La Grande Terreur en URSS

La Grande Terreur de 1937-38 fut catastrophique non seulement pour l’URSS mais aussi pour le mouvement ouvrier mondial puisqu’en exterminant tous les bolchéviques et les généraux victorieux de la guerre civile Staline a privé le mouvement ouvrier de tous ses cadres les plus expérimentés. Ce fut en effet une victoire de la réaction mondiale puisque Staline réalisa, par cette contre-révolution préventive, une bonne partie de ce que les bourgeoisies d’Europe n’avaient pas réussi à faire pendant la guerre civile : supprimer le parti bolchévique. Au même moment en Allemagne Hitler extermine les communistes, en Italie, le fascisme triomphe et en Espagne, Franco vient, par un coup d’Etat, de mettre un terme au gouvernement de Front Populaire.
La grande nuit du mouvement ouvrier tombe sur l’Europe. Il sera bientôt minuit dans le siècle.
La purge du parti
Nous avons vu que toutes les oppositions ayant été vaincues le PCUS est à partir de 1929 un parti parfaitement monolithique qui ne tolère aucune « déviation de la ligne générale » (voir « Le combat de l’opposition de gauche en Russie »).
Toute opposition politique est supprimée et, en fait, interdite. Mais cela ne suffit pas à Staline pour lancer sa politique d’industrialisation, de collectivisation et de soi-disant « dékoulakisation ». Il sait que beaucoup de membres du parti sont hostiles à un tel déchainement de brutalités et d’abominations multiples même s’ils n’osent pas le dire. Cela apparait notamment lors du XVIIème congrès en janvier et février 1934.
Malgré le mécontentement général, Staline veut s’assurer que tous les membres du parti lui seront entièrement dévoués. Il procède donc à une purge du parti. Entre 1929 et 1931, plus de 250 000 communistes sont exclus du Parti. Le 28 avril 1933, le comité central du Parti décrète à nouveau une vaste campagne d'épuration du Parti afin de contrôler le recrutement de ses membres. Il s’agit d’exclure tous ceux qui rechignent, même en silence, à mettre en œuvre la politique de Staline ou traînent des pieds.
Molotov, Staline et Poskrebychev au XVIIème congrès
Le XVIIe congrès du Parti s'est réuni du 26 janvier au 10 février 1934. Ce fut le lieu de la dernière révolte clandestine au sein du parti. Staline et ses proches présentent au congrès les soi-disant succès du « plan quinquennal ». Mais les discours passent mal. La Wikipédia rapporte :
« Lors des élections au Comité Central, Staline eut un nombre significatif de délégués opposés à son élection (plus d'une centaine, bien que le nombre exact reste inconnu), alors que seulement trois délégués rayèrent le nom du très populaire responsable du parti à Léningrad, Sergueï Kirov. Plus tard, la publication des résultats fut falsifiée sur ordre de Staline et il fut officiellement annoncé que Staline n'avait eu que trois votes négatifs.
Pendant le congrès, un groupe d'anciens du parti approchèrent Kirov pour lui suggérer de remplacer Staline en tant que dirigeant du parti. Kirov déclina la suggestion et mit au courant Staline de la teneur de cette discussion.
Staline fut publiquement acclamé, non seulement comme chef indiscuté du parti, mais aussi comme génie puissant et universel dans tous les domaines. Tous ses anciens opposants se mirent à parler de lui sans tarir d'éloges… »
Ce congrès fut appelé le « Congrès des vainqueurs » en référence aux prétendues « magnifiques réalisations » du plan quinquennal mais il fut aussi appelé le « Congrès des condamnés ». La Wikipédia l’explique ainsi :
« On a aussi donné à ce congrès le nom de « Congrès des condamnés », car parmi les 1996 membres du parti qui y assistèrent, 1108 furent arrêtés et environ les deux tiers d'entre eux furent exécutés en l'espace de trois ans, spécialement pendant les Grandes Purges. Parmi les 139 membres qui furent élus au Comité Central pendant ce congrès, 98 finirent exécutés. Parmi les 41 survivants, seulement 24 devaient être réélus pendant le XVIIIe congrès en 1939 »
À la fin de 1936, avant que la « Grande Terreur », appelée aussi les « Grandes Purges », ne commence, le Parti ne compte plus que 1 450 000 membres, soit une diminution de 750 000 en quatre ans. En 1937, première année de purge généralisée, 500 000 membres disparaissent des registres.
