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La France est une fête

Les plus âgés ou les plus ringards d’entre nous se souviennent peut-être du malaise qui fut le leur lorsqu’au beau milieu des années 1980 un animateur de JT posa en direct une fesse sur le bureau du président de la République et, toisant le chef de l’Etat du haut de son fondement, lui demanda s’il était un « président chébran ». A l’époque les formes de la civilité qui s’imposaient à chacun lorsqu’il avait affaire avec le pouvoir n’étaient pas encore tout à fait considérées comme d’incompréhensibles vestiges du passé. Le geste de Mourousi sembla sacrilège et fut abondamment commenté.

Dans la continuité de cette scène inaugurale, le spectacle que donna dimanche soir Nicolas Sarkozy sur le podium de la place de la Concorde au milieu de ses amis du show-business nous prouve sans ambiguïtés que nous sommes dans une nouvelle ère : dorénavant, le président sera un people comme les autres. Il fallait voir en effet notre nouveau président suant et hilare taper sur l’épaule, serrer contre sa poitrine et embrasser à tour de bras la foule bigarrée qui s’amassait sur le podium, une foule où se côtoyaient sans manière d’innombrables membres de la famille recomposée du nouveau président, de son hétéroclite équipe de campagne, ou du monde du show-biz plus ou moins sur le retour. Il fallait voir le président entonner la Marseillaise à l’unisson de Mireille Mathieu, frapper compulsivement (et à contretemps) dans ses mains pour accompagner ses fans et groupies chantant indifféremment en anglais ou en français d’anciens tubes réaménagés pour l’occasion, envoyer, extatique, des baisers à la foule, pour savoir que ce n’était pas, au fond, le vainqueur de l’élection présidentielle que nous avions sous les yeux mais le premier lauréat de la Prez’Ac. Les télés en avaient d’ailleurs pris acte par avance puisqu’elles préféraient aux traditionnels débats en direct encore organisés pour la forme, la retransmission en quasi-intégralité des festivités de ce soir de fête. Paris est une fête écrivait audacieusement Hemingway au temps (historiques) où la fête était un phénomène borné, limité dans le temps et dans l’espace. Aujourd’hui ce n’est plus seulement Paris qui est une fête mais la France tout entière. La France présidente était un slogan qui laissait déjà mal augurer de l’avenir des formes politiques de notre pays. Mais ce qui advient est pire encore : la Fête présidente ! Que ce fut la victoire de la fête dimanche soir nul ne peut en douter. La meilleure preuve est qu’en toute logique cette fête fut omniprésente et protéiforme : la fête de Sarkozy à la Concorde, la fête à Sarkozy à la Bastille. En écho à la confuse et joyeuse mêlée de la Concorde, les manifestations violentes et prévisibles de la Bastille se faisaient entendre, mais c’était toujours la fête.

L’invasion du festivisme si bien décrite par avance dans le roman de Philippe Muray On Ferme en 1997 (Les Belles Lettres) touche aujourd’hui le sommet de l’Etat. Sarkozy ne répond qu’en invoquant fébrilement de grands mots aujourd’hui vides de sens (autorité, respect, mérite) au confusionnisme ambiant. Ses actes au contraire, témoignent qu’il s’y livre tout entier, et bien plus encore que ses prédécesseurs.

Pour symboliser le triomphe du festivisme, il nous fallait un président fasciné par la réussite et la célébrité considérées pour elles-mêmes, qui va fêter sa victoire dans ce temple du mauvais goût et de l’argent facile qu’est le Fouquet’s, qui recherche au soir de sa victoire, plutôt que le contact avec le peuple, la compagnie des people. Qu’est-ce que les people ? Un peuple sans forme, qui ne se transcende pas dans le processus de la représentation, qui ne met pas à distance le pouvoir mais veut à toute force l’incarner. Moi ! Moi ! Moi, d’abord ! Rien ne symbolise mieux l’avènement de l’ère festive des people que l’élection à la présidence de Nicolas Sarkozy, people parmi les people.

