La laïcité bien comprise
Sous la multiplication des dangers actuellement portés par les sciences et technologies ainsi que par la volonté intrusive des milieux politiques, il est urgent de redéfinir la laïcité en vue de protéger les individus contre les menaces totalitaires de plus en plus pressantes qui s'exercent sur le corps social.
Le substantif « laïc » est, à l’origine, un terme catholique remontant au XIIe siècle ; il désigne tout simplement l’homme qui n’est pas un clerc. Il vient du latin laïcus procédant lui-même du grec laikos signifiant homme du peuple. A l’origine, il portait une connotation péjorative car il sous-entendait bien souvent l’ignorance ou la grossièreté.
Son dérivé, « laïcité », désigne l’autorité exercée sans l’assentiment de l’Eglise. Le terme fut inventé en 1871, au début de la IIIe République, pour servir en quelque sorte d’étendard à l’anticléricalisme de la Franc-maçonnerie, qui s’est juré depuis sa fondation de faire disparaître l’Eglise catholique, et qui le clama haut et fort quand le pouvoir tomba enfin pleinement entre ses mains pour culminer dans la loi de 1905, qui spolia et persécuta l’Eglise (le cri de guerre « A bas la calotte ! » des anti-chevaliers maçons constituait en quelque sorte le contrepied du « Montjoie ! Saint-Denis ! » des chevaliers français).
Mais, le peuple n’étant pas aussi soumis à la Franc-Maçonnerie que celle-là le souhaiterait, il peut se faire une idée stricte et juste de ce que doit être la laïcité : Elle consiste à ne pas soumettre le pouvoir politique à la pleine volonté de l’Eglise. Cela est parfaitement acceptable pour les croyants, puisque Jésus a dit :
« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu, 22.21, Marc 12.17, Luc 20.25)
Il signifiait par là que l’administration des choses contingentes était l’affaire de César, tandis que l’œuvre du salut relève de Son autorité. Ainsi, lorsqu’un jeune homme vint trouver Jésus pour requérir Son intervention afin de forcer son frère à un meilleur partage des biens dont ils héritaient, il se vit répondre :
« (…) Homme, qui m'a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages ? » (Luc, 12.14)
Mais cette séparation des pouvoirs voulue par le Christ a une portée précise : Elle entend distinguer le temporel du spirituel.
Elle n’enlève donc pas toute autorité à l’Eglise, bien au contraire, car il n’y a pas de société sans mœurs, et nous rappellerons ici que la morale est la science des mœurs. Dans une société animée par la foi, c’est à l’Eglise que revient la direction morale, et non aux technocrates. De là vient la célèbre et profonde maxime :
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (Pantagruel, François Rabelais).
Par exemple, prenons une ville en pleine expansion et que traverse un fleuve. Le conseil municipal se saisira bientôt de la nécessité de construire un pont supplémentaire afin de desservir les nouveaux quartiers et désengorger les ponts centraux. Même dans une société définie comme chrétienne, telle que le fut la France depuis l’an 496 jusqu’en 1905, il est évident que ce n’est pas à l’évêque de la ville de décider à quel endroit précis ce pont doit être construit, ni quels matériaux employer, ni quelle technologie, ni quelle largeur il faut donner à ce pont… Il est évident que sur une telle question, l’évêque n’est en rien l’homme le plus qualifié pour prendre toutes ces décisions techniques : Il n’y a donc aucune raison de lui confier l’autorité sur cette affaire, qui revient aux urbanistes, ingénieurs ou architectes, eux-mêmes soumis néanmoins aux contraintes budgétaires imposées par l’autorité économique, qui n’a aucune raison elle non plus d’être confiée à l’évêque : Voilà ce qu’est une laïcité bien sentie.
En revanche, sur les questions morales, l’autorité de l’Eglise est requise pour empêcher la société des hommes de basculer dans la barbarie, ce qui, compte tenu des faiblesses incontestables de la nature humaine, constitue un danger permanent sous l’effet des redoutables possibilités que permettent les incessantes inventions du génie humain, danger qui, s’il n’est pas jugulé, transformera vite en enfer sur la terre la société des hommes : C’est ainsi que l’on voit aujourd’hui se profiler, entre autres, le danger totalitaire que permet la révolution numérique (1). Il importe désormais de lancer d’urgence une réflexion approfondie sur ce danger imminent, et d’imposer ensuite à la science informatique les limites que requiert la dignité humaine.