Les services secrets
En diminuant le nombre de membres du parti, Staline semble répondre à une demande de l’Opposition de gauche qui s’opposait à la croissance ininterrompue de la bureaucratie du parti. En fait, c’est l’inverse qui se produit car, si Staline supprime effectivement des postes dans le Parti, dans le même temps il met en place un énorme appareil répressif sous la direction des services secrets avec notamment toute l’administration du goulag. Toute une bureaucratie se met aussi en place dans le cadre de la collectivisation comme l’explique Jean-Jacques Marie :
« La bureaucratie a élargi sa base : la constitution des kolkhozes et des sovkhozes entraîne la prolifération des fonctions de gestion, de commandement, de surveillance, de contrôle et de répartition assumées par des paysans, employés et ouvriers, promus et dotés de petits privilèges, dont le plus important est d’être assis le plus souvent dans un local ou un bureau à l’abri du froid, du vent ou de la chaleur. Leur fonction de relais du pouvoir leur assure une foule de petits avantages dont le cumul n’est pas négligeable. »
Les services secrets russes s’appellent, depuis février 1922 le GPU (Glavnoïe polititcheskoïe oupravlenie : Direction politique principale) qui est souvent appelé le Guépéou ou la Guépéou, par transcription phonétique des trois initiales. Le Guépéou devient un pilier du régime, véritable colonne vertébrale de la caste bureaucratique. Il est dissous en 1934 et remplacé par le NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures) mais nombreux sont ceux qui continueront à parler du GPU. Ce sera notamment le cas pour Trotsky.
Le NKVD sera concerné par les purges autant, si ce n’est pas plus, que toutes les autres administrations puisqu’il sera lui-même amplement purgé. Nikolaï Iejov (ou Nikolai Yezhov) succède à Guenrikh Iagoda sur le poste de chef suprême du NKVD du 25 septembre 1936 au 24 novembre 1938. Il est le principal artisan de la mise en œuvre des grandes purges staliniennes avec plus de 750 000 personnes exécutées entre 1937 et 1938. Voici d’autres chiffres qui confirment globalement cette approximation :
« En l'espace de deux ans, en 1937-1938, suivant des statistiques incomplètes, un total stupéfiant d'au moins 681 692 personnes et probablement beaucoup plus, furent exécutées pour "crime contre l'État". Dans les mêmes années, la population des camps de travail et des colonies du Goulag s'accrut de 1 196 369 à 1 881 570 personnes, sans tenir compte des 140 000 morts au moins dans les camps eux-mêmes et du nombre inconnu des morts au cours du transport vers les camps » (Orlando Figes, Les Chuchoteurs, p. 288).
Nikolaï Iejov fut donc l’artisan de la pire période du stalinisme puisqu’il a à son actif les trois quarts des exécutions voulues par Staline soit 1 million de fusillés entre 1929 et 1953. Il a en plus fait déporter 800 000 personnes au goulag. Faisons un peu d’arithmétique pour mieux voir ce que cela représente en considérant que cette période de répression s’étend sur environ 500 jours d’août 1937 à novembre 1938. Cela représente 1 500 fusillés et 1 600 déportés chaque jour. C’est le plus grand massacre de masse jamais réalisé en Europe en temps de paix avec, pour record supplémentaire, le fait que tout cela se déroule dans le plus grand secret. Hitler avec ses camps de concentration, l’élimination des communistes et la solution finale pour les juifs n’arrivera jamais à de tels résultats. Ses usines à tuer ne seront jamais aussi performantes que le système du NKVD.
Quand un nouveau clan arrive au NKVD, il élimine tous les anciens afin de faire disparaître toutes les traces de cette terreur dont Staline ne veut pas se vanter. Les bourreaux d’hier deviennent alors, à leur tour, des victimes. Cela s’est produit deux fois. Le clan de Iejov a éliminé un grand nombre des collaborateurs de Iagoda puis Béria a éliminé ceux de Iejov.
Iejov a été fusillé le 4 février 1940 soit deux ans après son prédécesseur Guenrikh Iagoda exécuté le 15 mars 1938 sur ses ordres.
Il avait toutes les qualités pour plaire à Staline. Il était surnommé le « nabot sanguinaire » (Il mesurait 1,57m). Son degré d’instruction était nul : « école primaire inachevée ». Voici notamment ce que la Wikipédia dit de lui :
« Il est décrit diversement comme un alcoolique, prédateur sexuel, appréciant les orgies avec des « camarades secrétaires » des deux sexes, et avec une tendance prononcée pour le sadisme, bien que périodiquement dépressif. Il assiste fréquemment aux exécutions et prend part personnellement aux séances de torture des accusés les plus connus.
