La France à deux vitesses vue par le Commissariat général à l’égalité des territoires ..
La publication récente du rapport « emploi et territoires » par le Commissariat général à l’égalité des territoires[1] (« CGET » ci-après) demeure riche d’enseignements sur les disparités économique et démographique qui subsistent en France métropolitaine.
A la lecture de ce document, le premier élément qui ressort n’est pas une nouvelle pour quiconque s’intéresse à la question du développement économique des territoires, à savoir qu’il existe une France à deux vitesses[2]. Ce constat ne date pas d’hier, tandis que certaines aires urbaines[3] se développent de manière tendancielle, d’autres territoires, davantage ruraux, ne parviennent à s’intégrer dans une économie mondiale de plus en plus concurrentielle. Face à cela, la présente étude offre plusieurs grilles de lecture permettant d’appréhender ne serait que partiellement de telles dynamiques territoriales.
Emploi, démographie et spécialisation économique …
De prime abord, la création d’emploi et le dynamisme économique semblent nouer des liens ténus, et ce notamment si l’on compare la situation des territoires de 1975 à 2012. Alors que les espaces connaissant une chute de leur démographie ont connu un fort déclin économique (Nord-est de la France, Normandie), d’autres ont profité des mouvements inverses (la région parisienne, et certaines agglomérations à l’instar de Bordeaux, Toulouse, etc.). De là à savoir si la croissance de la population suscite le dynamisme économique ou bien s’il s’agit de l’inverse, une chose est sûre en revanche, ces deux paramètres sont interdépendants.
Par-delà la question démographique, il semblerait que la mutation des activités économiques ces quarante dernières années à la faveur des activités de service explique en grande partie la situation de nombreux territoires. En ce sens, l’étude révèle que ce sont les territoires où les activités de service se sont le plus développées qui ont su le mieux faire face à la disparition d’emplois industriels et agricoles, tandis que le Nord-est de la France, historiquement caractérisé par la présence importante d’activités liées à la sidérurgie et au textile subit encore aujourd’hui de plein fouet la concurrence internationale. Précisément, l’étude révèle qu’entre « 1975 et 2012, 2,9 millions d’emplois ont été supprimés dans l’industrie, 1,4 million dans l’agriculture et 125 000 dans la construction, quand en parallèle le secteur tertiaire croissait de 9,4 millions d’emplois ».
Ceci étant dit, le dynamise économique de certains territoires ne saurait se résumer à la présence massive de ses activités de service, loin s’en faut. On l’a vu, la démographie demeure un paramètre essentiel, mais à ce la doit s’ajouter la localisation des collectivités (proche ou non d’une frontière terrestre, de l’océan ou de la méditerranée, ou bien situé en zone de montagne) ou encore l’importance des infrastructures et des réseaux de communication, ce qui explique, du reste, pourquoi certains territoires orientés vers l’économie industrielle ont résisté à la chute du secteur (entre autres, le Pays de la Loire et le Sud ouest).
La concentration croissante de l’activité économique …
Second aspect mis en lumière par l’étude du CGET, la concentration croissante des leviers du développement économique au niveau des principales aires urbaines[4]. Ce mouvement ne fait que traduire une évolution socio-économique très spectaculaire puisque nos 15 plus grandes agglomérations regroupent aujourd’hui 40 % de la population, ce sont elles qui résistent le mieux à la crise et bénéficient de la grande majorité des créations d’emplois.
Selon le rapport, la France serait « organisée » selon un schéma « centre-périphérie, entre des pôles urbains qui concentrent les emplois, en particulier les plus qualifiés, des couronnes qui accueillent l’essentiel de la croissance démographique », puis des territoires peu denses qui peinent à créer des richesses économiques.
La concentration de l’emploi au niveau des principales aires urbaine est déterminée par de multiples paramètres, et l’étude de fournir certains éléments explicatifs. Ainsi, la taille acquise par de nombreuses aires urbaines constituerait une dimension favorable pour créer ce que la doctrine qualifie des économies d’agglomération, c’est-à-dire des gains de productivité générés par la proximité géographique d’une multitude d’entreprises.
Néanmoins, les aires urbaines ayant connu les plus importants développements présentent des disparités. De la sorte, parmi les plus importantes agglomérations toutes n’ont pas bénéficié d’une croissance importante (Lille, Rouen), tandis que d’autres, de taille plus modeste ont au contraire affiché une croissance de l’emploi sensiblement importante. La dimension des aires urbaines ne peut donc être utilisée comme seul référent explicatif face aux disparités économiques des territoires.
Une chose est certaine, ce mouvement de « métropolisation » est aujourd’hui largement soutenu par les pouvoirs publics[5], ce qui semble être rendu nécessaire par un contexte de concurrence internationale, et ce dans la mesure où plusieurs des grandes villes françaises ne seraient pas en mesure de rivaliser avec les métropoles européennes. Pourtant, les effets supposés bénéfiques attachés à cette concentration des activités économiques pour le reste du territoire sont loin de rassembler les économistes et spécialistes de l’aménagement du territoire …
Ceci nous conduit à nous demander, sans exagéreration, aucune, si la France de demain ne sera pas celle des métropoles et des « déserts ruraux ». La question mérite en tout cas d’être posée tant l’écart se creuserait entre les plus importants pôles urbains et le reste du territoire.
« La géographie du chômage est de plus en plus stable » …
Enfin, pour conclure il faut préciser que l’étude commentée souligne quelques éléments sur la répartition du chômage. Certains territoires souffriraient structurellement du chômage (Dom, Nord-Est et littoral languedocien principalement) tandis que d’autres affichent des niveaux corrects par rapport aux voisins européens qui s’en sorte le mieux. Il semblerait même que cette stabilité va en s’accroissant puisque le classement des zones d’emploi n’a pratiquement pas évolué depuis 2007.
Ainsi, selon l’étude « parmi les 32 zones d’emploi (10 %) qui avaient les plus forts taux de chômage de France métropolitaine en 2007, 26 occupent toujours la tête du classement en 2014 ». Reste que, le niveau du chômage affiché sur les différents territoires appelle quelques nuances puisqu’un « faible » taux peut être accompagné par un dynamise économique relativement faible (Pyrénées atlantiques, Aveyron), tandis qu’un « fort » taux peut être tempéré par une importante création d’activités (le pourtour méditerranéen) …
[1] Institution publique placée sous la tutelle du Premier Ministre ayant des missions diverses en lien avec la question de l'aménagement du territoire
[2] A ce sujet, voir les livres de C.Guilluy, « la france périphérique » (2014) et de Laurent Davezies « la crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale » (2012).
[3] Selon l’Insee, une grande aire urbaine est un ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurale sou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci. Il existe 242 grandes aires urbaines en France.
[4] En 2009, 60 % du PIB français provenait d'une douzaine d'agglomérations selon une étude publiée par la DATAR (Une nouvelle ambition pour l'aménagement du territoire, Doc. fr., 2009).
[5] Voir les lois du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles et du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.
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