De même, si le chimiste-biologiste est seul capable de combiner génétiquement l’humain et l’animal, il n’est en revanche absolument pas le plus qualifié pour déterminer si ce bricolage est acceptable ou non au point de vue moral. Bien au contraire même, dès qu’il a entrevu la possibilité scientifique d’ouvrir cette boîte de Pandore, il n’a pu s’empêcher de désirer l’ouvrir, sans s’embarrasser des incidences morales de la voie dans laquelle il veut s’engager, oubliant qu’avec lui, et là se trouve la redoutable gloire de la science, c’est toute l’humanité qu’il entraîne à son corps défendant.
L’Assemblée Nationale, manifestant son incompétence au plan moral, s’est laissé séduire malgré l’article L-2152-2 du Code de la Santé Publique, qui interdit la création d’embryons chimériques (2). C’est ici que l’Eglise devait entrer en jeu : C’est à elle de borner l’intelligence de l’homme en fonction des nécessités du salut, c’est à elle de faire comprendre aux hommes que ce n’est pas parce qu’une chose est accessible à l’intelligence humaine qu’elle est bonne et licite.
On voit clairement ici que séparer intégralement le politique et le religieux est une perversion de la séparation voulue par le Christ : le politique et le religieux n’ont à se séparer qu’en partie, dans la stricte mesure où n’entre pas en jeu la morale, car la politique n’est étrangère à la morale que jusqu’à un certain point, et tout ce qui se manifeste dans la vie publique doit être soumis aux impératifs moraux communément admis, que Kant appelait impératifs catégoriques.
L’Eglise doit donc entrer en politique dès que l’intégrité de l’homme est menacée. Seul un imbécile pourrait lui rétorquer « C’est de la politique, cela ne te regarde pas » lorsqu’elle vient réclamer le renoncement aux projets de lois vus comme immoraux selon ses principes. Oui, en effet, la politique regarde l’Eglise dans la stricte mesure des questions morales que la politique soulève. Il est bien entendu que l’Eglise n’a pas à discuter de la répartition du budget de l’Etat entre les différents ministères, ni de la politique de défense ou de construction, ni encore des transports, ni même de l’organisation de la médecine ou des services de voirie… Mais encore une fois, dès que la morale entre en jeu, le politique devient nécessairement tributaire du religieux, car la morale n’est pas une affaire strictement privée : bien au contraire, la morale est le ciment de toute société, elle est un ensemble de valeurs communes qui assure la reconnaissance mutuelle et l’harmonie d’une nation. Nier cette vérité, c’est aller vers un funeste chaos, c’est l’assurance de laisser un enfer à nos enfants.
La laïcité ne consiste donc pas à congédier l’Eglise sur les affaires de la cité comme on envoie un chien à la niche, mais au contraire à requérir son avis à chaque fois que la praxis vient buter sur une question morale, dont le corpus intellectuel accumulé par l’Eglise en vingt siècles d’examen de l’âme humaine et de sa destinée lui confère une compétence autrement plus élevée que celle d’un médecin ou d’un avocat parvenu à un siège de député par les hasards de la propagande médiatique.
Encore faut-il, bien sûr, que l’Eglise reste fidèle à son magistère et ne prône pas aujourd’hui le contraire de ce qu’elle disait hier. On peut ainsi s’étonner que le Vatican n’ait pas condamné l’usage de vaccins produits à partir de fœtus humains avortés, mais qu’il en ait au contraire encouragé l’emploi dans certaines situations (3). Mais cette remarque ouvre un autre débat que celui dont il est ici question.
Pierre Mellifont
Notes :
(1) « Je pense que nous devrions être très prudents au sujet de l'intelligence artificielle. Si je devais miser sur ce qui constitue notre plus grande menace pour l'existence, ce serait ça » Elon Musk, rapporté par « Intelligence artificielle : pourquoi Musk,Hawking et Gates s'inquiètent ? », Les Échos, 30 janvier 2015.
(3) « (…) lorsque différents types de vaccins sont distribués dans un même pays mais que les autorités sanitaires ne permettent pas aux citoyens de choisir le vaccin à se faire inoculer) il est moralement acceptable d’utiliser les vaccins anti-Covid-19 qui ont utilisé des lignées cellulaires provenant de fœtus avortés dans leur processus de recherche et de production. » (Congrégation pour la docrtine de la foi , « Note sur la moralité de l’utilisation de certains vaccins anti-Covid-19 »). https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20201221_nota-vaccini-anticovid_fr.html
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