La France, dépecée par l’Allemagne ou par la Chine ?
Le 16 octobre 2017, Alexandre Mirlicourtois et Olivier Passet nous permettent de faire la connaissance de Mathias Thépot, journaliste à Xerfi. Né en 1988, il a donc vingt-neuf ans au moment où il apparaît sur la vidéo, et pourrait être leur fils. Que le temps passe !
Mais nous allons constater qu’il se débrouille déjà très bien… Immédiatement, il pose une question qui intéresse à la fois la France et l’Allemagne :
« Alstom et Siemens : quel est le but de cette fusion ? »
La réponse est aussi directe que le sera l’ensemble du propos du jeune Mathias qui ne paraît pas avoir pour habitude de tourner autour du pot :
« Elle concerne l’activité de signalisation ferroviaire qui devient hautement stratégique dans le secteur. »
Et déjà, nous avons pris un coup en pleine face… S’il doit s’agir de « stratégie », nous savons aussi que la France ne va pas tarder à ressortir par la petite porte.
Les systèmes de signalisation seraient un élément stratégique…
« Bien plus que la construction de rames ou de motrices. »
Outre que la signalisation doit intervenir…
« pour réguler le trafic ferroviaire, augmenter les cadences tout en assurant la sécurité des voyageurs, il s’agit en plus d’une activité de haute technologie, la plus rentable du ferroviaire. C’est également celle qui apporte des gains de productivité potentiels massifs par l’informatisation, et l’automatisation du trafic. »
Que cela soit un enjeu entre la France et l’Allemagne ne saurait nous étonner : l’Empire allemand ne peut pas se payer le luxe de laisser un tel outil dans les mains de l’incapacité française sur laquelle il s’est lui-même refondé, dès les premiers dollars venus chez lui sous la forme du plan Marshall. Je ne reprendrai certes pas ici toutes les humiliations reçues par la France de ce temps-là…
Pour cette fois, je me contenterai de rappeler deux phrases très significatives de l’historien américain Irwin Wall :
« Ainsi tombait la dernière barrière qui empêchait la France de s’enfoncer dans une dépendance économique plus étroite vis-à-vis de Washington. » (Michel J. Cuny, Quand le capital se joue du travail - Chronique d'un désastre permanent, Editions Paroles Vives 2012, page 181)
« Ce plan visait plusieurs objectifs, le principal et de loin, était la reconstruction de l’économie allemande, dans des conditions qui le rendent acceptable aux autres pays européens et d’abord à la France. » (Idem, page 182)
Et ce qui serait inacceptable aujourd’hui, ce serait que l’intelligence des systèmes de signalisation ne parte pas très vite se réfugier en Allemagne… Cela viendrait en conclusion d’une histoire dont Mathias Thépot nous indique un épisode important :
« Dans ce domaine, Siemens et Alstom comptent déjà une longueur d’avance. Voilà déjà quelques années qu’ils y travaillent : L’Allemand en rachetant l’anglais Invensys en 2013, et le Français en reprenant les activités de signalisation de General Electric en 2014. Ainsi avant même leur fusion, Siemens et Alstom représentaient déjà respectivement 20 %, et 10 % du marché mondial de la signalisation ! »
Nous constatons, en passant, que la part allemande fait déjà le double de la part française, ce qui n’empêche toutefois pas celle-ci d’être tout de même quelque chose de substantiel à l’échelle de la planète…
Mais ce serait ici qu’il faudrait bien ouvrir l’œil :
« En s’appuyant sur cette activité, Siemens et Alstom vont aussi distancer l’autre nouveau géant du ferroviaire : le chinois CRRC, qui pèse 30 milliards d’euros de chiffres d’affaires, soit près de deux fois plus que le nouvel ensemble européen. Or, la concurrence du géant chinois ne se fait pas encore sentir sur le segment de la signalisation. »
Il s’agirait donc d’anticiper… Mais Mathias Thépot nous fait entrer davantage dans la problématique franco-française :
« Il ne faut donc pas s’étonner que CRRC se soit rapproché du français Thalès. Ils ont conclu fin 2016 un partenariat pour surmonter les handicaps chinois dans les domaines de pointe de la signalisation. Un pied de nez à Alstom qui a tenté de racheter, en vain, les activités de signalisation de Thalès en 2015. »
2015… 2016… France… Chine… Et quand ce n’est pas la Chine, c’est l’Allemagne qui pointe le bout de son nez…
Nous le savons désormais, grâce à Mathias Thépot : le chiffre d’affaires de la société chinoise CRRC représente le double de ce que serait la réunion de Siemens et d’Alstom. Et déjà, CRRC est en affaire avec Thalès… Voici pour l’un des côtés de la pince qui menace la France.
De l’autre côté, considérons les enjeux tels que nous les présente notre jeune journaliste :
« Ce qu’il faut bien comprendre enfin, c’est que le nouvel ensemble constitué par Alstom et Siemens est à la tête d’un gigantesque écosystème de fournisseurs, d’équipementiers, de sous-traitants, de distributeurs et autres clients. Un écosystème où la firme pivot détermine les règles du jeu, depuis les normes techniques jusqu’aux négociations des prix tout au long de la chaîne de valeur. »
Et si Siemens avale Alstom…
« les règles du jeu seront fixées depuis le siège de Siemens, à Munich. »
Par contre – et s’agissant de l’autre branche de la pince, ce que Mathias Thépot a oublié de nous dire, sans doute dans la précipitation de la jeunesse, c’est ceci, que CRRC Corporation Limited est bien une société d’État sous contrôle direct du gouvernement de la République populaire de Chine.
Mieux dit encore : sous le contrôle direct du parti communiste chinois et de la dialectique marxiste…
NB. Cet article est le cent-quarantième-et-unième d'une série...
« L’Allemagne victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ? »
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