La disparition des formes qui s’est manifestée dans cette soirée apocalyptique augure de la disparition de la démocratie et de l’avènement d’une forme inédite d’ochlocratie. Dans sa première intervention après sa victoire Nicolas Sarkozy a invoqué à six reprises le ou les peuples, mais le peuple est aux abonnés absents, seuls les people ont répondu présent.

Mitterrand parfois et Chirac souvent aimaient à descendre de leur piédestal pour se mêler à la foule. Sarkozy, qui n’a jamais su s’en extraire, n’aura pas à le faire.

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17 réactions à cet article    


  • La Taverne des Poètes 9 mai 2007 11:41

    Ils auraient pu entonner ce soir-là « power to the people » du regretté John Lennon mais dans un autre sens bien sûr...La nouvelle devise dans notre constitution sera-t-elle bientôt : « gouvernement du peuple pour le people et par le people » ?


    • Leonard 9 mai 2007 12:05

      Reste plus qu’aux medias traditionnels de se bouger.

      Il serait bien qu’on ai un journal type The SUN en France pour faire de la bonne critique bien grasse de tout le celeb-world.


      • Mango Mango 9 mai 2007 12:08

        Pour ma part, jai beaucoup apprécié le « Oh happy day » revu et corrigé à la gloire de notre président par un « When Nicolas was born ». Le sauveur, le messie... Rien de moin ! Et Mireille Matthieu qui stoppe la musique pour entonner un cantique sur la paix !

        Consternant...


        • LaEr LaEr 9 mai 2007 13:17

          Ca me rappelle cette foule hystérique que l’on pouvait voir dans les Star’ac et autres lofts... Tous hurlants à perdre haleine, dans une espèce de transe abrutissante.

          La France aime les people, elle en a élu un. Après avoir glorifié la musique de merde, le cinéma de merde, la télévision de merde, elle a continué sur la même voix...

          Il faut tout de même avouer qu’ils avaient des raisons de se réjouir, « leur » candidat avait reçu le plus grand nombre de sms... Pardon, de voix....

          Bon, après ce passage, je dois l’avouer, plus amer qu’impartial, j’attends la suite... J’attends que ce président me montre que je me suis trompé sur son compte (pour être honnête, j’ai peu d’espoir..).


          • imago imago 9 mai 2007 13:43

            ouf enfin de bons commentaires a la suite d’un tres bon article... La france n’est pas fichue ! Agoravoxiens unissons-nous !


            • Pelletier Jean Pelletier Jean 9 mai 2007 14:13

              @Emmanuelle,

              Il faudra s’y faire la France est rentrée avec cette campagne dans une ère nouvelle. Cette Victoire de NS consacre non seulement une autre politique ultralibérale et antisociale, amis aussi un style ‘ »très télé » la jet society et les peoples seront à l’Elysée. Car si NS aligne les Stevie du Loft, les traitres (Besson, Hanin, allègre et autres ..), les Johnny et mireille Mathieu on n’y voit pas beaucoup de chercheurs, d’universitaires et d’intellectuels (sauf à considérer Glucksman comme un intellectuel).

              Ce sera la France de l’arrogance et de l’argent chic.


              • Jean-Philippe Immarigeon Jean-Philippe Immarigeon 9 mai 2007 14:19

                Nicolas Sarkozy est effectivement le président d’une autre France, pas celle que l’on connaît depuis un millénaire, mais un pays qui veut à tout prix tout à la fois ressembler aux autres Chines, Corées et Etats-Unis, et en même temps se protéger des heurs et malheurs d’un monde supposé dangereux.

                La meilleure protection n’est-elle pas alors de s’abaisser à la vulgarité universelle, pour, en ne se singularisant plus, passer inaperçu ? Il ne s’agit pas d’un paradoxe, Tocqueville avait parfaitement compris en Amérique ce qui se préparait. Sarko réalise son pire cauchemar, celui d’une société panoptique où l’Etat vous enlève jusqu’à « la peine de penser ».


                • Marsupilami Marsupilami 9 mai 2007 17:01

                  Très bon article très lucide. Comme chantait Patti Smith People have the power... to choose very short people.

