurs noms ne sont pas communiqués.
Le premier indice troublant est cette identité de sigle AFRF entre l’association historique qui, pendant des années, a porté l’activité aujourd’hui poursuivie par la Fondation Raoul Follereau.
Le deuxième indice troublant est que cette Association des Amis de la Fondation Raoul Follereau fait partie du périmètre de combinaison comptable de la Fondation Raoul Follereau. Or, il est d’usage de combiner ensemble des entités juridiques qui ont des dirigeants communs.
Plus encore, lorsqu’on fouine un peu plus sur le net, on trouve un troisième indice troublant qui achève de nous convaincre (
ici) :
Association : Les Amis de la Fondation Raoul-Follereau
Type d’annonce : Association / Modification
Déclaration à la Préfecture de police :
Ancien titre : ASSOCIATION FRANCAISE RAOUL-FOLLEREAU - ORDRE DE LA CHARITE
Nouveau titre : LES AMIS DE LA FONDATION RAOUL-FOLLEREAU
Siège Social : 31, rue de Dantzig 75015 Paris
Il résulte de ce lien sur le Journal Officiel des Associations que l’Association des Amis de la Fondation Raoul Follereau n’est autre que l’association fondée par André Récipon en 1968 rebaptisée d’un nouveau nom. Avec, pour ceux qui douteraient encore, la même adresse postale, la même adresse mail et la même adresse internet que la Fondation Raoul Follereau.
Association des Amis de la Fondation Raoul Follereau et Fondation Raoul Follereau ne sont donc que deux visages d’une seule et unique réalité.
Synthèse et conclusion
Il résulte de notre enquête que la famille Récipon a, par une utilisation habile des failles de la réglementation, détourné la législation qui encadre les fondations reconnues d’utilité publique.
Nous pouvions effectivement être étonnés qu’André Récipon puisse écrire avec autant de certitude que la présidence de la Fondation Raoul Follereau échoirait de père en fils, telle une succession.
« (…) j’ai mis en place une structure dont ton père <Michel Récipon> a maintenant la responsabilité. (…) Contrairement à ce que certains avancent (…) ce n’est pas une famille qui s’est emparée d’un héritage, c’est une famille qui s’est chargée d’une tradition, celle de poursuivre l’œuvre de Raoul Follereau. C’est l’honneur de ton père <Michel Récipon> de la maintenir aujourd’hui, et ce sera, demain, le tien et celui de tes frères et sœurs. (…) » (Lettre ouverte à Mathilde, André Récipon, Pierre Téqui Éditeur, page 31).
La "structure" qu’André Récipon se vante d’avoir "mis en place" est ici révélée.
André Récipon savait très bien qu’une Fondation "normale" devait être indépendante vis-à-vis de ses fondateurs. C’est la norme ou, en tout cas, c’est l’esprit de la norme qui régit les fondations. Or, André Récipon ne veut pas d’une Fondation Raoul Follereau indépendante pour la simple raison que la dévolution successorale interne à la famille Récipon ne serait plus garantie pour les générations futures.
Il suffit alors à la famille Récipon de contrôler à la fois le collège des Fondateurs de la Fondation et l’association AFRF pour maîtriser, en toute légalité apparente, les destinées de la Fondation reconnue d’utilité publique Raoul Follereau.