La France des oeillères est devenue une société bloquée (et moribonde ?)
Il est bon de laisser vaguer son esprit sur l’atmosphère du moment, les événements, les détails du monde ; se laisser envahir par des impressions intellectuelles, fugitives ou tenaces, les capter pour les coucher sur papier, quitte à en accentuer certains traits. Il en ressortira un constat sur le présent qui, s’il s’insère dans un contexte historique, vaut comme prospective, voire prédiction d’un monde à venir. Une société bloquée ?
Aujourd’hui, le mimosa est en fleur, mais avec un léger retard par rapport à l’année passée. Sans doute un froid tenace et le manque d’ensoleillement. Pas de quoi infléchir le cours régulier de la nature. Les végétaux vivent un rythme annuel, ne corrigeant leur pousse qu’à la faveur de circonstances climatiques. Les plantes sont d’une incroyable plasticité. Les tiges, les branches et les feuilles poussent diversement, en fonction de l’environnement. Elles s’adaptent mais ne changent pas d’essence. Elles ne connaissent pas le progrès. Les chiens et les chevaux non plus, ni du reste les singes. Mais le plus distingué des mammifère, celui qui est doué de parole, de conscience, de volonté et représentation, s’est mis en tête, dans un endroit de la planète et à une époque bien connue, que la destination des sociétés était le progrès. Sous entendu, matériel, technique mais aussi social. Chaque année amène ses nouveautés dans une société de progrès. Mais les mimosas sont en fleurs au mois de février. Un chêne deviendra plusieurs fois centenaire. En l’espace de quelques décennies, les sociétés peuvent s’effondrer. Non sans avoir livré quelques signes avant-coureurs. Des tensions ? Des colères ? Des crises économiques ? Et pourquoi pas, des blocages.
Je n’y avais pas prêté attention. Chaque année, la luminosité varie, en février, en août. Le journal télévisé déverse ses nouvelles. La vie tourne. Un passé, des regrets, des souffrances, des joies, et des projets, des tâches, des espérances. La radio diffuse des nouvelles. Les mêmes. Je n’y avais pas prêté attention. La crise est présente. Le gouvernement veut la réforme à marche forcée mais les conditions ne sont pas favorables. Rien ne semble fonctionner avec sérénité. Cela fait des années. Je n’y avais pas prêté attention. En mars, on traverse les giboulées. En juillet, l’atmosphère se fait lourde et le ciel étrangement sombre, la foudre s’abat, alors que la végétation est luxuriante. On n’y prête pas attention. Comme du reste aux institutions. Cette éducation nationale qui produit des illettrés, ces universités offertes au tourisme des spécialités, fabriquant des futurs chômeurs, cette recherche qui se cherche, ce système de santé dévoyé par d’habiles profiteurs, des soins de plus en plus coûteux, ces abus, cette télévision qui n’invente plus rien, ressasse les mêmes poncifs d’émissions décorées par des stars potiches en promo… on s’habitue. La société se bloque, s’ankylose.
L’homme est déterminé, plus que toute autre espèce, par son cerveau. Si le système nerveux apparaît comme le nerf de l’évolution (c’est moi qui le dit !) alors l’esprit humain est le nerf du progrès social. Et quand l’esprit devient obtus, se rétrécit, eh bien la société se bloque. La crise économique, présentée par les médias comme un désastre, n’a rien de si calamiteux car tout va se remettre en marche avec des dégâts sociaux. Par contre, le blocage des esprits est un problème d’une tout autre nature. Et quand les esprits ne s’ouvrent pas, il arrive que le corps, l’émotion, les obscurités inconscientes prennent l’ascendant, générant le chaos, conduisant les esprits à réfléchir et s’ouvrir à nouveau. Car tout se passe dans la tête. Même si docteur Sigmund nous absout de nos responsabilités en invoquant l’inconscient.