                  Relire sur ce sujet ce texte iconoclaste de Pierre Desproges sur la démocratie.


                  • Cosmic Dancer Cosmic Dancer 9 mai 2007 17:54

                    @ L’auteur

                    Excellent article qui devrait mettre face à leurs contradictions ceux-là même qui, tout en ayant lu Muray et déplorant Homo Festivus, ont donné leur bulletin dans l’urne à son incarnation même.

                    Les républicains de droite les plus avisés feraient bien de relire ce saint homme, quitte à se mordre les poings pour avoir travesti leurs rêves. Car c’est ce que je pense, et sans acrimonie aucune : les rêves de gloire façon people aveuglent jusqu’aux plus sincères électeurs.

                    Une anecdote rassurante, cependant : deux gaullistes (citoyens anonymes) ayant donné leur voix à NS sont scandalisés par son comportement depuis la grand-messe en chansons jusqu’à la balade sur une mer dont la note est salée.

                    @ Marsupilami

                    Merci de faire circuler ce remarquable écrit de Desproges.


                    • Majordome Majordome 9 mai 2007 20:02

                      C’est vrai que la note pour du vraicon maltais est bien salée, même si cela reste superficiel quand aux 5 ans à venir, je me rend compte que je vois le nom « Bolloré » 10 fois par jour en roulant mes petites blondes, c’est gênant... Dois-je changer pour le bon vieux papier « Le Zouave » ou bien sucer des pastilles Vichy ? Moi qu’a déjà des patchs laïques... smiley


                      • armand armand 10 mai 2007 00:03

                        Excellent article ! Deux fait m’ont particulièrement choqués dans la ’teuf’ de la victoire : pas tellement le comportement de Sarkozy lui-même, on sentait tout de même une certaine retenue (refusant de pousser la chansonnette). Plutôt, à la télé, un ancien premier-ministre interrompu pour laisser la parole à l’évadé-fiscal belge de service, revenu en triomphateur sur les Champs. Et surtout, preuve qu’on a gommé non seulement le sérieux, mais le fond de l’existence qui est, par définition, tragique, comme l’est la vraie politique, l’absence de toute référence aux neufs soldats français morts le même jour dans le Sinaï. Si le président-élu en avait appelé à une minute de silence en leur honneur, il aurait été à la hauteur de son rôle.

                        Mais peut-être que Sarkozy a compris que pour ne pas être ringardisé de nos jours, où plusieurs décennies de saturation médiatique ont achevé de mettre Doc Gynéco au niveau de Mozart et l’unrinoir de Duchamp à celui de Rembrandt il faut se mouvoir avec aisance parmi les ’people’. On est bien loin de l’image de Jünger - ’la vraie politique n’est possible que là où la poésie lui a frayé le chemin...’

                        Quant au choix du Fouquet’s, à chacun ses goûts - rigolons un peu, j’aurais préféré que Sarko and Co ait fait halte chez Maxim’s, et qu’il ait entonné l’air de Maurice Chevalier dans la ’Veuve Joyeuse’... Tout sauf Mireille Mathieu !


                        • Philippe MEONI Philippe MEONI 10 mai 2007 02:36

                          Bonsoir tout le monde ; Merci pour cet excellent article ; J’avais déjà évoqué cette particularité dans un article publié ici, en février, passé inaperçu dans la frénesie de la campagne... Je trouve dommage qu’on s’inquiète de ce genre d’anomalie qu’alors que le mal est déjà fait... Mais je crois que nous ne sommes malheureusement pas au bout de nos surprises... Cordialement à toutes et tous


                        • Christoff_M Christoff_M 10 mai 2007 03:28

                          Les internautes d’AGORAVOX constituent une clientèle à part, mais quelle est la presse qui se vend le plus en France : la presse people, elle fait de l’argent, elle tire sur un beau papier... alors certains font appel ici à la conscience politique, au réveil !! mais il suffit de voir le tirage de la presse d’opinion, et parallèlement l’audience record de certains journaux télévisés...