La terreur de masse
Jusqu’en 1935, les déportations, les exécutions et la famine ont déjà fait des millions de victimes comme conséquence de la politique associant industrialisation, collectivisation et « dékoulakisation ». Les victimes sont nombreuses surtout parce que cette politique est menée de manière aberrante. (Voir : « De la « dékoulakisation » à la famine ».)
A partir de 1936, les victimes sont encore plus nombreuses mais les motivations de Staline sont très différentes. Il s’agit alors pour lui de mener une guerre contre tous ceux qu’il estime être potentiellement dangereux pour son pouvoir. Les premiers visés sont les révolutionnaires qui ont fait la révolution de 1917 puis qui ont combattus les blancs jusqu’à la victoire de la guerre civile. Ces internationalistes se sont battus pour se débarrasser de la dictature du tsar et certainement pas pour voir apparaître une nouvelle dictature. Ils voulaient la révolution mondiale et non pas le socialisme dans un seul pays. Ils espéraient que la révolution allemande serait le premier pas important pour les sortir de leur isolement et étendre le socialisme rapidement à toute l’Europe. Or, en 1933, Hitler prend le pouvoir et ils voient leurs espoirs s’envoler. Que vont-ils faire ? Cette question est certainement angoissante pour Staline qui se sent menacé.
Il veut donc avant tout éliminer ces combattants du parti bolchévique et, avec eux, les cadres de l’armée rouge qui ont gagné la guerre civile. Il s’agit pour lui d’une contre-révolution préventive. Il craint en effet qu’ils se mobilisent dans une nouvelle révolution pour le chasser. Les russes blancs avaient rêver de se débarrasser des bolchéviques. C’est Staline qui va s’en charger.
De nombreuses autres victimes connaîtront le même sort que les bolchéviques notamment les « ex-koulaks » et les « gens du passé » c’est-à-dire ceux qui avaient de l’importance dans le clergé ou des partis politiques avant la révolution mais aussi les anciens membres des armées blanches et les anciens fonctionnaires du régime tsariste. Les « éléments socialement nuisibles » sont aussi visés : les criminels récidivistes, les spéculateurs, les contrebandiers professionnels, les brigands, les membres de « sectes », les marginaux divers. Les minorités allogènes peuplant notamment les périphéries de l’URSS sont aussi ciblées. Des listes sont constituées à partir d’archives policières, judiciaires, politiques et de divers fichiers comme ceux constitués, à partir de 1932, pour attribuer des passeports afin d’éviter l’exode des ruraux vers les villes lors de la grande famine.
Cette terreur de masse fonctionne à partir des ordres donnés par Staline qui fixe des quotas par pays et par régions pour la catégorie 1 (exécution) et la catégorie 2 (déportation). Chacun de ces quotas est ensuite divisé en sous-quotas par des cadres du NKVD et ainsi de suite jusqu’à obtenir un nombre suffisamment réduit pour que les exécutants se mettent au « travail ». Dans ce processus, il arrive fréquemment que des lèches-bottes de la hiérarchie propose d’augmenter certains quotas et cela est systématiquement accepté par Iejov ou Staline. Les quotas initiaux peuvent ainsi se trouver multipliés par 3, 4 ou 5. Dans la liste de Moscou 35 000 « ennemis du peuple » doivent être arrêtés dont 5 000 dans la catégorie 1. En Ukraine, 28 000 personnes sont arrêtées dont 8 000 de catégorie 1. Les opérations débutent au mois d’août 1937.
Les personnes arrêtées passent devant une commission de deux ou trois responsables locaux du NKVD, du parti ou de la magistrature qui décident de leur sort. D’autres tribunaux militaires ou du NKVD agissent dans des opérations parallèles.
Le changement par rapport à la période de « dékoulakisation » concerne donc les personnes visées mais aussi le mode opératoire car la plupart des exécutions et des déportations se font secrètement ou du moins le plus discrètement possible ce qui n’était pas le cas auparavant. Même les familles des victimes ne sont pas informées. Au mieux, une épouse recevra un courrier lui indiquant que son mari a été condamné à dix ans de détention sans droit de correspondance. Cela signifie en fait qu’il a été exécuté mais à l’époque personne ne le savait. Toute cette besogne est effectuée par des professionnels ce qui nécessite un personnel nombreux du NKVD avec des forces de police, un appareil judiciaire et toute une administration des goulags. La bureaucratie, ou nomenklatura, ne cesse de s’accroitre pendant que la misère se répand.
