La France tourne une page de son histoire commencée avec Philippe Auguste
Et si la chevauchée de François Bayrou était annonciatrice de la fin d’une période historique française commencée avec Philippe Auguste et de l’ouverture de temps nouveaux marqués par une recomposition des paysages sociaux et politiques français ?
Il y a cinquante ans, René Rémond publiait un essai qui allait faire date. Dans La Droite en France de 1815 à nos jours, l’historien revisitait la nature et l’identité de la droite pour aboutir à l’hypothèse d’une pluralité de cette famille politique. La tripartition de la droite était née : droite légitimiste qui souhaite revenir à l’avant-1789, la droite orléaniste qui incarne la monarchie libérale et la droite bonapartiste. René Rémond tentait de démontrer que ces trois droites n’étaient pas restées sans descendance et qu’on en retrouvait les traces dans le paysage actuel français.
Dans Les Droites aujourd’hui, René Rémond reprenait son travail pour vérifier si cette tripartition restait toujours d’actualité. Tout d’abord il rebaptisait les trois courants qu’il avait identifiés en 1955, pour mieux tenir compte de leur réalité idéologique. Pour lui la droite contre-révolutionnaire n’avait plus qu’un intérêt archéologique. Il insistait en revanche sur la permanence des deux autres.
La création de l’UMP aurait été selon lui guidée par l’ambition d’en finir avec cette division pour accoucher d’un parti unique à l’image des autres grands partis de droite en Europe (CDU, PP). C’était le pari d’un Jacques Chirac qui désirait briser l’UDF, la digérer afin de disposer d’un instrument unique de conservation du pouvoir. On remarquera que François Mitterrand n’avait rien fait d’autre à partir de sa prise de pouvoir à Epinay en 1971.
Pourtant, même anémique, l’UDF avait persisté. Et même au sein de l’UMP ou dans son orbite, les héritiers de l’orléanisme gardaient leurs spécificités comme en témoignait le rigaudon du ministre Borloo qui se demande, à la façon d’un Edgard Faure, vers qui va pencher sa préférence.
La droite autoritaire, longtemps incarnée par le gaullisme, c’est-à-dire une forme de bonapartisme, a conservé certaines de ces caractéristiques historiques de type monarchique comme le culte du chef, un certain sens de la place et de l’autorité de l’État typiquement maurassien. Néanmoins, il faut constater que l’assaut victorieux donné par Nicolas Sarkozy est celui d’une droite libérale située aux antipodes du gaullisme historique, c’est-à-dire d’un maurassisme répubicain : atlantisme, absence de politique paternaliste, abandon de l’Etat arbitre, etc., bien que, confronté aux résistances typiquement françaises, le candidat UMP soit obligé de pratiquer des ruptures idéologiques tout à fait déstabilisantes pour son propre électorat. Un jour il cite Blum et Jaurès, le lendemain, il reprend les thèses vichyssoises de l’identité nationale menacée par l’étranger.Un jour, il condamne l’attitude gaullienne de Chirac vis-à-vis des Etats-Unis, un autre il l’en félicite etc.
René Rémond abordait également la question de la permanence du FN dans le paysage politique français et, faute de parvenir à le faire entrer dans ses cases, il parlait d’une nouvelle famille qu’il baptisait droite extrême, se refusant à l’assimiler au fascisme, tout comme d’ailleurs il se refusait à le faire pour le pétainisme. Il était d’ailleurs contredit par Zeev Sternhell qui dans son ouvrage « Ni droite ni gauche » qualifiait cette droite de « droite révolutionnaire » et l’affiliait en France au boulangisme, précurseur idéologique selon lui d’un fascisme français.
René Rémond analysait enfin le clivage droite-gauche comme toujours pertinent mais attirait l’attention du lecteur sur le fait que de nouvelles thématiques pourraient venir perturber cette ligne de fracture idéologique et désignait particulièrement l’Europe.
René Rémond, aussi brillant soit-il, a tort dans son analyse dès lors qu’il n’introduit pas une nouvelle rupture et de taille : l’explosion du système français confronté à la mondialisation.
Pour faire vite, le centralisme français est né dans un pays soumis à une double pression. Celle de l’extérieur d’abord. Il n’est pas de pays européen qui possède ainsi de telles qualités de croisement. C’était assurément un atout économique puisqu’il favorisait les échanges commerciaux. C’était un handicap militaire puisqu’il exigeait de faire face aux invasions venues des quatre points cardinaux.
La seconde pression était intérieure. La monarchie française s’est construite contre sa propre vassalité et en conflit avec ses pairs. La branche anglaise de la famille royale d’abord, celle d’Espagne ensuite. Ce sont ensuite les vassaux qui depuis Philippe Auguste ont tenté d’entraver la suzeraineté royale. Philippe le Bel le premier a détruit ses « ennemis » de l’intérieur : banquiers lombards ou juifs, Templiers.
