De l'autre côté du conflit européen, le Japon avait provoqué les Etats-Unis à Pearl Harbor (voir les deux articles que j'ai consacré à l'événement) en pensant que son isolationnisme lui interdirait de se mêler des affaires japonaises dans le Pacifique, et avait réussi un coup de maître, car à l'époque des faits la machine de guerre industrielle américaine n'existait pas, ou tout comme. Seulement voilà, le calcul risqué des japonais à Pear Harbor s'est avéré faux. En trois années seulement les Etats-Unis vont renverser la donne, en produisant notamment des avions extrêmement performants et robustes, basés sur des principes simples et de gros moteurs, sinon des moteurs monstrueux. La suite on la connait, elle se terminera de la manière que l'on sait à Nagasaki. Mais il y aura une autre suite à la seconde guerre mondiale : des stocks faramineux à gérer ou à réemployer, mais aussi une industrie à maintenir pour sauvegarder des emplois. Au sortir de la guerre l'engrenage néfaste de l'économie américaine est pris : face à l'ours russe, les américains fabriqueront une guerre d'escalade perpétuelle qui aboutira à la la plus grande gabegie militaire jamais faite : celle de la Guerre Froide. Retour sur cette mise en place d'une industrie qu'Eisenhower lui-même finira par trouver dangereuse...
"
Le Japon n'est pas une puissance aérienne" clamait encore en janvier 1941 la revue américaine "
Flying and Popular Aviation. "
On peut se demander pourquoi les avions militaires japonais sont si peu nombreux et si médiocres comparés à ceux des autres puissances. Une raison majeure est le fait que l'aviation civile est à un stade de développement extraordinairement faible. Dans les autres pays, en particulier aux États-Unis, une industrie aéronautique fondée sur les services de transport et d'affrètement, ainsi que sur les vols privés, a permis de préparer le terrain à la future expansion dans le domaine militaire, (..) Mais il existe toute une série de raisons encore plus déterminantes. Il faut se rappeler que le Japon est arrivé tard sur la scène industrielle moderne. L'expérience des Japonais en matière de dispositifs mécaniques est assurément limitée. Ils se contentent généralement d'imiter ce qu'ont fait les autres. À cela ils excellent, mais les talents d'imitation ne servent pas à grand chose dans le domaine aéronautique. D'une part, les découvertes aéronautiques sont les mieux protégées de toutes, et tout ce qu'obtiennent les Japonais par l'imitation est vieux de trois ans. D'autre part, les avions les Japonais par l'imitation est vieux de trois ans. D'autre part, les avions étant les machines existantes les plus compliquées et les plus sophistiquées, il faut un certain degré d'ingéniosité naturelle pour les faire fonctionner, même quand on en a les plans. Enfin, l'outil de production japonais, avec de petites unités n'employant qu'un nombre réduit d'ouvriers semi-qualifiés, n'est pas adapté au haut degré de précision qu'exigent les avions (...)"En résumé, on peut dire que l'armée de l'air japonaise est adaptée à la tâche qui lui a été assignée jusqu'à présent, mais elle ne sera pas à la hauteur en cas de conflit avec l'un de ses principaux adversaires, les États-Unis ou l'URSS (in Le Fana de l'aviation, Hors-Série N°2, juin 1995)." Comme quoi aux Etats-Unis ils s'étaient bien trompés, et comme quoi Pearl Harbor, dans ce contexte de supériorité affichée se comprend bien comme une colossale surprise. On aura noté le "
les découvertes aéronautiques sont les mieux protégées de toutes", qui sonne bizarrement après ce qu'on apprendra bientôt dans un futur épisode, un peu de patience) ...