Tout cela va s’appuyer sur une démonstration qui sera par contre bien publique et qui amènera un déferlement de propagande mensongère pour gérer au mieux l’opinion publique. Ce seront les fameux procès de Moscou. Pour se débarrasser de la génération des bolchéviques, Staline va mettre en scène les procès de Moscou avec une technique déjà rodée. Dès 1930, il avait exhibé des boucs-émissaires pour expliquer les catastrophes amenées par la mise en œuvre de son premier plan quinquennal. Ce fut, en particulier, en décembre 1930, le procès contre le « Parti industriel » (autre vidéo). Le plus important pour Staline est que dans cette mise en scène, les accusés se désignent eux-mêmes comme des traitres travaillant à la solde de puissances extérieures. Il dispose d’une équipe de spécialistes pour mener les interrogatoires pendant la détention préventive avec tout un arsenal de tortures, de menaces, de promesses. Ils savent briser toute velléité de résistance des accusés pour qu’ils soient prêts à avouer leur culpabilité au cours du procès. Celui qui résisterait n’en sortirait pas vivant et disparaitrait. Grâce aux divers procès menés dans la lignée de celui du « parti industriel », Staline s’est dédouané de la responsabilité des échecs dramatiques de sa politique. Il a réussi à faire croire à la population que ce n’était pas le Parti mais les « saboteurs » qui étaient responsables de ses souffrances quotidiennes.
Ces parodies de justice à grand spectacle sont entièrement fondées sur les aveux. La participation de militants « fidèles à la ligne » est sollicitée dans des manifestations publiques où les participants sont invités à crier leur haine contre ces traitres. Tout cela est abondamment relayé par la presse et la radio. Tout ce système de propagande est parfaitement huilé. Ces procès sont la partie émergée de l’iceberg, la face publique de la Terreur.
Staline veut ainsi faire croire au monde à la véracité des accusations et au caractère légal des procédures. Par la même occasion, il montre l’étendue de son pouvoir. La communication est donc l’enjeu fondamental de toute cette mascarade.
L’assassinat de Kirov
L’assassinat de Kirov, principale personnalité du Parti à Leningrad, est le prétexte que saisit Staline pour lancer le premier procès de Moscou. La question sera mille fois posée : mais, qui a tué Kirov ? La réponse est pourtant simple.
« Le 15 octobre, des agents du NKVD interpellent un jeune homme nerveux près du domicile de Kirov, le premier secrétaire du parti communiste à Leningrad, fouillent sa serviette où ils trouvent un révolver, et le relâchent. Rien d’étonnant à cela. Depuis la guerre civile, beaucoup d’anciens partisans et de jeunes communistes possèdent un révolver, et celui de Nicolaiev est dûment enregistré depuis 1924. Les gardes du NKVD ne savent pas que Nicolaiev, récemment exclu du parti, et dont la jolie femme à l’éclatante chevelure rousse, Milda Draule, a été la secrétaire de Kirov l’année passée, a écrit par deux fois à celui-ci pour réclamer sa réintégration. Kirov ne lui a pas répondu. Nicolaiev, pour se venger, rêve d’assassiner ce bureaucrate dédaigneux.
Le 1er décembre 1934, à quatre heures et demie de l’après-midi, Kirov monte à son bureau de l’institut Smolny, avant de prononcer un rapport aux cadres sur le récent Comité central ; l’officier du NKVD chargé de l’accompagner, Borissov, traîne loin derrière lui. Nicolaiev l’attend. Kirov le dépasse. Nicolaiev sort son révolver et l’abat d’une balle dans la nuque. Kirov meurt sur le coup (« Staline » de Jean-Jacques Marie p. 437) »
Staline, immédiatement averti, tient le prétexte qui va lui servir à établir de nouvelles règles pour facilité la mise en œuvre des procès de Moscou. Il dicte deux heures plus tard un décret qui instaure une justice expéditive :
- Accélération des procédures pour ceux qui ont projeté ou commis des attentats ;
- Recours en grâce supprimés pour ces cas ;
- Exécution des sentences de mort immédiatement après le prononcé du jugement.
Staline sait à qui il veut faire endosser la responsabilité du meurtre. L’affaire est délibérément entourée d’une atmosphère de mystère. Il faut laisser penser qu’il s’agit d’un complot. La Pravda parle d’un assassinat « prémédité et soigneusement préparé ». Staline va rapidement désigner les coupables.
Le communiste yougoslave Vouyovitch déclare le jour même de l’assassinat : « C’est le début de la fin. Ça va commencer par nous et ça continuera comme une avalanche ». Boukharine affirme : « Vous comprenez ce que cela signifie ? Maintenant, il pourra faire tout ce qu’il voudra avec nous… Et il aura raison. »
Les 28 et 29 Décembre 1934, Nikolaiev et 13 autres « membres d'un groupe contre-révolutionnaire » ont été jugés par un tribunal militaire, condamné à mort et fusillé une heure après le jugement. Quatre vingt membres de la famille de Nicolaiev ont aussi été arrêtés et tués.
