La France a-t-elle encore besoin de Jeanne d’Arc ?
A l'occasion du 600ème anniversaire de sa naissance, le Président Sarkozy a rendu un vibrant hommage à cette icône populaire qu'est Jeanne, la Pucelle d'Orléans.
Événement abondamment commenté par les politiques et les médias comme il se doit pour un geste qui se veut éminemment politique : il s'agit, pour le Président, d'une tentative (pathétique ?) de se réapproprier un symbole populaire qui, par les temps électoraux qui courent, pourrait lui valoir quelques suffrages supplémentaires.
Mais nul ne s'est posé la question de fond : en 2012, la France a-t-elle encore besoin de Jeanne d'Arc ?
Jeanne d'Arc est un mythe de son vivant (de 1429, date de son entrevue avec le Dauphin Charles à Chinon, à 1431, date de sa mort sur le bucher à Rouen). Ce sont les Armagnacs, partisans du Dauphin, en guerre contre les Bourguignons alliés des anglais, qui développent l'image de la bergère pauvre, chargée par Dieu de "bouter les anglais hors de France" que l'Histoire officielle véhiculera auprès de nos chères têtes blondes. Elle est alors considérée comme une sainte, même si sa canonisation n'interviendra que bien plus tard.
Superbe stratagème politique ou véritable miracle (les historiens en débattent encore), sa "mission" réussit puisqu'elle libère Orléans, fait couronner le roi à Reims, avant d'être capturée à Compiègne et subir le sort que l'on sait. Charles VII ne lui en saura aucun gré et n'interviendra pas. Mais le sort de la guerre aura basculé en sa faveur.
Au XIXème siècle l'historien républicain et libre penseur Jules Michelet, suivi par d'autres, fait entrer Jeanne dans la catégorie des héros incarnant le peuple, ferment du sentiment national. Naissance d'une Jeanne d'Arc "de gauche" ?
Dans les dernières années du siècle et les premières du suivant la dispute fait rage entre "droite" et "gauche" pour l'appropriation de cette Jeanne populaire . Elle est même la cause d'un improbable duel entre le poète et militant nationaliste Paul Déroulède et le député socialiste Jean Jaurès.
Lorsqu'elle est sanctifiée par l’Église en 1920, elle passe définitivement dans la camp de la droite nationaliste.
C'est donc tout naturellement que le FN, dès sa création en 1972, se l'approprie comme symbole de la lutte contre tous les "envahisseurs".
Loin de moi l'idée de minorer le rôle que l'Histoire prête à Jeanne d'Arc dans le sursaut qui permit à Charles VII de reprendre en main son destin et celui de la France.
Mais la France du XXIème siècle ne doit-elle pas se donner des symboles à la fois plus adaptés à sa modernité, à son rôle en Europe, au regard que le reste du monde porte sur elle ?
Jérôme Champion de Cicé (dont tout le monde a oublié le nom), Garde des sceaux de Louis XVI, puis député du clergé aux États Généraux de 1789, auteur de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, ne mérite-t-il pas nos hommages ?
Plus près de nous, René Cassin, l'un des rédacteurs de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme n'est il pas représentatif des valeurs que le Monde entier nous reconnaît ?
La France, patrie des Droits de l'Homme.
J'en tire une très grande fierté. Et m'identifie bien davantage à tous ceux qui ont fait rayonner mon pays depuis le siècle des Lumières qu'à Jeanne d'Arc.
Gageons que les français plus récents, issus de l’immigration italienne, polonaise, vietnamienne, espagnole, portugaise, maghrébine, africaine ne me contrediront pas. C’est bien davantage la France de Voltaire et de Rousseau que celle de Jeanne d’Arc qu’ils ont adoptée et qui les a accueillis en son sein.
Pendant que nous y sommes regardons d'un peu plus près nos autres symboles.
Peut-être, mais, à y regarder de plus près, cet hymne qui parle d'"étendard sanglant", d'"ennemis" qui viennent "égorger nos filles et nos compagnes", de "sang impur [qui] abreuve nos sillons" ... (dont je ne doute pas qu'il ait galvanisé les soldats de l'An II) est-il toujours mobilisateur aujourd'hui ? Qui se reconnaît encore dans ce texte ?
Pour ma part, j'avoue que, lorsque la Marseillaise retentit à l'occasion d'une grande compétition sportive par exemple, je me prends à rêver qu'elle soit plus mélodieuse, plus poétique, plus "moderne".
A mes yeux, le coq est, avant tout, un animal de basse-cour, sot et prétentieux.
La France est réputée pour sa douceur de vivre, la qualité de ses paysages, la richesse de son patrimoine, de sa culture, de sa cuisine, son industrie (luxe, aéronautique, transport, agro-alimentaire, ...), sa recherche médicale ... Bien (trop) lourd à porter pour notre volatile national, ne trouvez-vous pas ?
Instauré en 1880 pour marquer la fête nationale, cette parade militaire concurrence aujourd'hui celles qu'on peut admirer en Chine, Corée du Nord, Birmanie, Russie, Biélorussie, etc.
A l'exception de l'Espagne et de la Turquie, si vous aimez l'uniforme évitez les pays démocratiques !
Eva Joly prit récemment une volée de bois vert de la part des gardiens vertueux de nos traditions républicaines. Son idée de remplacer la parade militaire par un "défilé citoyen" lui valut un "tacle" (comme disent les médias) de la part du Premier Ministre, François Fillon, qui mérite de rester dans les annales : "Je pense que cette dame n'a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l'histoire française". Même la gauche jugea que c'était une "très mauvaise idée" (Ségolène Royal), une "expression de mauvais goût" (Manuel Valls).
Contrairement à tous ces bien-pensants tactiques ou idéologiques, je trouve l'idée tout à fait intéressante. Ne pourrions-nous pas en effet mettre à l'honneur les forces vives de la Nation ?
Qui plus est, de telles manifestations pourraient irriguer les plus petites bourgades au lieu d'être réservées à la seule capitale.
La France a profondément changé. Ne serait-il pas temps de réfléchir ensemble à ce qui nous lie, nous entraîne tous ensemble vers l'avenir ?
Trouver ensemble les symboles qui représentent le mieux cet élan ne serait-il pas le véritable enjeu d'un vrai débat sur notre identité ?
Post scriptum.
Afin qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, je tiens à préciser que je suis ce qu'on appelle un français "de souche". Passionné d'histoire et généalogiste amateur, je peux attester, tant du côté paternel que du côté maternel, d'au moins 16 (vous avez bien lu 16) générations issues des Vosges ou de Haute-Savoie. Qui dit mieux ?
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