La guerre des mondes
Les attentats de Londres, bien qu’attendus de longue date, ont restauré le climat d’insécurité que Ben Laden promettait à l’Occident. Soixante-douze heures après les déflagrations, vingt mille personnes ont été évacuées à Birmingham, suite à une énième alerte à la bombe. Aux Etats-Unis, Le Figaro rapporte qu’un ’pont ferroviaire d’aspect anodin au sud-est de Washington suscite les plus grandes inquiétudes des spécialistes de la lutte anti-terroriste. Surplombant une rue peu fréquentée à deux pas du Capitole, il voit passer quotidiennement des convois de matières chimiques très dangereuses dans des wagons-citernes identifiés à la vue de tous. Il suffirait de faire sauter le pont au bon moment avec un camion piégé pour mettre en danger la vie de 100 000 personnes en moins d’une heure, à commencer par les élus du Congrès et les juges de la Cour suprême, installés en première ligne’. En réalité et même si je suis le premier à réduire ma consommation de transports publics, j’ai plutôt l’impression que le terrorisme salafiste est en passe de rater ses principaux objectifs militaires. Ce n’est donc pas le moment de lui laisser gagner la bataille politique, celle des esprits.
Sept explosions synchronisées à Londres et ’seulement’ une cinquantaine de vicitimes, c’est un échec relatif pour les stratèges de la terreur. Pour s’expliquer cet essoufflement de la menace terroriste, il faut se pencher sur les deux ruptures qu’a introduit le terrorisme moderne (Ground Zero, Atocha et Beslan) : d’abord un terrorisme de masse (maximiser le nombre de victimes en détournant de grandes infrastructures), ensuite le recours aux kamikazes. Rappelons qu’a Madrid, l’objectif initial consistait à placer les bombes aux quatre coins de la gare pour faire s’écrouler le dôme du bâtiment central : c’est toute la différence entre un bilan en centaines et en milliers de victimes. Aujourd’hui, les actions d’Al Qaida semblent refluer vers un terrorisme de moyenne intensité, avec en prime l’apparente sophistication de l’utilisation de téléphones cellulaires (pour activer les charges à distance), qui ne suffit pas à masquer les difficultés qu’éprouvent maintenant les terroristes à rééditer leurs exploits opérationnels passés.
Selon la Rand Corporation, il y a eu en cinq ans 181 attaques terroristes dans le monde contre les transports en commun. C’est presque devenu un risque courant, statistiquement du moins. Selon Alain Bokobza, stratégiste à la Société générale : ’Les scénarios de base intègrent désormais, depuis septembre 2001 et le conflit en Irak, un risque structurel d’attaques terroristes : l’Eurostoxx a retrouvé son niveau antérieur aux attentats du 11 Septembre en 28 séances. L’impact négatif des attentats de Madrid a été plus court : 18 séances ont suffi pour retrouver le niveau d’avant les attentats’. L’incohérence du mode de fonctionnement d’Al Qaida la protège autant qu’il la dessert : le même jour, un djihadiste se fait kamikaze aux abords d’un centre de recrutement de l’armée régulière irakienne alors que ses complices lointains à Londres préfèrent sacrifier leur Motorola dernier cri plutôt que leur vie. L’allocation optimale des ressources ne semble pas être point fort des moujahidines, puisque dans le premier cas il s’agit de perturber l’agenda international de Tony Blair et du G8 alors que dans le second, il ne s’agit ’que’ de décourager les cohortes de jeunes chômeurs bagdadis de se faire salarier par l’Etat irakien.