Je me suis demandé pourquoi face à la crise économique, l’idée que je propose n’a pas été examinée. Venant des élites, cela se comprend mais de la part des internautes. Je n’ai eu que de gros soupirs et d’insipides ricanements. Pourtant, la situation mérite qu’on explore toutes les pistes. J’en ai déduit que les cerveaux de mes concitoyens ne fonctionnent plus. Ce qui en fin de compte, permet aux profiteurs de faire des affaires. Tant que le bon peuple ignore les rouages. Dans d’autres domaines, même constat. Une inaptitude à sortir du champ manichéen. Il faut être libéral ou anti-capitaliste, il faut être darwiniste ou créationniste. Hélas, les blocages sont aussi présents dans les médias, chez les universitaires. Finies les controverses. Tout doit être lisse. La société de 2009 n’a rien à voir avec celle des Lumières ou de la Troisième République, ou des années 1960. C’est une société de replis, de peurs, de sécurité, d’émotion. Chacun reste sur ses positions, sans oser penser différemment, sans oser bousculer la routine. Et cette société se sclérose peu à peu. Mais quelques-uns en tirent des bénéfices. Les maîtres du profit savent que l’ignorance des peuples est leur fonds de commerce. Mais pour finir sur une bonne note, je pense que des esprits sont disposés à repenser l’évolution et s’agissant d’économie, il faudrait sans doute un type disposant d’une crédibilité pour exposer mes propositions de solution. Une société n’est jamais bloquée dans l’absolu. Tout est question de rapports de forces et d’esprit !
Quelques questions. Avant 1789, 1848, 1968, voire 1939, la société française était-elle bloquée ? Et la société russe avant 1917 ? Et la société anglaise avant 1689 ? Et la société iranienne avant 1979 ? Et la portugaise avant 1974 ? La réponse à ces questions livrera une intelligibilité supplémentaire à l’interrogation universelle sur l’impasse. N’étant pas historien et pas assez présomptueux, je ne donnerai pas de réponse et du reste, il se peut bien que les réponses soient dans les livres d’histoire. Ce qui au final ne nous aide pas pour résoudre les blocages actuels aux ressorts et contours sans doute inédits.
Mais quelque part, la situation actuelle ressemble par certains aspects à l’Ancien Régime avant la Révolution. Des privilèges, des profits, des corporations, des factions, des groupements d’intérêts. La société française est complètement éclatée en groupes sociaux qui défendent leurs propres intérêts avant de défendre l’intérêt public. C’est aussi cela le blocage. Les œillères, elles peuvent être greffées sur l’homme pour l’aliéner et l’exploiter. Les œillères, elles peuvent aussi êtres formées par l’individu qui décide de mesurer ses actions à la dimension finale de son propre intérêt. Conclusion. Une société bloquée équivaut à une société dont la plupart de ses membres ont des œillères. Les signes de ce blocage, inutile de les énumérer. Il faudrait un almanach. Mais ne nous trompons pas. Il existe des systèmes fonctionnant à peu près mais que d’improbables gestionnaires voudraient réformer au service de l’efficacité et de la performance. A un moment, il faut que ça craque et que la question du projet de société soit débattue car pour l’instant, nous avons un conflit généralisé sans enjeu clair, quasiment une guerre civile jouée dans les médias, entre des factions, corporations, partis, dont les membres ont des œillères. Un fait, une comédie. La société bloquée a ses raisons de l’être. Elle maintient ses positions pour garantir l’orde. Hélas, une amputation sociale se dessine et comme la société en position a des œillères, l’holocauste économique et social est en marche. Ainsi se déterminent les sociétés bloquées dont les membres portant des œillères. Il ne fait pas bon être en dehors du champ de vision des œillères.
