La Grèce au cœur des enjeux impérialistes européens
Dans son ouvrage, La dette odieuse ‒ Les leçons de la crise grecque, publié chez Pearson‒France en 2011, Jason Manolopoulos, d’origine grecque, spécialiste des marchés émergents et maître d’œuvre d’un fonds d’investissement, écrivait :

« Pendant dix ans, les dirigeants de l’UE [Union européenne] et la communauté des investisseurs ont collectivement prétendu que l’économie grecque était comparable à celle de l’Allemagne. J’ai déjà écrit comment les ambitions impérialistes des dirigeants de l’UE les ont poussés à privilégier la création de la plus grande zone euro possible par rapport à une zone certes plus petite mais convergente. » (pages 215‒216)
Le loup UE n’aurait-il avalé, tout rond, l’agneau grec que pour se faire plus gros qu’il n’était auparavant, et défier le loup US ? Ou bien le loup UE s’apprête-t-il à digérer l’animal qu’il n’aura d’abord prétendu que vouloir protéger en l’accueillant bien vif dans son estomac ?
Autrement dit, les peuples allemand et français ‒ pour ne parler que de ces deux-là ‒ seraient-ils embarqués dans une affaire où ‒ sous couvert de rapprochement des peuples ‒ il s’agirait tout simplement, pour eux, d’aller dévorer la chair même du peuple grec ?
C’est pourtant bien Jason Manolopoulos, du fond d’investissement Dromeus Capital, qui utilise cette formule qui paraît tout de même étrange sous sa plume : "ambitions impérialistes des dirigeants de l’UE"… Est-ce là que réside la source de la crise humanitaire qui est venue frapper la Grèce après le boom économique retentissant des premières années de ses épousailles avec l’Union européenne ? Serions-nous occupé(e)s à dévorer ‒ sans nous en rendre un compte exact ‒ la belle épousée ?
Qui mange quoi ? D’où vient ce bruit d’os qui se brisent là‒bas ? De quelles mâchoires la France et l’Allemagne se trouvent-elles dotées ? Ne rencontrent-elles pas, en Grèce même, la complicité de quelques grands fauves tout aussi assoiffés du sang du peuple grec qu’elles ?
Il est bien vrai que la France et l’Allemagne ont des retraites à défendre. Et qu’elles ont des dents que la Grèce n’a pas… n’a plus… n’a jamais eues. Ou alors, ce sont ces armes qu’elle pourrait un jour faire valoir contre la Turquie, ces armes qu’elle a achetées… à la France et à l’Allemagne, grâce à l’intervention sophistiquée de … Goldman Sachs, la mère tutélaire de l’Europe en train de se faire.
Mais de quelle bourgeoisie la Grèce, qui a adhéré à l’Union européenne, est‒elle le nom dans le camp impérialiste ? Il faut ici en référer à un autre personnage d'origine grecque... Dans une note du troisième tome de la somme qu'il a publiée en 2013, Olivier Delorme nous indique qu'il utilise le terme "compradore"...
« Selon la distinction opérée par le philosophe marxiste grec Nicos Poulantzas (1936‒1979) entre bourgeoisie nationale qui investit dans la production et bourgeoisie compradore qui, dans un pays donné, tire sa fortune du rôle d’intermédiaire avec l’étranger dominant. » (page 2213)
"Compradore", autrement dit : agent des intérêts de l’étranger…
En Grèce, la bourgeoisie nationale n’a qu’une influence dérisoire… C’est qu’elle n’a jamais su se défendre des interventions venues, tour à tour, de Londres, de Berlin ou de Paris, depuis des temps très reculés.
Pour en venir à situer l’impact de l’orientation "compradore" sur la bourgeoisie nationale grecque, Olivier Delorme passe par le pourquoi des faiblesses de long terme de la politique fiscale grecque :
« Car le problème, en Grèce, est bien moins celui de la fraude que du consentement à l’impôt, c’est-à-dire, en dernier ressort, du rapport entre le citoyen et l’État. » (page 2082)
Ce problème peut d’abord être pris sous l’angle de la politique intérieure grecque :
« Longtemps, l’État est ottoman et son impôt la principale manifestation de sa domination comme de la sujétion aux magnats grecs qui le collectent pour son compte. » (page 2082)
Comme on le voit, cette politique intérieure grecque est aussitôt étrangère. En l’occurrence, il s’agit de l’intégration, de longue haleine, de la Grèce dans l’Empire ottoman pour la période qui va de 1453 à 1821…
« Puis l’État indépendant naît enchaîné par la dette qu’il a fallu contracter à Londres pour gagner la guerre, devient bavarois par la grâce des Puissances, et traite ses propres sujets en parias. » (page 2082)
Après qu’un Saxe‒Cobourg eut rejeté le rôle que lui offraient lesdites Puissances, il y avait eu un Othon de Wittelsbach, bavarois, lui-même suivi d’un Guillaume de Schleswig-Holstein-Sonderburg-Glücksburg, choisi par l’Angleterre. Quant à l’État indépendant…
« Sous la seconde dynastie, germano-danoise, il est étroitement tenu en lisière par les ambassades française et surtout anglaise. » (page 2082)
Avec cette conséquence annonciatrice de bien des choses :
« Et, par deux fois, des tentatives de modernisation volontariste financées par l’emprunt aboutissent à une mise sous tutelle financière ‒ non du fait d’une "nature" supposée des Grecs, mais des crises du capitalisme occidental qui s’amplifient en Grèce en raison de l’arriération héritée des Ottomans, de la faiblesse du capital national et de son orientation compradore. » (page 2082)
À travers ce dernier mot, nous voici donc revenu(e)s aux analyses de Nicos Poulantzas… Mais quelles étaient-elles ?
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