Chez les opposants nombreux sont ceux qui pensent que c’est Staline lui-même qui a fait assassiner Kirov. Les trotskystes le penseront longtemps. Certains diront même que Staline a manipulé Nicolaiev pour qu’il commette le crime. Les plus acharnés partisans de cette version s’appuie sur un livre d’Orlov qui fut un dirigeant du NKVD en Espagne : « L’Histoire secrète des crimes de Staline ». Mais, ce livre contient de nombreuses contre-vérités qu’il s’agisse d’erreurs ou de mensonges.
Zinoviev, Kamenev et leurs associés les plus proches sont accusés de l'assassinat par Staline. Ils sont expulsés du Parti communiste et arrêtés dès décembre 1934. Ils passent en jugement à huis clos les 15 ou/et 16 janvier 1935. C’est le « petit procès Zinoviev-Kamenev » car il y en aura un « grand ». Une quinzaine de hauts responsables bolchéviques de Léningrad sont accusés d’une « complicité morale » dans l'assassinat de Kirov. Ils reconnaissent leur « culpabilité idéologique », car, selon la Pravda du 17 janvier 1935, ils n'avaient pas « lutté assez énergiquement contre la décomposition qui était la conséquence de leur position antiparti, et sur le terrain de laquelle une bande de brigands avait pu naître et réaliser son forfait ». Les prévenus écopent de cinq à dix ans de prison. Mais, l’affaire ne s’arrête pas là.
Staline a inventé un centre zinoviéviste-trotskyste de Leningrad et de Moscou dont il a établi une liste de 13 « complotistes », anciens dirigeants des jeunesses communistes et tous détenteurs d’un révolver. Staline promet à Nicolaiev la vie sauve s’il dénonce ses complices et celui-ci dénonce « spontanément » les 13 « complotistes » arrêtés. Il prépare donc un second procès. Pour celui-ci, Zinoviev et Kamenev ne furent pas torturés à mort. On les priva simplement de sommeil, on alluma le chauffage dans leurs cellules en plein été, on menaça Kamenev de fusiller son fils. Finalement Staline leur a promis, en présence de Vorochilov et Iejov, qu’ils auraient la vie sauve. Ils ont tout avoué.
Les procès de Moscou
Les historiens considèrent généralement qu’il y a eu trois procès de Moscou auxquels il faut ajouter le procès des généraux. Certains y ajoutent aussi, le procès contre le « Parti industriel », de décembre 1830, dont nous avons déjà parlé.
Procès des 16
Le procès dit du « Centre terroriste trotskyste-zinoviéviste » se déroule à Moscou du 19 août 1936 au 24 août 1936. Onze anciens dirigeants du parti sont accusés dont Zinoviev, Kamenev, Smirnov et Mratchkovski. Avec eux comparaissent cinq anciens militants du Parti communiste Allemand, émigrés en Russie dont trois sont juifs : les frères Moissei Lurye et Nathan Lurye ainsi que Valentin Olberg. Trois autres juifs sont accusés : Reingold, Pickel et Holtzman. Avec Zinoviev et Kamenev, cela fait la moitié des accusés qui sont juifs. C’est un clin d’œil à Hitler : il n’y a pas qu’à Berlin qu’on traque les juifs.
Ils sont accusés de l'assassinat de Sergueï Kirov mais aussi de terrorisme et de sabotage en collaboration avec la Gestapo ou encore d’avoir préparé les assassinats de hauts responsables du gouvernement soviétique en commençant par Staline avec aussi Vorochilov, Jdanov, Kaganovitch, Ordjonikidzé, Kossior et Postychev.
Les seize avouent.
Vychinsky traite les accusés de « roquets, misérables pygmées, chiens enragés ». Il requiert la mort contre « ces aventuriers qui ont essayés de piétiner de leurs pieds boueux les fleurs les plus odorantes de notre jardin socialiste ».
Le verdict est la condamnation à mort pour tous. Quelques jours avant le procès, Staline avait rétabli le droit de grâce supprimé le 1er décembre 1934. Les condamnés sont exécutés dans l’heure suivante.
