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La leçon des fleurs

La terre évacuait son humidité en tourbillons de fumée s’échappant des fraîches cicatrices, entailles des labours. Sous la charpente de l’abri à bois, la rosée avait déposé un collier de perles sur l’écrin d’une toile d’araignée. L’arachnide engourdi dans son sommeil restait figé comme fossilisé. Ce matin le temps s’était arrêté identique à un lourd après-midi d’été. Je m’installais au volant et démarrais la vieille Twingo direction la jardinerie. À l’écart du village, dans un champ en friche, des squatters évangéliques avaient garé leurs caravanes autour d’un chapiteau. Une curiosité taquine et un planning allégé me poussèrent à faire une halte introspective afin de comprendre la cause de cet attroupement.

Une foule est là, rassemblée à écouter les conneries d’un prêcheur en délire mystique dont les propos mégaphoniques contredisent toutes les lois de la physique. Encore une fois la vérité n’est pas fonction du volume sonore. Ce genre de type pourrait filer la migraine à un cachet d’aspirine. Le ton de ses incantations se veut hypnotique et intime la soumission sans raison. La profondeur insondable de son manque de culture pélagienne ferait passer le naufrage du Titanic pour un accident de pédalo. Quant à la foule, elle illustre parfaitement cette époque stérile. Le niveau de QI des participants à cette petite sauterie œcuménique doit être au mieux stagnant. Une chose est garantie ici, personne ne va fissurer l’atome  ! Transfert de la peur et de la haine de soi vers un guide qui fait autorité, son efficacité est proportionnelle au niveau de certitude qu’il peut projeter. Tous ces corps immobiles tellement sûrs d’avoir été autre chose que la somme de leurs pulsions. Toutes ces agitations inutiles, âmes fatiguées, collision entre désirs et ignorance. La religion est un virus de la parole qui réécrit les circuits, corsète la pensée et anesthésie l’esprit critique. La certitude génétique que les choses vont s’arranger si vous souffrez ici et maintenant pour être heureux après et ailleurs, quelle arnaque  ! L’erreur anthologique que vendent les prédicateurs et les psys avec eux comme quoi il y a une lumière au bout du tunnel, ils encouragent votre capacité à croire aux mirages et ils ont le culot de vous dire que c’est une vertu. Procréez et multipliez-vous préconisent-ils. En fin de compte, il faut un sacré paquet d’orgueil dans ce monde surpeuplé et au bord de l’épuisement pour tirer une âme de son néant, la condamner à la prison d’un corps physique et l’obliger à vivre dans cet enfer qui empire de jour en jour grâce à la connerie humaine. Finalement, en ne naissant pas, les enfants nous délivrent du péché d’être père. La naissance cette injustice originelle que seul le trépas peut réparer. Ce calme que l’humanité recherche depuis qu’elle a eu la mauvaise idée d’entrer dans l’histoire. De l’autre côté, on prétend avoir déchiffré le monde dans les matins profonds. On a la prétention de comprendre la marche de l’univers, l’ordre des planètes sans télescope et celui des atomes sans microscope. Le côté narcissique et égocentrique est typique de cette génération d’esprits manipulés qui entretiennent une médiocrité intellectuelle abyssale que le monde n’a jamais connue depuis le moyen âge. Dire que cet imbécile de Malraux prophétisait un siècle hautement spirituel. L’humain est un parasite chaotique, imprévisible, aux actes irréversibles. Demi-tour, je continue ma route, le prédicateur m’a convaincu : toutes les religions sont des réponses stupides aux questions stupides et aucune religion n’a pu réconcilier le riche et le pauvre. La gnose, une vérité universelle supérieure aux religions, au-delà même de la grande famille du pourpre et du crucifix, de la mosquée et du turban, du shabbat et de la kippa… Nous sommes sommés d’être tolérants avec les intolérants. Dostoïevski l’avait déjà prédit : «  La tolérance atteindra un tel niveau que les personnes intelligentes seront interdites de toutes réflexions afin de ne pas offenser les imbéciles  ».

Arrivé dans l’espace verdure et culture, un rêveur passionné m’explique la vie végétale et sa magie pollinisatrice. Ce qu’il y a de merveilleux c’est que chacune de ces fleurs à un rapport spécifique à l’insecte qui va la féconder. Il y a certaines fleurs qui ressemblent à certains insectes, ce qui fait que l’insecte est attiré par cette fleur. C’est son double, son âme sœur et ce qu’il veut plus que tout c’est lui faire l’amour et puis il s’envole, il repère une autre fleur âme sœur et il lui fait l’amour et ainsi il la féconde. Et ni la fleur ni l’insecte ne comprendront un jour le sens de leur rapport sexuel. Et comment sauraient-ils que leur petite danse fait vivre le monde, pourtant c’est le cas. En faisant simplement ce pour quoi ils ont été conçus, ils produisent quelque chose de grand et de magnifique. En un sens ils nous montrent comment vivre et le seul baromètre que nous ayons est notre cœur. Comment une fois qu’on a trouvé sa fleur rien ne doit plus pouvoir nous arrêter, car on découvre enfin ce que l’on peut ressentir quand on aime passionnément. Dans cet instant de grâce tout le reste semble s’éclipser et le plus grand des fantasmes devient réalité… Il en va de même pour ces femmes que l’on croise. Une ressemble à une institutrice, une ressemble à une gymnaste, une ressemble à cette fille au lycée qui avait la peau si veloutée, une ressemble à une intellectuelle parisienne avec qui on fait des mots croisés au lit, une ressemble à une reine de beauté corse, une a des yeux qui dansent, une a des yeux qui contiennent toute la tristesse du monde et enfin, la femme unique qui est la symbiose de toutes les précédentes, celle qui aime, qui sauve, supporte et soigne avec ses petites mains de fée.