Louis XI a affirmé la primauté du roi sur le duc de Bourgogne dont le territoire partait de la Flandre septentrionale pour descendre jusqu’aux portes de Lyon. En d’autres termes, les terres du vassal pesaient dix fois plus lourd que celle du suzerain. Il y avait eu le fait miraculeux de Jeanne d’Arc mais on ne saurait oublier la conversion du Vert Galant, Henri IV de Navarre (clin d’œil à Bayrou) qui se se convertit au catholicisme pour en finir avec la division des religions.
Louis XIV incarna la parfaite osmose entre la monarchie et l’Etat (l’Etat c’est moi) insufflant dans les poumons de la France l’esprit de l’étatisme qui ne l’a jamais quittée. C’est toujours le colbertisme qui préside aux destinées des grandes compagnies telles qu’EADS ou Total.
Si on veut bien rester neutre, la révolution française ne survient pas à cause de la misère mais bien parce que la monarchie est affaiblie et incapable de remplir le rôle que le pays lui demande : diriger. C’est alors la bourgeoisie qui occupe naturellement ce rôle et qui rapidement, contrairement au légendaire républicain, s’adonne aux joies du consulat puis de l’empire. Fichue belle histoire que celle d’une France républicaine secouant fièrement son encolure et galopant vers la liberté. La vérité est tout autre.
Après le premier empire, tout droit issu de la révolution c’est-à-dire de Thermidor (qui fut le fruit des grands terroristes radicaux et non des réactionnaires), la France redevient monarchiste. Nouvelle crise en 1848. Mais c’est une crise européenne. L’empire autro-hongrois vacille sur ses bases. Les nationalités donnent de la voix. La France conquiert la République et vote... pour Louis Napoléon le neveu de l’Empereur.Toujours ce besoin de l’homme providentiel, celui qui parviendra à dépasser les divisions gauloises. D’ailleurs Louis Napoléon accomplit un coup d’Etat constitutionnel et devient en 1852 empereur des Français.
Et là se situe un paradoxe. Car si les libertés sont bafouées, la France profite de la révolution industrielle et change de visage. Le règne de Napoléon III fut une période inventive et créatrice qui a laissé des traces heureuses jusqu’à aujourd’hui comme par exemple la mutation de Paris.
En 1872, la Troisième république est votée à une voix près et presque par incident. C’est dire si l’esprit républicain tient en France de l’accidentel. Et la TroisièmeRépublique est une période terrible pour les plus pauvres. L’homme de gauche, Georges Clemenceau tour à tour ministre de l’Intérieur et président du conseil ne fait aucun cadeau aux ouvriers. Il fait tirer sur la foule à Fourmi, sur les viticulteurs dans le sud-ouest. Il s’oppose aux réformes du travail, lui qui avait leur héraut à l’Assemblée. Sale tradition de la gauche que de proposer de belles choses pour ensuite les tuer sitôt au pouvoir.
Il est exact que la droite orléaniste transige avec la gauche républicaine tandis que la droite dure, la droite monarchiste s’y oppose. Mais Rémond a tort de les séparer ainsi. Ces deux droites sont aussi antagoniques qu’en face les deux gauches et à bien y regarder les lignes de clivage dans les deux camps sont doubles : la première tient à la place de l’état et des contre-pouvoirs. Vieille histoire à laquelle s’est heurtée en toute époque le pouvoir monarchique ou républicain. Faut-il laisser une marge de manœuvre aux parlements régionaux ou faut-il les placer sous la tutelle intransigeante de l’état.
C’était la question qui se posait quand Etienne Marcel, prévot des marchands de Paris, défiait le roi tandis que dans le Beauvaisis les Jacques, ces riches paysans, interpellaient avec une violence infinie les nobles.
C’était la question qui se posait encore quand Louis XIV révoquait l’édit de Nantes et mettait au pas les bourgeois de La Rochelle mais aussi ceux du midi de la France, vieille résurgence de la croisade anti-cathare menée par les Ois de Simon de Montfort contre les Ocs du comte de Toulouse. C’était enfin la question qui se posait quand Louis XV expulsa les jésuites coupables de concurrence déloyale avec une monarchie en miettes.
La droite dure s’est incarnée à la fin du XIXe siècle dans le maurassisme et le monarchisme anti-dreyfusard. Elle se revendique des traditions et de l’identité nationale. Maurras n’est pas à proprement parler un croyant mais il pense que le catholicisme fait partie de la colonne vertébrale du pays. Il est du côté des régions, lui l’Occitan et le félibrige. Mais dans le fond c’est un vrai jacobin. De l’autre côté on trouve les orléanistes qui ont pour écho les girondins, massacrés par les jacobins au moment de la Terreur.
Pourquoi cette longue mise en bouche ? Parce qu’aujourd’hui le système français est soumis à la pression inouïe de la mondialisation, elle-même dopée par la fin de la bipolarisation après la chute du mur de Berlin en 1989. Le système français, comme le système soviétique d’ailleurs, tenait tant que l’économie le lui permettait. Et l’économie le lui permettait grâce à la formidable croissance des années 60. Nous ne remercierons jamais assez les possessions coloniales de nous avoir « offert » leurs matières premières que nous avons transformées sur notre sol et leurs émigrés qui ont accompli chez nous les sales besognes. C’est grâce à eux que s’est constituée en France une classe ouvrière aristocratique fer de lance de la contestation communiste et syndicale.
