La France est divisée le 22 avril, le second tour sera passionné et saignant
Les médias et les Français l’ont voulu, ce sera bien un affrontement classique gauche droite qui sera proposé pour décider du futur chef de l’Etat français. Autant dire que c’était attendu. Mais pas avec une telle détermination, une telle clarté.
Quelques réflexions générales sur ce scrutin passionné. Comme les Américains en 2004 et contrairement aux Allemands en 2005, les Français ont choisi la bipolarisation. Les mentors comme Karl Rove ont suggéré à Bush de ratisser aux marges populaires et droitières avec le résultat que l’on sait. Sarkozy a suivi une même logique, comme Royal à gauche, mais ce sont les Français qui ont décidé au vu des offres possibles. La France semble avoir fait un cheminement politique similaire à celui des Etats-Unis. Sans doute, nous pouvons soupçonner quelques connivences ou plus raisonnablement quelque synchronicité avec nos amis américains qui en 2004 ont élu Bush et qui en 2008 vont sans doute basculer dans le camp démocrate. La France semble à une croisée des chemins et a décidé que l’élection se jouerait dans un camp et, d’ailleurs, la gauche antilibérale se prépare à soutenir Royal, Arlette Laguiller la première. C’est inédit, c’est même exceptionnel et les quinze jours qui suivent vont voir se dérouler une campagne d’enfer, saignante... Tout devient possible. Les additions des votes ne donnent aucune avance définitive à un camp, même si Sarkozy semble avoir un léger avantage. Avec les voix de Le Pen et de Villiers, plus la moitié de Bayrou et Nihous, il fait 52 points. Avec des reports plus indécis que ceux de Royal.
Ségolène Royal peut l’emporter si la gauche sait conjurer la malédiction Kerry. C’est possible mais pas facile. Le PS risque de payer son choix des primaires. Qui a une raison. Le PS n’est plus en phase avec un électorat de gauche qui ne peut se gargariser d’incantation. Sarkozy s’avère plus pragmatique. Hélas. Quelques analyses à chaud des résultats
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Il n’y a pas eu un « effet 2005 » parce que l’enjeu des deux scrutins est différent. En 2005, en votant non, le Français pouvait à la fois sanctionner la politique du gouvernement, donner une leçon aux médias qui avaient clairement pris parti pour une option, la présentant comme rationnelle et bénéfique, et voter contre un texte qui ne satisfaisait personne et dont le rejet n’était pas perçu comme portant préjudice à la France. En 2007, l’avenir du pays dépend du résultat du scrutin. C’est du moins la règle du jeu que tous entendent, malgré la différence d’appréciation sur la dépendance entre l’avenir et le choix du président.
Il n’y a pas eu un « effet 2002 » parce qu’il y a cinq ans, le résultat était jugé acquis, avec les deux plus hauts personnages de l’Etat en poste et face aux électeurs. Deux facteurs jouent dans un vote, la représentation et la volonté. La représentation du scrutin étant pour les Français un duel Chirac Jospin, leur volonté s’est mise à papillonner sur l’offre de candidats. On connaît le résultat. Le vote utile a joué, les électeurs ne souhaitant pas qu’on leur vole le débat de second tour, ni voir la horde de citoyens en colère manifestant avec ces slogans de grande littérature, et F comme facho et N comme... d’où le score médiocre de Le Pen qui fait largement moins bien qu’en 2002, si on considère l’appui de Mégret cette fois. Alors que les antilibéraux sont ceux qui payent aussi un lourd tribut au vote utile, ce qui se comprend puisque Royal était la candidate la plus exposée, grignotée par le centre et risquant de passer après le FN. Si les Français ont qualifié les représentants des deux grands partis, c’est que cette fois ils l’ont voulu, fuyant comme la peste un second tour considéré comme flou avec Bayrou et jugé préjudiciable à la démocratie en cas de participation du FN pour la suite du scrutin.
Mais il y a eu un contre 21 avril, c’est sûr !
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C’est donc le résultat médiocre de Le Pen qui constitue la surprise, un Le Pen qui avait senti l’issue, comme l’ont montré ces derniers jours ses coups de colère, sa haine contre Sarkozy. L’explication est simple et double. D’une part la réappropriation du second tour par les Français et d’autre part le grignotage, plus encore, l’absorption partielle de l’électorat FN par Sarkozy. Ce fait est flagrant. Sarkozy a séduit un bon tiers des électeurs d’extrême droite. Un indice. Le journal suisse Le Temps avait publié un sondage sorti des urnes donnant 25 à Sarkozy et 16 à Le Pen. A 19 heures, l’affaire semblait pliée, 30 contre 11. On voit bien les vases communicants. Il faudra en tenir compte pour saisir le sens de cette élection et la suite du scrutin, autant que l’avenir politique de la France.
Avec 30 points, Sarkozy devance, avec une avance avérée mais modeste (un peu plus que celle de Jospin face à Chirac en 1995), Royal qui récolte 26 points, tandis que Bayrou a réussi son coup compte-tenu du niveau où il était il y a six mois, recueillant 19 points, un score lui permettant de poursuivre sa stratégie de recomposition et, qui sait, de faire valoir ses droits moraux et idéologiques sur la suite du scrutin.
La suite, elle se jouera le 6 mai. Après, rien n’est achevé, avec les législatives. C’est ici que Bayrou va devoir jouer en fin stratège car avec 19 points, il représente un électorat conséquent et sait qu’il peut compter sur des électeurs de gauche en cas d’alliances pour les législatives. Si tel n’est pas le cas, on ne voit pas Bayrou recommencer une aventure avec l’UMP. Il n’a plus comme seul choix que de conserver les quelques députés UDF acquis à sa cause et, pouvant sortir indemne de cette partie inédite, rester en stand by de gouvernance et se dévouer à la création de son grand parti démocrate social. Bayrou a posé une tête de pont. Si le quinquennat qui arrive voit une crise se développer, il pourra entrer en scène le moment venu.
Pour le 6 mai 2007, l’affaire est en balance. Il reste notamment les débats télévisés que tous les Français souhaitent, ainsi que les médias et les candidats. Il va falloir que Royal se démarque nettement de son adversaire qui pour l’instant a un léger avantage. Ce sont les électeurs de Bayrou qui risquent de faire basculer le résultat vers la gauche. Un Bayrou qui restera sans doute à l’écart des divisions bipolaires mais en pleine action politique. On ne voit pas comment il pourrait faire autrement.
Mais comme je l’ai écrit par ailleurs, il faut se garder de toutes les illusions politiques. Le monde risque d’aller plus vite que le politique. Quant à livrer une analyse complète et profonde de ce qui s’est passé ce 22 avril, il faudra un peu de recul. Je n’ai pas dit grand-chose et l’essentiel se situe aussi et sans doute au delà du politique.
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