Procès des 17
Un deuxième procès, dit du « Centre antisoviétique trotskyste de réserve », s'ouvre le 23 janvier 1937. Cette fois, 17 personnes, principalement des hauts responsables économiques, sont accusées. Les plus connues sont Piatakov et Radek. Les accusations sont presque les mêmes que pour le procès précédent. S'y ajoutent les contacts avec des pays étrangers et l'appartenance aux services secrets allemand ou tchécoslovaque. Le procureur est toujours Andreï Vychinsky. À l'exception de Sokolnikov, Radek, Arnold et Stroilov (condamnation de 8 à 10 ans de camp), les autres sont tous condamnés à mort et exécutés le 30 janvier 1937.
Lecture de l’acte d’accusation par Vichinsky
Procès des généraux de l'Armée rouge
Ce procès s'ouvre en mai-juin 1937. Instruit en secret, il se déroule à huis clos et vise exclusivement les plus hauts généraux de l'Armée rouge avec, notamment, les maréchaux Mikhaïl Toukhatchevski, Iona Yakir et Ieronim Ouborevitch. Ils sont tous accusés de trahison, espionnage et complot sous l'appellation d' « Organisation militaire trotskiste antisoviétique. » Les accusés ont avoué leur participation. Ils sont tous condamnés à mort par un tribunal militaire sous la présidence du juge civil Vassili Oulrikh et exécutés le 11 juin 1937. De nombreux membres de leur famille seront aussi exécutés ou déportés. Tandis que les épurations du parti de 1929 et 1933 ont peu touché le personnel militaire, dans les semaines qui suivent le procès et jusqu'à la mi-1938, de nombreux officiers, soldats, et commissaires politiques, font l'objet d'une épuration de masse par emprisonnement ou exécution.
Durant les Grandes Purges, trois maréchaux sur cinq, 14 généraux d'armée sur 16 et entre 20.000 et 30.000 officiers sont exécutés. C'est un désastre pour l'Armée rouge. En 1941, quand Hitler viole le pacte germano-soviétique de 1939 et envahit l’URSS avec l’opération Barbarossa, il sait que l’armée russe n’a jamais été aussi faible
Procès des 21 du 2 au 13 mars 1938
(Voir cette vidéo intitulée « Staline 5 ; la grande terreur » qui est surtout consacrée à ce dernier procès de Moscou et cette autre vidéo qui montre la « performance » de Vichinsky lors de ce procès.)
Ce troisième procès, dit du « Bloc des droitiers et des trotskystes antisoviétiques » se déroule du 2 au 13 mars 1938. Les 21 principaux accusés sont Boukharine, Rykov, Krestinski, Rakovski et Iagoda. Ils sont accusés de complot visant à assassiner Staline, conspiration pour détruire l'économie et la puissance militaire du pays, de travailler avec les services d'espionnage de l'Allemagne, de la France, du Japon ou encore du Royaume-Uni. Des accords secrets auraient également été conclus avec l'Allemagne et le Japon.
Tous sont passés aux aveux, à l'exception de Krestinski, mais, le jour suivant le procès, il avoue tous les chefs d'accusations. Tous les accusés sont condamnés à mort à l'exception de Pletnev, Rakovski et Bessonov condamnés respectivement à 25, 20 et 15 ans de réclusion.
Le 13 mars, la Pravda titre : « Le verdict de la Cour fut accueilli par de nombreuses manifestations de joie populaire ». L'exécution de Guenrikh Iagoda, qui fut à la tête du NKVD et qui lança le début des Grandes Purges, ne marque pas vraiment la fin de cette période de terreur, qui ne s'éteint qu'à la fin de 1938 (avec le remplacement de Nikolaï Iejov par Lavrenti Beria).
Le négationnisme
L’historienne Annie Lacroix Riz défend coûte que coûte le stalinisme. Elle ne s’est jamais remise de la condamnation par Khrouchtchev des « abus du culte de la personnalité ». Elle entend bien être plus stalinienne que ceux qui estiment que le « culte de la personnalité » est acceptable à petite dose mais qu’il ne faut pas en abuser !
Elle conteste que les victimes des procès de Moscou aient été innocentes. Elle a notamment écrit à ce sujet une longue lettre, qui est formellement adressée à l’historien Jean-Jacques Marie, mais qui, à l’évidence, s’adresse surtout aux militants du PRCF. Elle les invite à ne pas se laisser impressionner par ceux qui expliquent que tous les accusés étaient innocents. Tout au long de ce texte, elle laisse entendre, sans le dire, qu’elle détient des preuves de leur culpabilité. Or, je défie tout lecteur de me dire où il pourrait trouver dans tout ce charabia, de près de1400 mots, l’exposé simple et clair d’une seule preuve. Il n’y en a aucune car sinon cela se verrait. Elle cherche néanmoins à convaincre qu’elle en possède dans une masse de documents qu’elle a annotés et amassés au fil de ses recherches dans de multiples archives… Elle explique longuement comment elle s’y serait prise pour obtenir ces supposées preuves mais elle n’en exhibe aucune. Son but est seulement de faire en sorte qu’au terme de ce délayage le lecteur ait l’impression que des preuves existent même si elle n’en fournit aucune. Je ne vais pas m’attarder à démonter toutes ses stalineries. Je ne donnerai qu’un exemple.
