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La langue française est menacée

La langue française est menacée

 

Le carnaval des femmes

 

Le jeudi précédant le mercredi des Cendres est un jour particulier pour les Allemandes de la région de Cologne. C’est celui du carnaval des femmes (Weiberfastnacht). Ce jour-là, les responsables de l’administration, les hommes politiques importants, les patrons d’entreprises mettent leur plus laide cravate, car les femmes prennent le pouvoir et chassent l’homme cravaté pour lui couper cet accessoire, la cravate étant pour elles un symbole phallique. Cette tradition de la prise du pouvoir par les femmes est très ancienne puisqu’elle remonte au Moyen-Âge. Pour celles et ceux que cela intéresse, le prochain carnaval des femmes est fixé au 8 février 2018, le suivant au 28 février 2019. Pour cela, il faudra se rendre de préférence à Cologne. Les hommes pourront se débarrasser de leurs cravates les plus laides. Quant aux femmes, elles ne devront pas oublier de se munir d’une bonne paire de ciseaux.

Cette tradition m’est revenue à l’esprit lorsque j’ai constaté l’énergie dépensée par certain·e·s pour imposer l’usage de l’écriture inclusive dans la langue française.

 

Les inégalités dans la société

 

Soyons clairs : il est inadmissible que des hommes forts et lâches frappent des femmes ou des enfants, qu’à travail égal, des femmes gagnent moins que des hommes, que des pères tout aussi lâches abandonnent des mères avec leurs enfants, dont ils sont pourtant les géniteurs, ou encore que certains profitent de leur position sociale ou de leur force pour harceler ou agresser sexuellement une femme.

Mais notre société n’est-elle malade que de sexisme ? N’y aurait-il pas aussi des problèmes de catégories sociales ? Le pêcheur en mer qui risque son existence, l’ouvrier travaillant sur un haut-fourneau qui risque sa santé, l’ouvrier en bâtiment ou en construction navale qui a manipulé l’amiante et crache ses poumons, les ouvriers couvreurs qui travaillent par tous les temps dans des conditions inhumaines, tous ces gens ont-ils, parce qu’ils sont des hommes, une vie plus enviable que celle d’une bonne bourgeoise qui, la pauvre, a un emploi du temps inhumain, devant aller chez le coiffeur, la manucure ou le kiné, et pour qui un ongle cassé représente une catastrophe vitale, l’obligeant en plus à prévoir une visite supplémentaire chez le psy qu’elle devra encore caser ?

 

Nous n’oublions pas non plus les mères de famille débordées, surtout lorsqu’elles ont été abandonnées par leur homme, les retraités qui vivent d’une maigre retraite, les veuves âgées qui vivent encore plus chichement d’une demi-retraite. On pourrait malheureusement multiplier les cas, et allonger la liste, mais la place est mesurée.

 

La langue française est misogyne

Voilà maintenant que les ayatollah.e.s de l’écriture inclusive attaquent la langue française, haut lieu, selon elles, du sexisme mâle.

Il·elle·s n’ont bien sûr pas tort de reprocher à la langue française sa misogynie. Celle-ci s’exprime en particulier dans les noms de métiers ou de fonctions au masculin, alors que les femmes sont nombreuses à les exercer. Certains noms sont faciles à mettre au féminin : « avocat / avocate, soudeur/soudeuse ». D’autres sont unisexes comme « ministre » ou « manucure ». Pourtant, je me souviens de la réaction, à la radio, d’une femme ministre que le journaliste avait appelée « Madame la Ministre », et qui avait tenu à ce qu’on l’appelle « Madame le Ministre », arguant du fait que Ministre était sa fonction, et qu’il fallait mettre cette fonction au masculin. Certes, on peut comprendre la réaction de cette dame si l’on pense qu’une maréchale ou une générale doit son titre à son mari. Et que faire lorsque l’on a deux sortes de générales : l’une qui est militaire et doit son grade à ses propres mérites, alors que l’autre est simplement l’épouse d’un général ? Comment marquer cette différence ? Qui appeler « Madame la générale » ? Ne vaut-il pas mieux réserver cette dénomination à celle qui l’est par elle-même ?