La fin des Trente Glorieuses a aussi signifié le début de notre chute. Notre système est une de ces équations parfaites tant qu’elle est confrontée à sa propre logique mais absurde lorsqu’elle est placée dans un macrosystème.Or le système français favorisait le pouvoir d’un système antagonique mais en fait complice : Etat-syndicats avec au milieu un patronat d’autant plus archaïque qu’il avait pour concurrent le binôme ci-dessus décrit.
Or la droite autoritaire comme l’extrême gauche se sont toujours nourries des archaïsmes et des injustices qui en découlent. L’état bonapartiste tenait tant qu’il délivrait au peuple les reliefs de la croissance. La classe ouvrière locale en profitait au détriment d’une main-d’œuvre étrangère corvéable à merci. Le système de concurrence était maîtrisé par un Etat tout puissant.
La mondialisation a précipité notre pays dans un monde auquel il n’était pas préparé : celui de la libre concurrence. Plus d’arbitre, plus de monsieur Loyal. Le profit seulement le profit et le profit à tout prix. Le déport de la droite UDF vers le centre était naturel dès lors que la droite UMP était attirée vers sa propre droite. Dès lors les clivages de René Rémond ne tiennent plus car ils étaient situés dans la France de Philippe Auguste, celle de Louis XIV ou de la Révolution.
Il reste bien sûr chez un Bayrou de vieux tics sémantiques quasiment incontournables en France, cette référence sempiternelle à la République comme si la république était menacée. Néanmoins, je retournerai l’hypothèse de base en écrivant que ce n’est pas Bayrou qui induit un changement de période mais le changement de période qui porte Bayrou.
Si on accepte cette formulation du problème, les discussions à n’en plus finir sur qui est de gauche et qui est de droite deviennent vaines. L’important est de déterminer la manière dont les caractères positifs du système français, qui est un système paternaliste et bonapartiste, pourront être préservés.
L’extrême gauche, cette survivance de la préhistoire moderne, nous affirme des positions contradictoires. Au radicalisme de Laguiller, on pourrait opposer le pragmatisme d’un Bové ou l’opportunisme de ce cadavre encore chaud, le parti communiste. Mais tous ont en commun de refuser la réalité libérale du monde d’aujourd’hui, réalité qu’il convient de pervertir mais certainement d’affronter de face.
Le PS est trop contradictoire pour parvenir à séduire. On y trouve des centristes mais aussi des gauchistes.
Côté droite, Nicolas Sarkozy a brouillé les cartes en espérant séduire l’extrême droite. Il a eu tort car il a libéré une autoroute aux électeurs de droite de nature démocratique.
Bref le paysage est brumeux parce qu’il est mouvant. La France est en train de se mettre au diapason de la communauté européenne et cela passe par des recentrages qui signifient en cas de victoire de François Bayrou la fin de la 5e république et la désintégration du PS et de l’UMP pour une recomposition salutaire.
La France tourne une page de son histoire vieille de plusieurs siècles. Ce n’est pas un pari mais une réalité incontournable qui s’imposera d’une manière ou d’une autre. Il va falloir du courage et se heurter à certaines féodalités syndicales mais aussi à celle de la nouvelle aristocratie du système bâtie autour des grandes écoles et désormais héréditaires. C’est donc à une nouvelle révolution pacifique qu’il va falloir s’atteler. C’est indispensable si nous ne voulons pas voir la France s’enfoncer dans l’oubli. Or si la France devient performante cela profitera aussi à ses plus démunis.
Les archaïsmes ne vont pas disparaître d’un coup de baguette magique. Nous sommes un vieux pays dont la mentalité n’avance pas aussi vite que le voudrait la révolution technologique. Nous continuerons longtemps à nous penser nation paysanne après que les paysans traditionnels auront disparu. Le fantôme de la vieille identité française continuera longtemps à hanter nos bois et nos campagnes. Nous continuerons d’avoir peur de ne plus exister puisque nous ne serons plus tels que nous l’étions.
C’est une erreur. L’identité française n’est menacée qu’à l’instant où elle cesse de se penser en termes d’avenir et de progrès. Elle ne l’est certainement pas par les hordes de malheureux qui se pressent à nos portes. Elle l’est plus par l’américanisme mais plus encore par nos angoisses. Les vieilles droites et les vieilles gauches vivent leurs derniers instants. Elles ont raison d’avoir peur. Leurs formes dépassées crient d’horreur devant ce qui se passe. Toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans ces schémas nés dans les fumées du XIXe siècle, hurlent à l’imposture, au néant. Mais ce sont eux l’imposture présente. Ce sont eux qui nous mènent au néant. Même les vieilles analyses sont dépassées jusqu’à celles de René Rémond. François Bayrou n’est pas l’ouvrier de ces mutations. Il n’en est que le vecteur. Mais n’est-ce pas là le véritable sens de l’Etat que de d’incarner le courant qui porte votre pays ? Je développe certaines de ces idées sur mon blog http://www.wmaker.net/corsicaregina.
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