La France criminalisera-t-elle l’expression des anorexiques ?

En avril 2015, l'Assemblée Nationale française a initié la création d'un nouveau délit "d'incitation à l'extrême maigreur" visant prioritairement, aux dires des députés, les sites web "pro-anorexie". Cette disposition (vieux serpent de mer déjà bloqué par le Sénat en 2008), perdue dans le mastodonte de la nouvelle "Loi santé", a été supprimée cet été par la commission des affaires sociales du Sénat pour être réintroduite in extremis par la délégation aux droits des femmes avant la représentation de la loi devant l'Assemblée ce 16 novembre.
Pour rappel, les sites visés sont principalement constitués de réseaux de blogs d'anorexiques partageant leurs angoisses, leurs degrés de prises de conscience de leur pathologie, leurs vécus et leurs évolutions.
Un premier amendement proposé en ce sens par l'opposition de droite UMP prévoyait une peine allant jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45.000 € d'amende. C'est finalement l'amendement socialiste qui a été adopté avec le soutien du gouvernement, instaurant un délit passible d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 10.000 € d'amende. S'il était adopté en seconde lecture par les députés, la France deviendrait le premier pays au monde à pénaliser l'expression publique des anorexiques (seule l'Italie avait adopté une législation similaire avant de la supprimer dans les mois suivants suite au tollé suscité dans le monde médical et associatif).
Si, bien sûr, l'activité législative relève de la compétence des parlementaires, on peut regretter que les députés n'aient pas cru bon de saisir le Comité de bio-éthique, d'entendre des experts (psychiatres, psychologues, sociologues, associations de patients) ni de consulter le rapport Anamia (réalisé en collaboration notamment par le CNRS, l'EHESS et diverses universités) défavorable à ce type de mesures. Il semble malheureusement que cette question ait souffert de maux propres à la France des dernières années : débats menés exclusivement par des "intellectuels" médiatiques, centralisation, autonomisation du politique et tendance récente à la limitation d'expression sur le web.
Rien ne justifie une telle attitude, au vu de l'absence d'urgence quant à cette problématique. En dehors même de la question générale de la limitation de la liberté d'expression, l'adoption de mesures pénales ciblant des malades est une chose grave qui ne devrait pas souffrir un tel amateurisme.
Shanan Khairi, MD
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