« La Gazette de Montpellier » s’encanaillerait-elle ?
Un peu inattendue tout de même la campagne publicitaire de La Gazette de Montpellier ! Mais on ne cesse de le rappeler, à la faveur des occasions offertes, le leurre d’appel sexuel est un leurre tout-produit par sa plasticité ; il peut être employé même pour promouvoir les produits qui lui sont les plus étrangers. Il n’y a pas de mise en scène où il ne puisse faire merveille. Car il n’a pas son pareil pour capter l’attention en déclenchant le réflexe de voyeurisme attendu.

Un premier paradoxe
La Gazette de Montpellier exhibe, en effet, curieusement, comme en vitrine, deux troncs de mannequin masculin et féminin en sous-vêtements. Le paradoxe vient de ce que l’hebdomadaire n’est pas un catalogue de mode, ni un magazine érotique spécialisé, mais "un hebdomadaire d’informations locales dites générales". La solution est donnée par la légende « en dessous » : « Les dessous de la ville pour 1 € seulement chaque jeudi ». Le jeu de mots permet, avec un humour dont chacun appréciera la finesse, de rapprocher les deux sens du mot « dessous » : les sous-vêtements qu’on cache, exhibés en vitrine, et les secrets d’une affaire.
Un second paradoxe
La Gazette de Montpellier surprend encore. Car, elle est plutôt connue pour remplir ses colonnes d’« informations indifférentes », sans valeur stratégique a priori, même si elles n’échappent pas à un usage qui, lui, est stratégique dans une relation d’information par leur présence hégémonique dans les médias. Elles peuvent remplir, en effet, trois fonctions : 1- l’une permet d’établir une relation, comme « allo ? » au téléphone, « bonjour, bonsoir » dans les rencontres, ou les nouvelles échangées sur la santé, le temps, etc. ; 2- l’autre fonction est d’offrir des modèles, avec les stars, les sports ; 3- enfin, la dernière fonction est celle d’une censure discrète par un leurre de diversion, bien connu des services d’information des armées : des photos d’entraînement de soldats, des avions qui décollent ou des tirs de démonstration permettent de ne surtout pas livrer la moindre information qui donnerait à l’ennemi un avantage.
Quelle est, en effet, la nouvelle variété d’information promise par La Gazette de Montpellier ? Elle apparaît sur l’exemplaire de première page offert en exemple au bas de l’affiche. Sont-ce bien là « les dessous » en question, ces secrets jalousement gardés ? « Le Guide des festivals », « Le Guide des restos de plage », « Visiter le Musée Fabre la nuit », « Si Montpellier et Nîmes fusionnaient » et tutti quanti… Quant au supplément « Télévision », ce sont les formes de Mme Karembeu dont on entretient le lecteur. Il s’agit bien d’« information indifférente ». On ne trouve rien de l’information stratégique qu’un individu ou un groupe protègent pour ne pas être vulnérables inutilement aux coups d’autrui. Cela ne ressemble vraiment pas à « l’information extorquée » que promet l’affiche en faisant croire au lecteur qu’il accéderait à des révélations sur des personnes auxquelles elles auraient été arrachées à l’insu et/ ou contre leur gré.
Une ambiguïté volontaire
Reste une ambiguïté volontaire que le mot « dessous » et l’image qui les illustre peuvent contenir. Ce n’est pas le short masculin fort peut esthétique, voire orthopédique, qui l’insinue, malgré une poche avant saillante. Ce seraient les sous-vêtements féminins par leur couleur rouge et leur texture transparente. Cette partie pour le tout qu’exprime la métonymie, renforcée par l’intericonité, renvoie à des rituels érotiques. La jarretière enroulée autour d’une cuisse le confirme. Serait-ce donc que la sage Gazette de Montpellier entend s’ouvrir aux lieux où l’on s’adonne à des jeux érotiques, discothèques et clubs divers pour en rapporter de croustillants reportages ? Laisse-t-elle entendre qu’elle se propose de dévoiler au grand jour les mœurs sexuelles d’une société libertine jusqu’ici bien cachées ?
On peut en douter. Maintenant, si l’occasion s’en présente, quel média aujourd’hui, pour stimuler le réflexe de voyeurisme, n’use pas du leurre d’appel sexuel qui, a-t-on dit plus haut, n’a pas son pareil pour capter l’attention et accroître les ventes ? En mai 2003, le magazine Elle (n° 2 992) les avait augmentées de plus de 20 % en offrant en première de couverture, avec promesses de photos à l’intérieur, une star comme Emmanuelle Béart posant nue à mi-fesses dans la mer sur une plage de l’île Maurice. L’actrice y parlait de son « intention de raconter quelque chose d’(elle) » Elle disait même que « dans ses photos, il y (avait) de l’abandon. » Abandon de quoi ? Elle ne précisait pas. D’un peu de dignité sans doute contre espèces sonnantes et trébuchantes. Paul Villach
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