On a déjà tout dit ou presque de l'héritage technologique allemand qui a suivi la guerre (et encore, je pense qu'on va y revenir, car il y a matière !). En aviation, par exemple, avec les russes et les américains qui vont piller les découvertes des ingénieurs nazis pour faire faire des bons de géants à leur pays. Dans un nombre important de domaines, tels que l'aile en flèche du Messerschmitt (devenue Sabre et Mig 15) ou celle à à flèche variable, le prototype allemand de Messershmitt P.1011 devenu Bell X-5, l'aile delta chère à Lippisch devenue aile de Loockheed XF-92, ou de Mig 21 chez les russes, ou même encore de l'aile volante des frères Horten qui influenceront tant Northrop, et jusqu'au domaine du vol vertical auquel songeaient aussi les allemands. A ce sujet, un engin intrigue, mais il est... français. C'est le Coléoptère, avion surprenant avec son aile annulaire qui malheureusement ne connaîtra pas la gloire. Or ce drôle d'engin nous mène à tout autre chose, aujourd'hui...
A la base du développement du Coléoptère, une sorte de réacteur volant posé verticalement, un des projets signés
ATAR, la firme française de réacteurs formée juste après la guerre qui équipera les Mirages (avant de devenir la SNECMA). Un sigle qui contient en lui-même son origine : il signifiait d'Atelier Technique Aéronautique de Rickenbach, société créée en octobre 1945 par... Hermann Östrich. L'homme chargé en 1938 par Hilter en personne de réaliser le premier réacteur au monde, celui imaginé par
Hans Pabst von Ohain. Dans sa licence BMW, à Berlin-Spandau.
Celui qui équipait le petit Heinkel He-162 Salamander, (ou Volksjäger, le "chasseur du peuple") construit en
majeure partie en bois, sous l'appelation BMW 109-003E-1/ 2. Ostrïch dirigeant la Brandenburgische Motorenwerke (La
"Brandebourg Motor Works", d'où son appellation parfois de "Bramo")
Hermann Östrich, un homme
"emprunté" aux vainqueurs par les services secrets français... et Charles Tillon, ministre de l'Air en 1945... un nazi au service d'un ministre communiste, l'histoire ne manque pas de piquant. Surtout que notre homme va équiper après guerre les avions d'un certain Marcel Bloch, qui a connu le camp de concentration... de Buchenwald, après être passé par les camps d'internement de Montluc et de Drancy ! Pour ce qui est des communistes, alors tous dévolus à Staline, ceci explique cela :
"après la guerre, deux BMW-003s capturés ont alimenté les prototypes du premier jet soviétique, le Mikoyan-Gurevich MiG-9. Des modèles de moteurs BMW avaient été saisis par les forces soviétiques a l’usine de Balsdorf-Zülsdorf près de Berlin et transférer a Leningrad, où le moteur a été produit en masse à partir de 1947 sous la désignation RD-20 (reactivnyi dvigatel
, ou" moteur à réaction "). Bref, l'enfant d'Ostrïch est aussi devenu... soviétique !
