La France sur « pause »
Citée par Philippe Sollers, une phrase de Tocqueville revient à l’honneur : « On peut prédire qu’il ne restera de grandeur intellectuelle que chez ceux qui protesteront contre le gouvernement de leur pays, et qui resteront libres au milieu de la servitude universelle. S’il y apparaît de grands esprits, ce ne sera pas parce que rien ne se fait de grand dans le pays, mais parce qu’il se trouvera des âmes qui conserveront encore l’empreinte de temps meilleurs ».
Le président Sarkozy a mis la France sur "pause".
"Pause" pour la vie démocratique : les campagnes de l’UMP et du PS ont vanté les mérites du bipartisme, à l’exclusion de toute autre voie. Or, le bipartisme existe surtout dans les pays où le réformisme exclut toute démarche véritablement progressiste ou révolutionnaire. Le parti du président dispose de moyens financiers tellement importants et de médias si puissants, il a tellement aidé à déstabiliser le parti adverse par voie de débauchages et d’offre de belles carrières au
nom d’une pseudo ouverture, qu’il a instauré le monopartisme. Les partis ne concourent plus à l’expression du suffrage comme le dit pourtant notre constitution dans son article 4. Et l’UMP n’a plus de chef élu.
"Pause" pour la lutte contre les déficits. Le dernier chiffre est inquiétant. Inutile de le reprendre ici : il va aller s’aggravant !
"Pause" pour la décentralisation. Alors que la loi de décentralisation du 13 août 2004 était déjà insatisfaisante, notre pays reste en retard sur ses voisins avec ses régions dépourvues de pouvoirs normatifs. La seule vraie avancée eut consisté à supprimer les préfets de région pour donner aux Conseils généraux un pouvoir réglementaire. Mais à l’ère du jacobinisme triomphant, il ne faut pas s’attendre à des progrès dans la décentralisation.
"Pause" pour l’indépendance de la France : le président fait ami-ami avec le président de Etats-Unis qui est haï par une grande partie de la planète. Jamais chef d’Etat, et surtout pas De Gaulle, ne se serait comporté de pareille manière. "Pause" pour le rôle d’arbitre du président. Désormais, le président se revendique ouvertement d’un clan contre l’autre et mouille sa chemise dans les meetings.
"Pause" dans la modernisation des institutions. Dommage car le président précédent n’avait pas fait bouger grand-chose en ce domaine non plus. Et il y avait une attente très forte chez les électeurs. Suppression du Premier ministre, dans les faits. Monarchisation du pouvoir avec système d’octrois : octroi du rôle de ministre des Affaires étrangères à première dame de France. La réforme du Sénat, que le Général a toute sa vie souhaitée et dont on a parlé lors de la campagne présidentielle, est jetée aux orties. Une commission composée de personnalités peu dynamiques (euphémisme) est chargée de faire oublier en douceur aux citoyens leurs revendications d’une démocratie plus parlementaire et plus directe.
"Pause" aussi sur la justice : la réformette bien tapageuse des peines planchers (quoi de mieux qu’un bonne polémique pour "vendre" ?) a fait diversion pour que les Français oublient l’affaire Outreau et la nécessité de rendre plus efficace et meilleure leur justice en la dotant de vrais moyens. La CNIL est étouffée et n’est plus en capacité de relever le défi de l’extension formidable de la vidéosurveillance, pour contrôler les fichiers de la police, de plus en plus nombreux et criblés d’erreurs portant atteinte aux libertés individuelles.
"Pause" sur la justice sociale, sur la tradition française de respect des droits de l’homme.
"Pause" sur les bonnes manières : l’injure la plus vile est admise comme une chose banale et presque normale.
"Pause" sur l’Histoire elle-même. Oublions d’où nous venons, oublions ce que nous devons aux générations précédentes, aux peuples qui nous ont aidés et qui n’ont pas la chance d’appartenir à des pays puissants que l’on respecte.
"Pause" sur la "repentance", terme employé comme mouchoir servant à tout couvrir...
"Pause" sur la réflexion et l’analyse : il est de bon goût de dire désormais que l’on n’est pas un intellectuel, mais qu’au contraire, l’on regarde TF1, que l’on est fan de Johnny. Soyons pragmatiques, vautrons-nous dans la consommation, et travaillons plus pour consommer plus !
"Pause" donc ! Arrêt sur image : sur la seule image de Sarkozy président, de sa femme Cécilia, de ses amis, de leurs petits bobos, de leurs petits scandales. Arrêt sur image pour contempler le superbe costume de Sarkozy dont le monde entier (des médias) nous parle, la merveilleuse Cécilia qui libère les femmes opprimées. Des journalistes et des blogueurs se sont même plaints de l’absence de Sarkozy : cela crée un vide ! Un vide qui fut vite comblé comme on l’a vu...
Et pendant ce temps ? "Silence on s’enrichit". Une minorité consolide ses privilèges déjà exorbitants en s’offrant une loi sur mesure (le bouclier fiscal, la suppression des droits de succession), obtient la garantie du maintien de parachutes dorés et le gel du salaire (SMIC) des travailleurs. Avec toutes ces mises sur pause, le gouvernement se serait-il appliqué à lui-même la loi du service minimum ?
Attention ! Après un long moment sur pause, le système se met en veille... Alors préservons, comme disait Tocqueville notre "grandeur intellectuelle", gardons en nous "l’empreinte de temps meilleurs"...
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