Douter, chercher, être mutable, car c’est par l’adaptation qu’on évolue dans ce monde, il y a tellement de direction à suivre que j’ai commencé à croire que la raison d’aimer passionnément quelque chose réduit le monde à des dimensions plus faciles à gérer. La plupart des gens aspirent à quelque chose d’exceptionnel et sont prêts à tout risquer pour cette passion, mais bien peu d’entre eux passent à l’acte. Parfois l’impression grisante d’être maître de sa destinée, mais la vérité c’est que l’on ne maîtrise rien, notre seule liberté se résume à faire des choix alors, le changement se produit et on devient différent. C’est sans doute cela notre pacte existentiel avec l’éternité. Fantasmer sur la vie de ses idoles en oubliant d’accomplir la sienne, jouer un personnage au détriment du naturel d’être soi-même, c’est noyer son âme et son esprit dans une illusion qu’on pense meilleure. L’existence est un test, un spectacle, un apprentissage ou les plus grands acteurs restent fidèles à leur ego qu’ils domestiquent sur le parcours. Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, tout talent a ses faiblesses, mais il est aussi important d’avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue quand on les poursuit… Bras tendus, mains ouvertes et à l’écoute des souffrances de ses congénères, cela ne veut pas dire courber l’échine devant les egos destructeurs mais rechercher sans cesse la vérité, fuir les imbéciles persuadés de l’avoir déjà trouvé. Le chemin de l’éveil est peut-être à ce prix. Comme me disait un praticien Suisse : « Une pomme par jour éloigne le médecin, pourvu que l’on vise bien… »

Acceptons notre ignorance, chevauchons la petite aiguille des horloges et laissons-nous guider. Le temps, quelle énigme, quel labyrinthe. C’est quelque chose d’impalpable, d’inimaginable, d’inconcevable jusqu’à l’inexistence. C’est l’image mobile de l’éternité. C’est ce qui nous permet de dire que nous sommes, que nous avons été et que nous serons peut-être. Insérer notre volonté dans le temps c’est ce que l’on nomme liberté. Le présent c’est le stable éphémère, la photographie du mouvement, le cliché du vivant. C’est l’éclair fugace de la dernière frappe sur mon clavier pour accoucher d’une action qui devient aussitôt fantôme du passé… Bientôt la fin, presque plus de grain dans le sablier de cette civilisation. L’anéantissement d’un monde équivaut au soupir, au mieux à un battement de paupière de l’éternité. L’humanité est une morphologie qui n’a pas plus de but et de plan qu’un papillon ou qu’une orchidée…


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7 réactions à cet article    


  • SilentArrow 12 décembre 2023 15:03

    @Gabriel

    Très beau texte.


    • Gabriel Gabriel 13 décembre 2023 18:13

      @SilentArrow
      Merci pour le temps que vous avez consacré à sa lecture.


    • Mohammed-Salah ZELICHE Mohammed-Salah ZELICHE 13 décembre 2023 18:07

      Bonsoir Gabriel,

      Toujours à faire de beaux textes ? Il fut un temps où je lisais tous vos textes. Le littéraire domine chez vous. Et ce n’est pas pour me déplaire. Vous faites partie du meilleur du paysage d’Agoravox. Et sans doute le resteriez-vous encore et encore. Continuez à affiner votre plume. Bon vent à vos aspirations ! 


      • Gabriel Gabriel 13 décembre 2023 18:12

        @Mohammed-Salah ZELICHE
        Merci de vos lectures et de vos avis.


      • Astrolabe Astrolabe 13 décembre 2023 18:23

        M’étant promis de ne plus intervenir au sein de cette agora en mort cérébrale car sans cap, ce texte magnifique me fait donc changer d’avis.

        Ciselé, ce billet est une merveille d’ébénisterie, voire de marqueterie de mots (maux ?)

        Tout en paraissant assez fluide et simple à faire, cela demande travail et persévérance.

        Une seule remarque néanmoins (qui n’enlève rien du tout au reste) : la citation n’est pas de Dostoïevski.

        Mais elle collait si bien à cet endroit

        À bientôt peut-être..


        • Gabriel Gabriel 13 décembre 2023 18:38

          @Astrolabe
          C’est exact, après vérification et bien qu’on lui en donne la paternité elle n’est pas de lui à priori. J’en ignore l’origine réelle mais il semble que la genèse de cette remarquable et visionnaire réflexion soit tout de même d’origine Russe. Merci de votre remarque.


        • Gabriel Gabriel 15 décembre 2023 08:41

          @eau-mission

          Choisir c’est l’agonie de l’option écartée et un nouveau saut du nid pour le chemin opté. Spirale merveilleuse ou infernale  ? Comment répondre à la question alors que la réponse est ailleurs dans le chapeau sous le lapin  ? Courir pour atteindre l’horizon, vouloir capter la rivière dans un seau, écrire et lire jusqu’à l’usure des mots, quand la plume se brise on devient l’horizon, on devient la rivière et le lapin dans le chapeau retourne au pays d’Apollon…

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