Elle n’hésite pas à annoncer qu’elle détient, comme preuve de la participation des trotskystes à des « tractations avec l’étranger », le « document brut des séances » de tortures-interrogatoires menés dans les caves de la Loubianka par les bourreaux de Staline. Voici ce qu’elle écrit :
Le document brut des séances est instructif, parce que, torturés ou pas, les inculpés fournirent des détails précis sur leurs tractations avec l’étranger qu’aucun tortionnaire, si habile fût-il, n’aurait pu leur inspirer, comme je l’ai fait remarquer naguère à propos des procès qui eurent lieu dans les démocraties populaires de l’Est européen, pendant la Guerre froide, contre de hauts clercs stylés et mandatés par le Vatican.
Elle ne fournit aucune autre information sur ces supposées « tractations ». Elle affirme que ces aveux n’auraient pas pu être extorqués par des tortionnaires mais elle ne fournit à ce sujet aucune explication. Existerait-il une limite en la matière ? Elle insinue que le fait qu’elle ait déjà affirmé cela elle-même auparavant serait une preuve de véracité ! Elle prend ses lecteurs pour des imbéciles. En fait, je le répète, aucune preuve ne vient étayer ses allégations. Tout son texte est dans ce style.
Il faut lui reconnaître un certain talent dans l’art de mentir car, jouant sa réputation d’universitaire, contrairement à bien d’autres, elle ne peut pas se permettre d’émettre des contre-vérités flagrantes. Elle n’affirme pas. Elle insinue. Elle sous-entend. Elle procède par allusions et suggestions. A défaut d’être incisive, elle martèle : huit fois les mots « archive » et « document » mais jamais le mot « preuve ». Ainsi, elle affirme qu’il n’y a « aucun doute sur l’utilisation des trotskistes contre les communistes par les Allemands hitlériens » mais, au lieu d’en donner la preuve que nous attendons tous, elle affirme qu’elle a un épais dossier et qu’en farfouillant dedans nous trouverons assurément la preuve. Est-ce que, dans son institut d’histoire, les lecteurs sont invités à aller chercher les preuves de ce que les auteurs affirment ? Ce n’est pas ce que nous préconisons. Elle est stalinienne jusqu’au bout des ongles : experte dans la contre-vérité entretenue avec des artifices.
Je reprends à mon compte ce qu’elle reproche à Jean-Jacques Marie d’avoir montré : « Staline a tué femmes, enfants et vieillards, sans parler des hommes valides, grâce à une réglementation, par lui élaborée, aussi idiote que féroce ». Il faudrait être aveugle pour ne pas voir cela car il nous reste les photos que le NKVD prenait avant de les exécuter et nous y voyons même des adolescents à défaut d’y voir des enfants. Jean-Jacques Marie n’a d’ailleurs jamais dit qu’il y avait des enfants. Les effets de style du genre « femmes, enfants et vieillards » ne peuvent pas justifier une calomnie. Nous affirmons donc, avec Jean-Jacques Marie, que Staline « symbolise la cruauté, la dissimulation, la mégalomanie, le bluff, le mépris des hommes » (Voir notamment la vidéo intitulée « Un exemple de la folie et de la cruauté du régime stalinien »).
D’autres depuis se sont employés à salir les accusés des procès de Moscou. Je rappelle à ce sujet mon article : « Aymeric Monville vole au secours des staliniens ». Cet individu dirige en France les éditions Delga entièrement spécialisées dans la diffusion en langue française des pavés de la dernière génération de staliniens qui essaient de réhabiliter, tant bien que mal, les criminels du stalinisme. Ces éditions équilibrent leur budget en vendant quelques exemplaires de chaque pavé essentiellement à des militants du PRCF. L’un des derniers livres fait partie de la série du vis-à-vis et inspirateur américain d’Annie Lacroix Riz. Il s’appelle Grover Furrest et il nie toutes les accusations portées contre le « Petit Père des peuples ». Voici quelques-unes de ses stalineries :
- Les accusés des Procès de Moscou, jugés principalement pour collaboration avec les nazis, étaient coupables
- Staline n’était pas responsable des massacres perpétrés par Iejov.
- « Pas une seule déclaration spécifique » de Khrouchtchev dans son « rapport secret » de février 1956 « ne s'est avérée vraie ».