Les américains n'étaient pas davantage préparés que les japonais à la guerre aérienne pourtant. Pendant toute l'année 1942, le célèbre Zero et ses collègues firent des ravages sur les avions américains largement inférieurs. La raison en était simple : les généraux américains, dans les années 30, ne croyaient tout simplement pas à l'aviation de combat et n'en n'avaient donc pas construits ! Pourtant ils auraient pu : les USA ont su faire avant tout le monde des avions de transport de passagers légers et rapides. En 1934, le
Lockheed Orion, à train rentrant, ou le Northrop-
Lockheed Vega avec lequel
Amelia Erheart va rééditer l'exploit de Lindbergh vont alors plus vite que les avions de chasse européens ! Le
Northrop Vega de Jacqueline Cochran idem : piloté par Howard Hughes, il remporta le record de vitesse de traversée des Usa d’ouest en est en neuf heures et vingt-sept minutes, le 13 janvier 1936
.. Une course célèbre va révéler cette avancée : celle de Mildenhall-Melbourne, remportée pourtant par un anglais, le fabuleux
Comet 88 (imité par le
Caudron C-640). Mais le Douglas DC-2 et le Boein 247, deux gros avions de transport commerciaux, se classent deuxième et troisième de la course ! Des avions de transport avancés, mais ni bombardier ni chasseur à l'horizon : où s'il y en a dans les cartons, c'est dans une optique défensive, et s'il y a
des porte-avions, ils transportent...
des biplans. Nulle part on ne parle de supériorité armée aérienne. Le choc de Pearl Harbor n'en sera que plus grand, on l'a vu ici-même.
Entretemps, l'Allemagne a bondi sur le développement de l'aviation qui est le fer de lance de sa Blitzkrieg. Le Messerschmitt 109 vole dès le 23 septembre 1936, et présente les principes dont vont s'inspirer tout le monde : à savoir un moteur puissant, une charge alaire élevée et des dispositifs hyersustentateurs évolués pour se poser sans encombre. La France et l'Angleterre, dans le domaine, sont très en retard... et ont donc commandé en 1938 pas moins de 10 848 avions aux américains : ce sont ces deux pays qui vont pousser la production dans ses ultimes retranchements (et payer les entreprises US !) : quand Roosevelt, effrayé par le nazisme ; exigera de produire 50 000 avions annuels, les USA ne savaient alors en fabriquer à peine plus de 2000 par an... En 1942, on en sera déjà à près de 13 000. Mais en 1943 les chiffres deviendront vertigineux : c'est l'incroyable machine industrielle américaine qui sera la vraie gagnante de cette guerre. Le pays devient un gigantesque garage à avions. Toutes les entreprises d'aviation vont multiplier leurs emplois par plus de 5. Au milieu de 1943, il y a déjà près de 100 000 travailleurs chez Lockheed, dont
la moitié de femmes, et dans l'industrie aéronautique américaine le chiffre atteint 2 300 000 salariés au total. Les constructeurs autos, mis à contribution imposent leur façon de faire : les avions cessent d'être des produits artisanaux pour se glisser dans des
chaînes gigantesques de production. Les
bombardiers et les
chasseurs sont fabriqués
à la chaîne et ça, c'est une
véritable révolution. Industrielle. Ce seront les avions de Ford, en quelque sorte.
La révolution américaine en matière d'aviation sera avant tout aussi celle des moteurs, les moteurs en étoile notamment.
Lindbergh devait son exploit de 1927 à un petit
Wright J-5 Whirlwind, de 220 chevaux seulement, qu'un génie de la mécanique, Frederick Rentschler, aidé du mécanicien Leonard Hobbs, se mit en tête d'améliorer en un
R-1340 Wasp, au sein de la société qu'il avait fondé, Pratt & Whitney. 400 ch pour 300 kg, c'était déjà un bel exploit pour l'époque. Les améliorations portaient sur le refroidissement des culasses, et le carter moteur tous deux en alliage d’aluminium, pour alléger le moteur, et un vilebrequin en deux parties permettant une bielle maîtresse en un seul élément. Résultat, l'engin tournait sans peine à 1 900 tr/min... après le Wasp vint le Hornet, plus puissant, et l'idée de mettre deux rangées de cylindre au lieu d'une : le Twin Wasp était né. Vinrent ensuite le R-1535
Twin Wasp junior, puis le R-1830 Twin Wasp, qui affichaient donc 14 cylindres. En 1935, avec son Hughes H-1 Racer
Howard Hughes franchit la barre des 556 km/h avant de de poser en catastrophe dans
un champ de betteraves... la double rangée donna des idées à tout le monde : pour beaucoup,
le moteur
Nakajima Sakae du Zero, lui aussi un radial double étoile, était une pâle copie du Pratt & Whitney. C'est une évidence en tout cas. Devenu incontournable, le Twin Wasp fut produit à 173 618 exemplaires au total, sur 89 types d'avions différents, chiffre absolument démentiel !