Le mimosa fleurit toutes les années. Et je suis attentif à ce phénomène d’une radieuse esthétique annonçant les jours plus long et la quiétude de ces soirées printanières déclinées avec toute l’invention du sage épicurien. Par contre, je n’y avais pas prêté attention, les intellectuels me semblent fanés. Malédiction jupitérienne, le vieux se referme sur ses obsessions. Finkielkraut répète ses litanies et BHL traque l’antisémitisme dans les moindres recoins de la société, y compris dans un grincement de porte. Onfray a réussi le tour de force d’être un vieux con à cinquante balais. Jean-François Deniau était un jeune homme dans sa tête, à soixante-dix balais ! Les scientifiques racontent les mêmes choses sur Darwin depuis des années. Et ce sont toujours les mêmes qu’on voit a la télé. Val sert de décoration à Canal. Tel le vieillard s’appuyant sur sa canne, Val a besoin d’un prompteur pour réciter une analyse un peu élaborée mais que c’est bon de voir l’esprit Canal, avec cette vieille canaille de Val, le bobo rebelle de service. Où se situe cette fameuse clairière dont parlait Heidegger ? Je cherche la lumière chez nos intellectuels mais c’est tout de même plus sensé de se promener dans un champ de lavande, quelques mois après les mimosas en fleur. Je n’y prête guère attention mais mon esprit divague et je raconte des choses inintéressantes depuis quelques lignes. Dieu merci, je sais encore raisonner. Le blocage des esprits est un mal contagieux. Qui se transmet par contact médiatique, surtout par la télé. Le grabataire souffreteux se verra prescrire un séjour dans un sanatorium à Davos pour se dégager les poumons et retrouver le souffle. Même chose pour le souffle de l’esprit, bloqué après s’être plongé dans un environnement médiatique. On prescrira quelques séances de rééducation dans une bibliothèque. Dix pages de Sénèque et vingt de Nietzsche…
Une question. Comment comprendre ces blocages de l’esprit ? Est-ce en fin de compte un processus humain, trop humain. Une sorte de disposition psychique élaborée avec un ressort relevant de l’instinct et de l’intuition. Avec une finalité. Se protéger de l’inconnu, de l’autre, préserver ses intérêts et surtout, sans doute, se configurer dans une fonctionnalité, une disposition d’esprit adaptée à la structure du monde social et économique. On n’y prête plus attention mais nous avons tous des œillères, tels des étalons sauvages domptés, libres en apparence et formatés pour gérer nos intérêts et ne pas nous laisser distraire par les imprévus. Si vous avez déjà discuté avec un homme politique, vous aurez constaté qu’il prête son oreille mais semble ne pas vous entendre. C’est normal. Il a son bouclier psychique pour naviguer et suivre ses idées.
A certaines époques, des volontés d’ouverture se manifestent. Avec des conséquences dans le domaine social mais aussi le champ des savoirs. Il se dit que la philosophie des Lumières aurait été l’un des ressorts de la Révolution. Nous n’en sommes pas sûr mais nous sommes certains que de 1750 à 1789, des innovations intellectuelles (dont les jésuites firent les frais) ont précédé cette fameuse Révolution qu’on interprétera sans difficulté comme l’expression d’ensembles humains déterminés à débloquer une situation devenue sclérosée. Il y eut un changement de régime. Comme en 1979 en Iran, quand la République islamique a remplacé le régime autoritaire du Shah.
En 2009, le révolutionnaire regarde la télé et son passe temps préféré, c’est d’observer les mimosas en fleur, puis les giboulées de mars, ensuite les bourgeons d’avril. Un œil sur la société n’indique pas un profond désir de changer de société. Les esprits influents sont bloqués. Le peuple, hélas, il a bien été dressé, coaché pour accepter la croissance et l’emploi comme seul horizon. Il y a trente ou quarante ans, la vie intellectuelle était foisonnante. Mécanique quantique en question, Lupasco et la logique dynamique du contradictoire, Palo Alto et les théories systémiques incluant l’interaction, la sortie du binaire, le changement de cadre, si prisé par Watzlawick, la méthode de Morin et sa causalité circulaire, l’autopoïèse de Varela et j’en passe. Tout ça pour aboutir à quoi. Un spectacle de bavards, entre les néo-libéraux et les anti-capitalistes. Un PS à encéphalogramme plat. Et des tas de réflexions manichéennes où l’on désigne des coupables, où l’on choisit son camp, où l’on sert sa faction, sa corporation. Tiens donc, corporation, ce mot évoque bien 1789. Avec la loi Le Chapelier qui suivit. Bel exemple de déblocage dans le domaine des professions. La France a repris ses manies d’Ancien Régime, avec des privilèges, des emplois réservés au fils de… aux filles de… une société bloquée. Alors, qu’attendre ? La société est peut-être achevée. Le processus de transformation a abouti vers un ordre à dimension humaine. Les uns dominent et exploitent une masse humaine formée, formatée. C’est cela la fin de l’Histoire. L’asservissement du grand nombre librement consenti par l’assentiment démocratique et la valeur légitime du suffrage universel.
Pour l’instant, la liberté a été abandonnée. Le peuple a le choix entre l’asservissement et la liberté. C’est plus compliqué en fait mais la liberté commence quand on quitte ses œillères et qu’on parvient à regarder en face son prochain. Pour l’instant, je vous propose de regarder les mimosas en fleurs. Evitez les œillets rouges, vous pourriez être aveuglés. Garofano rosso, c’était plus qu’un roman.
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