                          Il n’est pas venu le temps de l’individu autonome libre, conscient de ses choix et déterminé !! c’est un peu un rêve de chercheur, d’ailleurs cet individu idéal du vingt et unieme siecle ne verra peut-être jamais le jour !!

                          Plus de la moitié de la population française ne lis pas de journal, ne s’intéresse pas au débats, preuve la crise de la presse papier et l’heure décalée de plus en plus tardive de certains débats...

                          La France est sous équipée en ordinateurs et puis on oublie une chose, la France qui se lève tot, se couche tot donc lui demander de lire, elle préfère regarder le JT, et le soir elle est fatiguée apres une rude journée de travail, donc pas question de regarder un débat trop tardif reste un feuilleton français ou américain, le voyeurisme avec le petit Mr à lunettes qui à des problèmes avec ses médicaments, ou encore une bonne émission de téléréalité bien grasse avec des jeunes qui chantent mal et à qui on fait chanter des tubes d’un autre age pour essayer de les compiler à nouveau pour relancer les ventes...

                          Alors aller leur parler de réveil des consciences et de politique !! Vous allez avoir droit dans le meilleur des cas à des soupirs et des gens qui vous tournent le dos pour aller dormir.


                          • Boileau419 Boileau419 10 mai 2007 07:49

                            Excellent article.

                            Le sens du tragique et le respect des formes ne peuvent tenir longtemps dans la société de consommation. Même l’Eglise catholique a « pipolisé » son rituel en introduisant les langues vernaculaires et en retournant le prêtre vers les fidèles.

                            Autrefois, le terme « démocrate » était une injure...


                            • WOMBAT 10 mai 2007 08:14

                              Heuu, en fait je pensais que l’on écoperait d’un french Berlusconi, style sauce ravigote à la place de la sauce tomate. Que nenni, c’est Largo Winch et bientôt le Président sur les tickets à gratter. Quant au cortège des séides je pose la question aux experts ; la somme des QI de Mireille Mathieu (adepte de la peine de mort), de Doc Gynéco (adepte de tout et son contraire), Johnny Halliday (adepte de l’échappée fiscale) etc. rejoint-t-elle les deux chiffres ? Un grand absent, néanmoins, et pour lequel s’imposait une minute de silence place de la Concorde : Gilbert Bécaud


                              • armand armand 10 mai 2007 09:13

                                La question que je me pose est la suivante : Sarkozy est-il le produit de l’ère de l’« homo festivus » ou s’est-il simplement décidé, avec la redoutable efficacité politique que même ses adversaires lui reconnaissent, de s’en servir ? Il existe, en effet, une certaine lucidité à droite sur les dérives consuméristes - voyez l’excellente analyse que fait Luc Ferry de la façon dont les élites - surtout capitalistes - ont tout fait pour dynamiter la société traditionnelle en adoptant systématiquement l’avant-garde. Et à ce titre, je trouve Sarkozy nettement moins choquant qu’un Pompidou, agrégé de Lettres, projetant de raser le vieux Paris et poussant les feux de l’art contemporain le plus déstructuré.


                                • L'enfoiré L’enfoiré 10 mai 2007 11:39

                                  @L’auteur,

                                  Bon article. Bonne prise de conscience dans le recul. C’est clair, tu n’es pas parmi les « pro » et c’est ton droit. J’ai été choqué et amusé de voir prôner ce drapeau belge dimanche soir. Il voulait donner une illusion d’unanimité par rapport à notre pays. On vous a suivi de ce côté aussi. J’étais en vacances chez vous en avril. Difficile de voir autre chose à la télé, donc. Maintenant, les jeux sont faits. Ok. Démocratiquement, il faut se le « faire » tel quel et commencer à compter les points. Comment va-t-il réagir lors d’une petite grève sociale qui ne va pas tarder à apparaître comme de coutume ? Quelles promesses iront au panier ? Quelles autres nouvelles lois sortiront du chapeau ? L’usure du pouvoir touche les hommes à des allures très différentes. Tony Blair a tenu 10 ans et il a, en sortie du grand jeu, l’âge du nouveau Grand de France. « En démocratie, la politique est l’art de supprimer les mécontentements » Luis Latzarus

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