La force de conviction, une vitalité universelle ?
Lorsque nous considérons les rapports de force qui ressortent dans l’actualité, avec, par exemple, ce bras-de-fer des proposants CPE contre les anti-CPE, certaines « singeries » médiatiques autour des politiques, nationale comme internationale, lorsque nous découvrons les simulacres du politiquement correct, sans parler de ceux qui jouent avec notre planète, je vois au travers de tous ces enjeux, de ces jeux de balance médiatiques, politiques, et même religieux, une force bien en place se repèrant sous de multiples visages. Il s’agit de la force de conviction.
C’est le titre du livre de Jean-Claude Guillebaud qui m’a incité à écrire (1). Non seulement le titre, mais aussi le contenu du livre. J’écrirai ce que produit en moi cette expression. Une sorte d’effet de relance, consécutif à ce livre et aux événements actuels.
La force de conviction est une réelle force, une force efficace dont les effets sont notoirement présents dans bien des aspects de la vie courante. On la retrouve en politique, en religion, en affaires économiques, en société, jusque dans une opinion libre. La conviction est comme un moteur qui propulse toutes sortes de pensées, d’intentions, de mobiles, de raisons à défendre, à promouvoir sur le marché de la reconnaissance et du pouvoir. Ils sont plus ou moins rationnels, plus ou moins logiques, plus ou moins cohérents. Elle règle et régit les tendances d’intolérance, de désenchantement, de scepticisme, de cynisme, de crédulité, toute la panoplie des expressions.
Cette force de conviction, cette nécessité de croyance propagée par des contenus différents, qui s’opposent même, donnerait sens à la vie d’un moment, d’une société, d’une culture. On observe des renversements par le rejet de contenus des croyances ou certitudes qui sont reforgés en d’autres, différents et souvent opposés, parfois avec nuances, parfois radicalement. Ces observations ne sont pas la critique d’un manque de raison ou de cohérence observé dans ces évolutions. Au contraire, elles sont toujours présentes pour animer les changements. L’exemple du grand basculement produit par l’époque des Lumières marque bien ce revirement, même si on peut trouver dans l’esprit des Lumières des marques du haut Moyen Âge, de la Renaissance et de l’époque classique. Cependant, je constate que ces retournements sont toujours animés par cette même puissance de croyance prenant l’allure de certitude. Elle éveille tout un substrat d’émotions, de passions en réserve intime, qui se révèle et qui s’expose sur toutes les façades du vécu.
En y réfléchissant un peu, en ouvrant son coeur marqué de cette force de conviction, de croyance, on a du mal à l’exposer sur le laboratoire d’analyse. Les retours, de droite à gauche et de gauche à droite, de bas en haut et inversement, ne sont que des retours de contenus. L’intensité avec laquelle le porteur de conviction va défendre ce qu’il combattait ou combattre ce qu’il défendait reste la même. L’athée qui en vient à goûter aux mets succulents de la foi, le renégat qui vomira ces mêmes mets ; c’est l’entrecroisement des croyances, dans un incroyable chassé-croisé d’idées, de motifs et de représentations.
Vacillation d’une cause portée par le soubassement de la conviction et de la croyance. La nuance de sens entre ces deux mots est très petite. On parle de fondamentalisme religieux, on parle de radicalisme politique, je parlerai de fondamentalisme et de radicalisme humain en la présence de cette conviction pressante. Elle est partout. Il n’y a pas une culture qui en soit privée. La conviction, la croyance, c’est le choix. "Il se définit toujours en fonction de ce qu’il exclut", disait G. Deleuze. Les croyances sont visitées par une série de substitutions. Les mauvaises expériences, les illogismes reconnus, les déceptions personnelles, tant de facteurs passionnels, rationnels et irrationnels font naviguer les pensées et les prises de position dans le régime de la croyance.
La force de conviction ne semble pas nous quitter. Il y a des temps de transition qui nous mènent dans un no man’s land sans certitude, sans puissance de conviction. Mais il ne dure qu’un moment, le temps de forger les armes, de créer le terrain où cette force de conviction pourra entraîner la nouvelle cause à défendre, la nouvelle vision de vie à concrétiser. Elle stigmatise parfois sa portée dans une sorte de pathologie mentale, mais elle rayonne aussi de ces bienfaits porteurs pour l’humanité. Elle participe à la construction de l’humanité comme à sa destruction.
Ne serait-elle pas cette sorte de vitalité universelle propre à la dimension humaine ? Elle participe à la multiplicité, à l’unité. Cette force de conviction évoque pour moi ces zones d’ombre et ces zones lumineuses que porte l’humanité en elle.
(1) Jean-Claude GUILLEBAUD, La force de conviction, éd. Seuil, Paris, 2005, 390p.
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