Pour l'ingénieur allemand, qui travaillait désormais dans une usine souterraine, à Stassfurt, ce n'est pas l'opération Paperclip américaine qui l'exfiltrera, mais bien une opération française, que raconte ici l'Express :
"Mai 1945 : Stassfurt est envahi par les Américains, qui perçoivent rapidement l'intérêt du moteur BMW 003. Ils déménagent les équipes d'Oestrich à Munich et entament des négociations pour le transférer aux Etats-Unis avec 12 ingénieurs. Parmi eux, Hans-Georg Münzberg, un jeune thermodynamicien : « Moi, j'étais tenté par cette offre, mais Oestrich rêvait de poursuivre ses travaux avec une plus grande équipe », raconte ce Sudète âgé de 82 ans, à la mise impeccable, en recevant L'Express à la table d'un hôtel chic de Munich. Hasard ? En août 1945, un Français, ancien du STO, propose à Oestrich de le mettre discrètement en contact avec des Français. « Quelques jours plus tard, je prenais place dans une voiture réquisitionnée avec de fausses plaques d'immatriculation françaises, peintes en bleu-blanc-rouge, dira Oestrich. En atteignant le poste de contrôle (...), le conducteur présenta aux Américains des papiers spécialement établis pour moi : dangereux criminel de guerre, la France me réclamait pour expier mes crimes ! De là, nous avons roulé droit sur Paris. Au ministère de l'Air, on m'offrit un contrat régulier et tout le personnel que je voulais pour construire un moteur à réaction pour la France. J'ai accepté.Revenu en Allemagne, l'oiseau, que surveillent Américains et Britanniques, risque de s'envoler. Prenant les devants, un commando militaire français enlève Oestrich et une partie de son équipe en pleine nuit. Des camions bâchés les conduisent en zone française, à Lindau-Rickenbach".
Östrich (ou Oestrich) est en fait un
fieffé malin, qui ne restera pas longtemps à Rickenbach (sur les bords du lac de Constance) : il inaugurera dès la fin de la guerre le principe cher à Bill Gates de gagner davantage en jouant sur le nombre d'exemplaires vendus et non sur un contrat mirifique d'emblée :
"Le contrat définitif du « groupe O » avec l'Etat français est signé, pour cinq ans, le 25 avril 1946. C'est un pont d'or pour Oestrich. Il obtient - cas unique - une redevance sur la vente des futurs moteurs Atar. Rusé, il prélèvera même 2% du salaire de ses collaborateurs pour financer les dépôts de brevets à son nom ! En juillet 1946, le « groupe O » quitte Rickenbach, avec 38 wagons de matériels, pour s'installer dans le petit village de Decize (Nièvre). Le ministère de l'Air a choisi un endroit isolé, à la sortie du bourg, dans une ancienne caserne de gardes mobiles." Pressenti et approché par les anglais (il fera un voyageà Londres exprès), Ostrïch s'était allié au plus offrant ! C'est là qu'Ostrïch va continuer le développement de son moteur BMW 003... pour en arriver à un ATAR 101B, élaboré dès 1948 et qui vole pour la première fois sur Dassault Ouragan le 5 décembre 1951.
Une installation qui ne fut pas toujours facile, car Ostrïch vint en France avec toute son équipe..
et leurs familles allemandes respectives. Mais heureusement, le pouvoir en place allait lui faciliter la tâche... notamment, et c'est tout aussi surprenant, les communistes.
"Le transfert et l’installation s’effectuent souvent dans des conditions délicates. Aux difficultés matérielles, s’ajoutent des difficultés d’ordre psychologique : faire accepter par la population locale l’installation de 120 familles allemandes. Les difficultés psychologiques sont surmontées par l’intervention du parti communiste français auprès des municipalités concernées ; ainsi Jacques Duclos, dans un discours à Decize, en août 1946, déclare que " ceux qui critiqueraient l’installation des Allemands à Decize ne pouvaient être que des collaborateurs " peut on lire sur Stratisc.
Les Migs et les Yaks russes étant équipés eux aussi de dérivés de moteurs Bramo BMW ou de modèles Heinkel ; et le parti communiste français de l'époque étant stalinien, ceci explique cela en grande partie :
"Yakovlev et Mikoyan disposèrent de deux types de réacteurs : les Reaktinil Dvigatel qui n'étaient en fait que des Jumo 004B pour le RD-10 et BMW 003A pour le RD-20 rebaptisés pour la circonstance" note le pertinent
Aeostories. Ce qui serait découvert en France finira très certainement en URSS... Etonnante alliance, avec un ingénieur qui continuera directement les rêves des nazis, avec des projets directement issus des ateliers du Reich, notamment ceux sur les
ailes volantes. A Vernon, ce sont les spécialistes des fusées qui s'installent, recrutés par l'ancien officier SS Rolf Angel. Un site (allemand) parle à cet effet de
"Peenemünde français".
