La France, les élites et le « modèle allemand »
Ainsi, depuis quelques semaines, les appels se multiplient pour que la France mette ses pas dans ceux de la vertueuse Allemagne et s’engage dans un plan sans précédent de réduction de ses dépenses publiques. Le "modèle allemand" promu par Angela Merkel, fait de rigueur budgétaire, d’orthodoxie monétaire et de restriction salariale, est ainsi montré en exemple par ceux qui - François Fillon en tête - dénoncent depuis longtemps une France en quasi faillite, censée vivre au dessus de ses moyens.
Dans ce contexte, l’Allemagne est régulièrement désignée comme le bon élève de la classe européenne auquel il faudrait que notre pays s’accroche ; au risque sinon de voir se briser le prétendu couple franco-allemand (ou ce qu’il en reste !) et - pire - la France menacée de voir sa note dégradée par les agences de notation. Et tant pis si cette course poursuite vers toujours plus de rigueur budgétaire fait courir un risque sans précédent de récession à l’ensemble des économies européennes, voire mondiales.
Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur la façon dont Nicolas Sarkozy a cédé aux injonctions de la chancelière allemande, faisant fi de la position initiale de la France favorable à des politiques de soutien à l’activité et en particulier à la demande intérieure allemande. Mais tel n’est pas ici le propos.
Cette propension à vanter un "modèle étranger" face à un "modèle français" prétendument laxiste, inefficace ou dépassé n’est pas un fait nouveau dans l’histoire de notre pays. C’est même un élément qui revient périodiquement dans le débat national, en particulier sous l’influence des nombreux "déclinologues" qui peuplent notre cher et vieux pays.
Il y eut, avant que celui-ci soit englouti par une crise monétaire suivie de 15 ans de récession, le modèle japonais fait de flexibilité et d’innovation. On envisagea même sous l’ère Rocard de créer un grand ministère réunissant l’économie, les finances et l’industrie pour singer l’exemple nippon, comme si - vieille lune française - il suffisait de créer un ministère pour régler un problème.
Il y eut, déjà à l’époque, le modèle allemand, vanté pour ses formidables capacités exportatrices mais oublié, au passage, pour ses 35 heures et sa cogestion syndicale.
Il y eut, bien sûr, le modèle anglais et son chômage sous la barre des 5% qui masquait pourtant déjà mal l’explosion de la pauvreté.
Il y eut, plus récemment, le modèle danois et sa flexi-sécurité sans qu’on ne su jamais vraiment l’adapter en France.
Plus loin de nous, au milieu des années 1930, une grande partie de l’élite française prenait déjà exemple au delà de nos frontières - en Allemagne encore une fois - et n’avait pas de mots assez durs pour dénoncer le Front Populaire. De là à abdiquer la souveraineté française et à s’en remettre à son puissant voisin, il n’y avait qu’un pas qui fut alégrement franchi en juin 1940.
Et si l’on remonte plus loin encore dans l’histoire, c’est toujours du côté des puissances étrangères - Allemagne, Autriche, Italie... - que les tenants de l’Ancien Régime se tournèrent pour combattre la Révolution française.
Pas grand chose à voir avec la période actuelle me direz-vous. Il ne me viendrait evidemment pas à l’esprit une seconde de comparer l’Allemagne contemporaine au 3ème Reich, ni François Fillon au Maréchal Pétain.
Pourtant, il y a d’évidence une filiation historique entre ces différents mouvements intellectuels faits, pour certains, d’une forme de détestation nationale, pour d’autres d’un rejet de l’héritage révolutionnaire (il n’y a qu’à écouter à ce sujet ce qu’en disait tout récemment Jean-François Copé !) ou pour d’autres encore d’une simple volonté de "normalisation" de la France.
Qu’on le veuille ou non, c’est une caractéristique d’une large partie de notre élite nationale. Caractéristique un temps assoupie sous le régime gaulliste et qui a trouvé, sous des formes évidemment diverses, un nouveau souffle avec la mondialisation.
Comme l’évoquait récemment Marcel Gauchet dans le Monde, ce positionnement n’est pas pour rien dans la fracture persistante entre un peuple français massivement attaché à son modèle de société et des élites majoritairement acquises au modèle libéral mondialisé.
Est-ce à dire que la France devrait se réfugier sur son Aventin et refuser par principe tout exemple venu de l’étranger ? Ce serait évidemment absurde et mortifère ! Mais il y a un monde entre s’ouvrir intelligemment aux influences et expériences extérieures et prétendre reproduire successivement tel ou tel modèle étranger par définition propre à un contexte historique national. Il y a un monde entre refuser l’arrogance française et tourner le dos à l’ambition nationale visant à promouvoir un modèle économique et social plus équitable ; modèle durement éprouvé par la mondialisation.
A cet égard, les discours d’un Nicolas Sarkozy alternant entre promotion du modèle anglo-saxon pendant sa campagne puis réhabilitation du modèle social français pendant la crise pour se réfugier aujourd’hui dans une stricte orthodoxie budgétaire quoi qu’encore a demi avouée, ne font qu’illustrer les ambiguités sur lesquelles l’actuel président de la République a été élu et aggraver un peu plus la confusion dans laquelle se déroule le débat politique français depuis de nombreuses années.
Les socialistes ne sont pas en reste qui, s’ils veulent reconquérir réellement la confiance populaire, devront absoudre durablement la fascination que beaucoup d’entre eux ont eprouvé à l’égard de la mondialisation libérale, sans retomber pour autant dans les vielles recettes d’une économie administrée, disparue depuis longtemps.
Une chose est sûre : redéfinir un "modèle français" qui fasse habilement la part entre prise en compte du monde réel et refus d’une simple abdication gestionnaire, tel sera l’enjeu de la présidentielle de 2012.
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