 

Réforme et évolution de la langue

 

Une langue est semblable à un être vivant. Elle naît, elle vit, elle évolue et meurt. Son évolution dépend de celle de la société qui la parle ou l’écrit. Comme pour un organisme vivant, on ne peut pas la faire évoluer de force. On ne peut en modifier le fonctionnement que par une lente évolution provoquée par les besoins de la société qui l’utilise. Dans le “manuel d’écriture inclusive “les auteurs répondent à “l’argument d’utilité : « C’est une question : accessoire ». La langue reflète la société et sa façon de penser le monde.. “ C’est vrai, mais si la langue reflète la société, ce n’est pas parce que l’on va la modifier que cela va automatiquement résoudre tous les problèmes de la société.

La langue a été l’objet de diverses attaques destinées à la simplifier pour nos chères têtes blondes. Cette intention nous a amené par exemple la simplification de l’accord du participe passé. Le politiquement correct nous a valu l’apparition de mots nouveaux destinés à apaiser les relations sociales. La caissière est désormais une « hôtesse de caisse », la femme de ménage une « technicienne de surface », les parents d’élèves des « géniteurs d’apprenants », les ballons des « référentiels bondissants », les handicapés des « personnes en situation de handicap », les aveugles des « non-voyants », les sourds des « malentendants ». Est-ce que toutes ces expressions ont changé quoi que ce soit à la situation des personnes qu’elles décrivent ? Ont-elles changé le regard de leurs contemporains ? Voyez le nombre de lieux publics inaccessibles aux personnes en situation de handicap, les voitures garées sur le trottoir par leur propriétaire égoïste, parti acheter des cigarettes, et qui empêchent de passer les personnes en fauteuil roulant, ou les parents avec leur poussette, voire des personnes âgées avec leur déambulateur. Tous doivent descendre du trottoir qui leur est pourtant réservé, contourner le véhicule en risquant leur vie sur la chaussée, contournés par les voitures qui leur passent au ras des fesses, et remonter sur le trottoir.

 

L’écriture inclusive

 

L’argument selon lequel la nouvelle règle encombrerait le texte est balayé d’un revers de main dans le Manuel d’écriture exclusive : “Non, les femmes n’encombrent pas le texte. “Or, il ne s’agit pas des femmes, mais de l’application des règles énoncées. Écrire “les professionn·elle·s“ ne facilite pas la tâche, surtout en cas d’accord :

« Les profession·el·le·s que j’ai consulté·e·s » risque d’être une difficulté supplémentaire pour des élèves qui ont déjà des problèmes avec l’accord. La méthode n’est pas claire. Faut-il écrire les “professionnels “quand ce sont des hommes, “les professionnelles “quand ce sont des femmes, et “ les professionn·el·le·s“ quand ce sont des femmes et des hommes, et que fait-on quand on ne connaît pas la composition du groupe ? Ou bien, pour simplifier le choix, ne devrait-on pas écrire “les professionn·el·le·s“ dans tous ces cas ? Et, soyons fous, pourquoi ne pas écrire systématiquement “professionnelles », et faire du féminin le pluriel universel, inversant le problème ? Ou encore faire comme pour la garde alternée des enfants de divorcés, une semaine tout au féminin, une semaine tout au masculin ?

Les promoteurs de cette réforme ont oublié une chose : c’est qu’une langue, comme son nom l’indique, est avant tout parlée. Les enfants qui apprennent à écrire savent déjà parler. Certaines personnes n’écrivent jamais et communiquent seulement par oral. La question est de savoir comment lire les textes écrits de cette manière, à haute voix et surtout, comment on va parler, comment on va pouvoir dire une phrase contenant « Les profession·el·le·s que j’ai consulté·e·s » de façon que l’on entende les féminins, alors qu’on ne les entendrait pas dans « les professionnelles que j’ai consultées ». Ainsi, le français écrit, qui n’est déjà pas simple, s’éloignera-t-il encore plus de l’oral, ce qui va creuser un peu plus le fossé entre les enfants des nantis et ceux des personnes défavorisées.