Le double rangée de cylindres au point, Rentschler et Hobbs cherchèrent alors à la faire monter encore davantage en puissance. Pour cela, il fallait avoir recours à un compresseur, inventé par le français
Auguste Rateau pendant la guerre 14-18. En 1939, ils testent un
Curtiss P-36 (dessiné par
Donovan Berlin
) muni d'un R-1830 avec turbocompresseur à deux étages, produisant 1 050 chevaux à 6 850 mètres d'altitude : c'est cinq fois déjà la puissance du moteur de Lindbergh !
La France en achètera (sous le nom de P-75, sans compresseur) et à Pearl Harbour les quatre qui décolleront abattront... deux Nakajima B5N. L'engin ne fera que progresser : un
Hawk 81 A en 1942 atteindra 626 km/h à 6 900 mètres, en grimpant jusqu’à 20 000 pieds en 7,54 minutes : dès cette année-là, les ingénieurs américains avaient gagné : ils pouvaient se permettre de fabriquer des avions très résistants, car blindés, qui volent haut et vite. Le sommet de l'évolution, le
Pratt&Whitney R-2800 atteindra 45,9 litres de cylindrées, pour fournir
2400 ch (plus de 10 fois le moteur de Lindbergh !) et équipera
notamment le Corsair. Au sortir de la guerre, on fera un avion de record dérivé équipé d'un quadruple Wasp (XR-2800) : un moteur justement surnommé l'épi de maïs ("
corn cob", justifié, à voir sa forme), avec ses... 28 cylindres, à partir de l'évolution ultime du Corsair, le F2G : seulement 5 avaient été construits à la fin de la guerre.
L'engin devint le
R-4360, monstre absolu des moteurs à pistons. Vraiment
démentiel, techniquement. : 28 cylindres et 56 bougies (un cauchemar à changer !), 71,5 litres de cylindrée, 4300 ch avec compresseur, un poids de 1700 kg, etc... Ce fut le moteur du B-36 et du magnifique (et tragique)
XF-11 de Hughes. La guerre aérienne sera en fait gagnée par ses monstres et ses compresseurs, qui parfois comme sur le
Thunderbolt occuperont un espace conséquent...
Mécaniquement, cet avion, le P-47, muni d'un énorme compresseur, est en effet fort représentatif, sinon le plus représentatif, des
méthodes américaines de fabrication, avec son aile dessinée par A. Kartveli pour le
Republic SEV-3. Celle aussi du
précurseur Lancer P-43, descendant du
Seversky... A partir d'un avion raté, car largement sous motorisé, les techniciens US vont faire une merveille, à force d'obstination. Pour faciliter la construction, le fuselage est fait comme la carrosserie des automobiles : c'est un semi-monocoque, fabriqué en
deux morceaux séparés
horizontalement, avec
le cône de queue rajouté.
L'armée américaine, qui ne voulait pas entendre parler d'appui-feu, avec cet engin massif (il pèse plus de 8 tonnes à pleine charge, soit 3,2 fois le poids d'un Zero chargé, et possède un
blindage de trois épaisseurs de 25 mm derrière le siège du pilote !) avait trouvé l'outil rêvé : surnommé le
Jug, l'abréviation de
Juggernaut (un
guerrier mythique
implacable, mais en anglais ça signifie aussi une cruche !), le P-47 joua aux
enclumes volantes muni de ses
8 canons de 12,7 à partir de mai 1942, et sa première mission de combat eut lieu le 10 mars 1943 (en France). Un réel succès, il en fut fabriqué à 15 660 exemplaires... ce sera le plus construit de tous les temps (tout le monde pense que c'est le P-51 qui atteint quand même les
15 586 au total !). En comparaison, le Zero fut construit à 10 425 appareils (3 880 par Mitsubishi et 6 545 par Nakajima). Les P-47, à la fin de la guerre, ont abattu 3752 avions adverses.
