La France sans nuit
Tout semblait aller pour le mieux au pays de l'ami Ricoeuré. Sir Emmanuel, tel un lord britannique, en grande majesté, séduisait dans un anglais impeccable tout ce que le monde comprend de brasseurs d'affaires. A Davos, ce fut l'Evangile selon Saint-Macron. Et que d'éloges en retour ! Et puis voici que des relents du monde d'avant font irruption dans le monde nouveau : le ministre des comptes doit rendre des comptes !
Dans une Europe qui semble balancer entre néo libéralisme et néo fascisme, Macron veut tirer profit du marasme du Brex'it et du charme de Brig'it, pour actionner les leviers de la relance.
Notre pragmatisme-sanction
L'élection de Macron, c'est notre pragmatique sanction en quelque sorte. Aucune allusion ici avec la Pragmatique Sanction de Bourges de Charles VII qui prit sa distance avec l'Eglise de Rome, puisque, au contraire, notre président Jupiter a accepté le titre de chanoine de Latran. Non, il s'agit du pragmatisme, au sens moderne. De l'efficacité, de la lucidité, du réalisme.
Les gouvernements précédents s'étant embourbés dans des guerres idéologiques, le mouvement En Marche avait décidé de tout miser sur l'action seule : du pur pragmatisme. Un pragmatisme sanctionnant les "fainéants" d'hier. De l'action et encore de l'action ! Des premiers de cordée surgonflés et des chômeurs remis sur les rails. Et gare à ceux qui ne réussissent pas, qui ne sont rien. Car la question c'est d'être et l'on ne peut être que si l'on réussit dans l'entreprise. Notre ami Ricoeuré est un peu sartrien : "L'Etre et le fainéant" pourrait être le titre de son oeuvre. Ils sont déjà enterrés les utopistes qui parlaient de revenu universel : prag-ma-tis-me !
Du coup, notre Jupiter, qui n'a jamais eu l'occasion d'aller au-devant des électeurs de base et du monde réel, néglige les pauvres, les retraités, les gardiens de prison, les infirmières, les personnels des EHPAD (les maisons de retraite, quoi), bref toutes les vraies gens.
Mais le pragmatisme a du bon et nous en avions grand besoin. Car tels que nous étions partis, le pays aurait fini déchiré, qui sait, peut-être par une guerre civile entre les troupes de Le Pen et celles de Mélenchon.
Le droit d'importuner est interdit, sauf pour débarquer un ministre. "Elles" ont averti : la peur va changer de camp. Il faudra être très strict pour conter fleurette. Interdiction d'importuner, et pourtant, l'importun, c'est l'art rose, non ? Comme dit la chanson.
Commé-MAURRAS-ion interdite
Après l'affaire Céline, voici l'affaire Maurras, l'ignoble antisémite. On ne fait pas seulement dans la transparence, on fait aussi dans la grande lessive rétroactive et anachronique. Jusqu'où allons-nous remonter dans l'Histoire dans cette opération d'épuration ?
Le neutrocratie
Après avoir vécu l'époque de la bien pensance et du politiquement correct, voici que nous vivons dans une sorte de neutrocratie où la neutralité stricte et le pur pragmatisme teintent toutes les paroles des élus LREM et de notre gouvernement. Et jusqu'aux médias ? Ils ont un nom pour désigner cette neutrocratie : ils appellent cela la bienveillance. Pourtant, on ne la voit pas beaucoup, la bienveillance, envers les plus faibles, les pauvres, ceux qui font les métiers les plus éprouvants ou les plus exposés. Pas de compassion pour les matons hospitalisés par suite d'agressions dans le cadre de leurs fonctions.
Comme je le disais en introduction, l'ancien monde resurgit dans le nouveau. Sauf les socialistes qui disparaissent totalement au milieu de leurs débats-débâcle. La banquise a fondu sous Hollande qui se fend encore d'un espoir de renverser la courbe de sa popularité.
Ventre affamé n'a pas d'oreille
A Davos, Emmanuel a consenti à nous adresser un message en français plein de bons sentiments et de bonnes paroles. Mais celui qui n'a jamais vécu dans le dénuement, qui n'a pas connu les fins de mois difficiles, ne sait rien de la nécessité qui rend sourd. La nécessité vous empoigne et ne vous lâche pas et tant qu'elle vous tient - et elle vous tient longtemps comme la serre d'un oiseau de proie - vous êtes sourds à tous les beaux discours sur le bien et le mal, le bonheur, l'avenir ou l'espoir. C'est au désespoir qu'il fallait répondre de suite, les riches, eux pouvaient attendre car ils ont de l'espoir à revendre. Mais non, Macron a renversé cette logique : réduction d'APL immédiate, amélioration homéopathique des salaires mais dont les effets ne se verront (peut-être) que plus tard. Ce faisant, il a brisé définitivement ou pour longtemps toute confiance chez les plus pauvres, les plus précaires, ceux qui sont dans une nécessité telle qu'ils se battent pour un pot de pâte à tartiner de grande marque.
La France sans nuit
L'ami Ricoeuré du petit déjeuner ne supporte pas les passions tristes. Il nous sourit, il nous fait des clins d'oeil. Mais le pays d'en-bas fait la grimace. Tout ce qui fait ombre se dissipe sur son passage. Les passions tristes, loin, très loin ! Là où il ne peut pas les voir. Et Brigitte préfère la compagnie des gentils pandas. Les Français continuent leur interminable voyage au bout de la nuit, mais cette nuit Macron, trop solaire, ne la voit pas. Il construit un nouveau monde qu'aucune ombre, qu'aucune nuit ne vient troubler.
Jupiter ne connaît pas les passions tristes ni les affres du désespoir du quotidien. Il ne sortira pas de la caverne où il contemple les belles ombres qui dansent sur la paroi lisse et dorée de son palais imaginaire.
Ici s'achève ma chronique macronique. Cela tombe bien, je commençais à manquer de calembours...
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