 

Le genre et le sexe

 

Il ne faut pas confondre sexe et genre. Le sexe dépend de nos chromosomes, XX pour les femmes, XY pour les hommes. Le genre est strictement grammatical. Ce n’est pas parce que l’on empile une chaise (féminin) sur un fauteuil (masculin) que l’on peut envisager leur reproduction sexuée, permettant d’ouvrir une fabrique de sièges. En général, lorsqu’il s’agit d’humains, le sexe et le genre coïncident (un étudiant, une étudiante). Mais il arrive que certains termes féminins désignent des hommes. Une personne peut être un homme. Une recrue, appelée par l’armée pour aller faire la guerre, était le plus souvent un homme. Une sentinelle, la personne qui monte la garde devant une caserne, était plutôt un homme. Ce n’est que depuis Vigipirate que l’on voit des femmes sentinelles qui protègent des bâtiments publics. L’homme, aussi bien que la femme, est une créature, et une victime en cas d’accident. Il semblerait que cela ne gêne pas les hommes de se retrouver dans un groupe féminin.

 

Le problème reste entier pour nos amies les bêtes. Un animal qui miaule est reconnu comme un chat. Mais si on le regarde de plus près, on découvrira peut-être que c’est une femelle. En revanche la girafe peut-être un mâle, comme la souris, la tortue ou la panthère. À quand une loi végane qui nous obligerait à tenir compte du masculin et du féminin chez les animaux ?

 

Nécessité d’une évolution de la société.

 

Si l’on veut que les choses évoluent, c’est donc plutôt par la société qu’il faut commencer, et laisser la langue suivre son évolution naturelle. On pourrait déjà commencer par les professions qui n’ont pas de féminin, alors qu’elles sont souvent exercées par des femmes.

Nous avons en France une Académie française, dont l’une des fonctions est de faire un dictionnaire. Qu’attend-elle donc pour faire une liste cohérente des noms de profession, pour nous éviter d’avoir à choisir entre les auteures ou auteuses, voire autoresses ?

 

Le masculin l’emporte-t-il vraiment sur le féminin ?

 

J’ai enseigné le français langue étrangère à l’université libre de Berlin pendant plus de 31 ans. Un jour, une étudiante s’est plainte de la misogynie de la langue française, pour laquelle « le masculin l’emporterait sur le féminin ». Je lui ai alors proposé d’envisager le problème sous un autre angle. Lorsqu’on fait des croissants pur beurre, on ne met que du beurre. Si on y ajoute de la margarine, quel qu’en soit le pourcentage, on ne peut plus dire que notre croissant soit encore « pur beurre », et on n’a plus le droit de le qualifier ainsi. La dénomination « pur beurre » n’est donc valable que pour les 100%. De même pour le féminin. Si tout le groupe est féminin, on emploie le féminin. Mais s’il y a une impureté, on ne peut plus le mettre au féminin. On le met alors au masculin par défaut.

Avec une telle explication, on court-circuite le triomphalisme masculin, et on est beaucoup plus près de la réalité. Quoi qu’en disent les féministes, le masculin, par son absence de terminaison propre (pas de e), est considéré comme une valeur par défaut. Le masculin est en réalité un non-féminin, en particulier en ce qui concerne les groupes d’individus. 

 

Une réforme, mais laquelle

 

Il faut éviter les réformes irréfléchies, qui, pour résoudre un problème, en créent plusieurs autres. En revanche, il faut faire un effort sur la réalisation dans les faits, et au quotidien, de l’égalité entre les hommes et les femmes. Il faut lutter contre le sexisme, tout en évitant l’amalgame : la plupart des hommes respectent les femmes, ne font pas devant elles des plaisanteries grivoises, n’essaient pas de leur imposer par la force ou par l’intimidation, des relations sexuelles. Il faut en outre que tous les hommes respectent les femmes, qu’ils prennent leur part des travaux domestiques et de l’éducation de leurs enfants. C’est à ce prix que l’on arrivera à une évolution paisible de notre société vers l’égalité.