- Le pacte Hitler-Staline (Molotov-Ribbentrop) devait préserver la Pologne et non l'attaquer.
- L'Union soviétique n'a pas envahi la Deuxième République polonaise.
- Le massacre de Katyń n'a pas été commis par le NKVD soviétique, mais par le Schutzstaffel.
Annie Lacroix Riz, tenu par ses obligations d’universitaire française, ne peut pas se permettre de reprendre à son compte toutes ces grossières contre-vérités. C’est pourquoi elle se contente, sur quelques points, de lancer un flot d’insinuations comme nous l’avons vu avec sa « lettre à Jean-Jacques Marie ». Cependant, tous les staliniens à gros sabots du PRCF ne se privent pas de faire état de ce tas d’immondices. Les éditions Delga sont faites pour cela et Aymeric Monville excelle dans le rôle du faux-cul comme nous l’avons vu.
Staline contre le bolchévisme et le trotskysme
Les procès de Moscou sont destinés à convaincre l'opinion publique intérieure et étrangère de l'existence d'une vaste conspiration antisoviétique. Ils doivent aussi servir d'exemple pour les multiples autres procès qui se déroulent dans le reste du pays. Fondés sur les seuls aveux des accusés, généralement arrachés sous la torture et les menaces de mort sur la famille, les procès sont des simulacres. L’essentiel pour Staline est que les accusés avouent publiquement des crimes imaginaires. Il faut qu’Eluard, Aragon et tous les staliniens puissent dire : « J’ai trop à faire des innocents qui clament leur innocence pour me préoccuper des coupables qui clament leur culpabilité ».
Les procès de Moscou ont marqué le point culminant de la campagne menée par la bureaucratie stalinienne pour liquider le parti bolchevique et sa direction. Pour établir sa dictature, Staline a exterminé les bolchéviques. Des huit membres du premier bureau politique du parti bolchévique seuls Lénine et Staline sont morts de « mort naturelle ». Parmi les seize membres du premier gouvernement bolchévique, Alexandra Kollonkaï est la seule à avoir survécu à la terreur stalinienne. Des vingt-six membres du comité central de 1917, on ne dénombre que trois survivants après les purges staliniennes (Alexandra Kollontai (1872-1952), Matveï Konstantinovitch Mouranov (1873-1959), Elena Stassova (1873-1966).
Sur le même thème, Pierre Broué a écrit : « Sur les millions de détenus libérés des camps de concentration après la mort de Staline, (...) les trotskystes survivants peuvent se compter sur les doigts d'une seule main ? ». Notons que les trotskystes dont parle Broué n’étaient pas nécessairement tous des anciens de la révolution d’octobre.
Mais cela ne suffit pas à Staline. Il craint Trotsky. En dehors des frontières de l’URSS, celui-ci se montre encore plus dangereux. Depuis l’étranger, il dénonce la dérive autoritaire du régime soviétique. Il prouve que les accusations des procès de Moscou sont entièrement fausses. Une commission d'enquête sur les allégations contre Léon Trotsky dans les procès de Moscou se réunit et rend ses conclusions à New-York le 21 septembre 1937. C’est la Commission Dewey. Trotsky a été entendu lors de 13 audiences du 10 au 17 avril. Il est totalement innocenté. Malgré tout le flot de calomnies, l'opposition de Gauche et Trotsky apparaissent encore comme ceux qui défendent les véritables idées du marxisme et de Lénine, La vérité l’emporte : Le stalinisme n’est pas le marxisme, c’est son ennemi le plus perfide. La bureaucratie stalinienne a usurpé le pouvoir conquis par la classe ouvrière lors de la Révolution d’octobre. Elle a consolidé son pouvoir en Union soviétique par l’extermination la plus massive des marxistes et des vrais communistes jamais menée dans l’histoire.
Que cette vérité apparaisse est insupportable pour Staline. Il sait que l’opposition de gauche est faible et que seul Trotsky, leader incontestable, a l’expérience et l’autorité pour la diriger. Le Bulletin de l’Opposition continuait à circuler clandestinement en Union soviétique et les analyses de Trotsky continuaient à être suivies. Staline, vétéran du Parti bolchevique, comprenait très bien la puissance des idées et la capacité d’un groupe révolutionnaire même petit à devenir une force décisive quand les circonstances deviennent favorables. Il a vu le parti bolchévique ultra-minoritaire devenir en quelques mois un puissant parti de masse en mesure de diriger une révolution. Staline était donc déterminé à détruire toute trace d’une opposition marxiste à son régime. Il devait supprimer Trotsky.
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