En dehors des chasseurs, c'est la taille de
s bombardiers US, permise par la puissance des moteurs, qui devint l'un des arguments forts de la victoire finale : le symbole évident étant le B-29. Appareil de tous les superlatifs,
le B-29 qui larguera les deux bombes nucléaires est le second symbole de cette supériorité aérienne acquise en à peine trois années. Il répondait en fait à un cahier des charges établi en janvier 1940, jugé alors fort présomptueux, exigeant une vitesse maximale de 675 km/h, un rayon d'action de 6000 km et la capacité d'emporter 9071 kg (20.000 livres) de bombes.
L'appareil rentre en effet en service en septembre 1943, un an après le vol du XB-29 expérimental, et marque des points tout de suite : pressurisé, il vole tellement haut que la chasse nippone ne peut l'atteindre. Il n'est pas sans défauts pourtant : son point faible essentiel étant ... ses moteurs !
Plusieurs missions de bombardemtnt seront annulées en raison ce leur manque de fiabilité, qui perdure jusqu'aujourd"hui : le seul en vol encore, "Fifi" de la Confederare Air Force, revenu en meeting cet été après 4 années de travaux est déjà en train d"en changer un. L'avion est inaccessible à la plupart des chasseurs japonais car son plafond pratique est en effet de 9 695 mètres ! L'avion compte dans cette suprématie, mais aussi l
'infrastructure qui va avec : pour faire décoller un B-29 il faut de très
longues pistes en dur, malgré ses remarquables volets Fowler, et cet appareil ne sera rien sans ces
pistes durcies qu'on va lui construire
dans tout le Pacifique. L'engin à pleine charge monte à 60 tonnes
! Les divisions de Génie américaines seront en fait la véritable explication du
succès dans le Pacifique des armées US. L'arme suprême des USA dans le Pacifique ? La voici, donc : ce n'est ni le P-51 ni le B-29, c'est tout simplement l
e rouleau compresseur !
Fabriquer de
longues pistes de macadam, pour leurs lourds avions, bombardiers comme chasseurs, construire des dépôts d"essence pour ses gouffres à kérosène, voilà ce qui a permis la victoire ! Transformer le moindre bout d'atoll du Pacifique en longue piste d'atterrissage, voilà aussi la clé du succès dans le Pacifique. On ne peut trouver meilleure explication en effet : le Japon sera
laminé, écrasé, broyé, dans tous les
sens du terme par une machine de guerre industrielle devenue gigantesque. Et par la-même, d'une certaine manière devenue folle. Les américains avaient fait un effort incommensurable, mais il fallait maintenant gérer des stocks, et ne pas mettre tout le monde au chômage.
L'industrie américaine, pour survivre dans les années qui suivront, se devra de trouver d'autres guerres. Elle n'a jamais cessé depuis.
Sur le P-47, cette excellente série avec l'as Ken Dalbherg et l'incroyable attaque qu'a subie le 14 juin 1944 George Sutcliffe (40 Me 109 contre 4 Thunderbolts), mitraillé à plusieurs reprises par un avion allemand.
pour le "darwinisme" des modèles Republic du SEV jusqu'au Thunderbolt c'est ici :
Le remarquable documentaire de 25 minutes cité à deux reprises sur la Guerre du Pacifique, notable pour ses infos, est visible ici. Il montre surtout l'organisation des bombardements. Ce qui va préfigurer le futur SAC de LeMay, en fait, visible dans le reportage. Vraiment indispensable pour comprendre les faits et les bombardements massifs des "avions géants" comme il est dit dans le commentaire. A noter qu'il parle "d'objectifs militaires" et se retrouve gêné pour parler des victimes civiles du bombardement de Tokyo, évoqué quand même.
L'autre dédié au B-29 vaut tout autant le détour. Tout y est revu, dont la machine industrielle pour arriver à fabriquer en masse pareil monstre. Remarquable, également et très pédagogique.
Dans la même série, celui du P-47 est tout aussi passionnant :