Pareillement, il existe un hiatus étonnamment grandissant entre la rhétorique menaçante des communiqués de la nébuleuse djihadiste et la réalité sur le terrain : ’Les vaillants moujahidines ont mené la louable conquête de Londres. Et voici la Grande-Bretagne qui brûle de peur, de terreur et de frayeur du nord au sud et d’est en ouest’ (sic). Aujourd’hui la campagne planétaire d’Al Qaida s’apparente plus à la tournée mondiale d’un rocker en fin de carrière (Bali, Casablanca, Istanbul, Djerba, Ryadh, Le Caire, Londres, New York, Madrid) qu’à une campagne de guérilla globale visant à déstabiliser le monde libre. Toutefois, ces attaques sporadiques agissent comme des rappels de vaccin et réveillent le démon de la guerre des civilisations. A force de répétition et toutes choses égales par ailleurs, les attentat sont vécus par les populations civiles comme de violentes attaques identitaires. C’est dans l’air du temps : le sentiment de peur et de vulnérabilité culminent dans l’imaginaire collectif, en témoigne le remake de War Of The Worlds par Spielberg (sorte de film catastrophe dans tous les sens du terme, à rater à tout prix ;-) où l’altérité radicale des martiens renvoie finalement à celle des terroristes salafistes.
Olivier Roy, directeur d’études à l’EHESS, fait remarquer que ’Les Britanniques ont changé d’attitude après le 11 septembre 2001. Auparavant, le paradoxe était qu’ils voyaient les musulmans comme des étrangers. Ils avaient la même attitude vis-à-vis des radicaux musulmans que le général de Gaulle avec les mouvements de libération du tiers-monde. Mieux vaut les avoir chez soi qu’ailleurs. (...) La conclusion s’impose : l’Europe est devenue un lieu de radicalisation islamique, qui n’est pas la simple conséquence de l’importation des conflits du Moyen-Orient. Le cas typique est celui du meurtrier de Théo Van Gogh aux Pays-Bas. Il n’avait aucune revendication sur la Palestine ou l’Irak. Il n’a parlé que de l’islam’. Symétriquement, on assiste à une radicalisation de l’opinion publique occidentale et de plus en plus de voix s’élèvent : Oriana Falacci, Taslima Nasreen, Ayaan Hirsi Ali, Houellebecq, Alexandre Del Valle, Bat Ye’or, Brigitte Bardot, Daniel Pipes et bien d’autres encore. Sur ce sujet comme sur d’autres, il y a urgence à résister à la tendance régressive et agressive qui s’empare du débat public.
Professeur de sciences politiques aux Etats-Unis, Assaad Abou Khalil, fait une audacieuse comparaison entre ce qu’il appelle la ’banalisation’ par le président américain du concept de liberté, et celle par le terroriste Oussama Ben Laden du concept de Jihad. ’Les deux hommes invoquent chacun son concept favori sans le mettre en pratique réellement’, dit-il dans un entretien à Al-Jazira. Pour lui, la façon de M. Bush de considérer que ’la liberté est la solution’ est ’aussi simpliste’ que les islamistes jugeant que ’l’islam est la solution’. A cela, il faut ajouter que même les observateurs les plus mesurés commencent à plus ou moins désespérer, à l’instar d’Albert Memmi qui écrit : ’On a tort de considérer qu’il suffirait d’une évolution religieuse, sur le modèle de la Réforme entreprise par Luther en Europe, pour que les pays musulmans sortent de l’ornière. C’est une illusion de plus. Ce n’est pas parce qu’une partie de l’Europe est devenue protestante que nous avons pu avancer. Du reste, les régimes politiques protestants se sont parfois montrés aussi tyranniques que ceux des pays d’influence catholique. Il a fallu une séparation nette de la religion et de l’Etat. Or, en terre d’islam, nous en sommes très loin’.
Dans un registre plus venimeux, le directeur de Libero, un quotidien italien proche de de la Ligue du Nord, s’emporte carrément : ’A la guerre comme à la guerre. Il est idiot de financer la construction des mosquées ; il faut être bête pour être tolérant envers ceux qui ne le sont pas ; cela n’a pas de sens d’éliminer des lieux publics les symboles de notre civilisation pour ne pas vexer les sentiments de ceux qui appartiennent à une civilisation inférieure. Alors que la bataille fait rage, il faut abattre les ponts de l’amitié avec les peuples d’où proviennent les terroristes’. Pour information, le principal suspect selon la presse britannique est Mohamed Guerbouzi (chef du Groupe Islamique Combattant Marocain en Europe selon des sources judiciaires françaises) dont le nom est également cite dans les enquêtes du 11 mars et du 16 mai...
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