 

Nous n’avons pas besoin des hommes.

 

Une dernière anecdote pour réfléchir. Dans le courrier des lecteurs du magazine allemand Stern, on pouvait lire il y a quelques années une lettre envoyée par un homme qui racontait qu’en promenant son chien, il avait rencontré l’avocate féministe Alice S. qui promenait le sien. Il s’est approché de l’avocate pour lui dire toute l’admiration qu’il avait pour elle, son combat pour la cause féminine, et la revue féministe dont elle était la fondatrice et la rédactrice en chef. Celle-ci, sans lui répondre, se retourna, tira sur la laisse, et dit à haute et intelligible voix : « Viens, Fifi, nous n’avons pas besoin des hommes. » Sans commentaire.


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11 réactions à cet article    


  • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 8 décembre 2017 09:17

     « Viens, Fifi, nous n’avons pas besoin des hommes. »


    Un commentaire quand même : c’est exactement le genre de chose sympathique qui fonde la campagne partie avec l’affaire Weinstein sur le « harcèlement sexuel » et la manip « balancetonporc ». Fifi et sa vieille peau doivent se délecter dans le boudoir de Madame.

    • francois 8 décembre 2017 09:32

      @Jeussey de Sourcesûre
      Le plagieur en plus réclame le droit de cuissage.


      La vieillesse est un naufrage.

    • pipiou 8 décembre 2017 10:14

      @Jeussey de Sourcesûre
      C’est sûr que violer une femme c’est pas plus grave que violer une règle d’accord ...


    • francois 8 décembre 2017 09:34

      "Il s’est approché de l’avocate pour l... Viens, Fifi, nous n’avons pas besoin des hommes. » Sans commentaire


      Où comment un fait particulier devient un cas général.
      Le level est bas ici.

      • Crab2 8 décembre 2017 11:12
        L’écriture inclusive

        L’écriture inclusive est au féminisme ce quune théocratie est à la liberté de la penséeCRAB

        https://laicite-moderne.blogspot.fr/2017/11/lecriture-inclusive.html


        • si nick 8 décembre 2017 20:06
          « La langue française est menacée »
          Johnny n’est plus.
          La menace est moindre... ?

          • mmbbb 9 décembre 2017 08:30

            @si nick c’est assez minable


          • L'enfoiré L’enfoiré 8 décembre 2017 20:15

            La langue française est menacée... de disparition si l’Afrique n’existait pas.
            Pourquoi ?
            Parce qu’elle est trop difficile.
            Dans « All inclusive », je l’explique en une ou deux lignes.

            L’anglais est la langue qui mérite la palme de l’écriture de la facilité et du pragmatisme en ne recherchant pas le sexe des anges.

            « The », « he/she » , « him/her », « it/you »...et en ne colportant pas le genre au travers des mots dans les phrases par souci de liaison.


            • PhilippeDu92 PhilippeDu92 9 décembre 2017 01:18

              Merci pour ce moment. De lecture.


              • mmbbb 9 décembre 2017 08:37

                Cavanna le disait la langue francaise est une belle langue mais elle a ete exagérément compliquée par les cuistres . La France ne rayonne plus il est évident que sa langue ne soit plus universelle ( langue des ambassadeurs ) comme elle le fut . Non seulement nous parlons mal notre langue vernaculaire mais les francais jargonnent en anglais Beaucoup habitants d autres pays maitrisent au moins l anglais à minima. Un comble


                • Ernest 10 décembre 2017 14:17

                  Inutile de falsifier le réel pour les besoins de votre caricature en écrivant « ayatollah.e.s  ». L’ayatollah est une espèce strictement masculine.

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