Le groupe d'ingénieurs allemands s'installe tout d'abord à Decize, puis à Villaroche (Seine-et-Marne). Et Östrich devient le responsable de la Snecma, une fois naturalisé français. Il peut sans complexe faire visiter son usine à des visiteurs parfois surprenants
. "Etonnants hasards de l'Histoire : le « groupe O » aura la visite d'un permanent CGT du comité d'entreprise de Voisin, du nom de Georges Marchais.
Et Hans-Georg Münzberg se rappelle qu'il allait jouer au tennis dans un club de Nevers : « J'y croisais un jeune député qui s'appelait François Mitterrand..." Son moteur ATAR 101, resucée évidente du BMW 003 choisi pour équiper le premier avion de chasse à réaction français, l'Ouragan, puis le Mystère II, il peut désormais pavoiser, mais en trois couleurs à la place d'une croix gammée ? Certains de ses compagnons s'installeront dans les pays qui achèteront plus tard les avions de Marcel Dassaut :
"certains iront travailler en Afrique du Sud, en Argentine ou en Egypte. Jusqu'en 1960, Oestrich veille sur ses moteurs Atar, qui vont équiper tous les chasseurs français : Vautour, Mystère, Etendard et Mirage. La direction technique de la Snecma est ensuite « francisée » au milieu des années 60. « C'est l'époque où nous terminions l'industrialisation des Atar 9 K du Mirage IV de la force de dissuasion française et lancions les études pour les moteurs de Concorde », explique Pierre André, un ancien ingénieur maison", persiste et signe l'Express, qui évoque "l'arrogance" de l'ancien nazi comme directeur de la firme française. Ailleurs, on note qu'il agît comme étant le patron d'une entreprise... allemande :
"les relations d’Herman Oestrich avec la direction technique de la SNECMA ne sont pas toujours très harmonieuses. Arguant de l’autorité que lui donne le contrat avec l’Etat, il ne rend pas compte, autant qu’il est tenu de le faire, de l’évolution des travaux de son Groupe qu’il considère comme " son " entreprise". Le contrat que lui a accordé l'Etat français lui permet bien des fantaisies, ou des fantasmes de pouvoir personnel, dont il ne se prive pas, semble-t-il. Quels-ont pu être ses relations avec Marcel Bloch, alias Dassault, rescapé des camps est un autre grand mystère...
Les projets allemands comportaient les esquisses de vol vertical, qu'Ostrïch avait donc perpétué à sa manière, avec un projet fou, celui du Coléoptère, véritable réacteur volant, doté d'une aile... annulaire. L'Atar classique est devenu beaucoup plus imposant avec sa "réchauffe" que n'avaient pas eu le temps d'installer les allemands (ils n'auraient pas eu l'essence non plus pour les alimenter !). L'engin, appelé
Coléoptère, fonctionnait, et même plutôt bien, avec son aile qui lui servait de réservoir, et se posait effectivement à la verticale, enfin, avait tenté de le faire : c'est son réacteur qui le lâchera le 25 juillet 1959, lors du 9ème vol, où l'appareil en tenant de passer au vol horizontal perdra tout contrôle, et blessant grièvement son pilote, Auguste Morel, qui avait réussi à s'éjecter in extremis. Le projet, très innovant, ne sera pas repris.
L'avion, par sa forme, avait été l'objet d'une énorme litttérature : pas un magazine qui n'en parle pas en 1958. Bien entendu, ma "bible" habituelle aussi. Sous la signature d T.H.Davis (qui signait aussi les croquis comme celui en bas de l'article, on a droit à un titre dithyrambique à propos du coléoptère
: "Une nouvelle Révolution française dans le Domaine de l'Aviation", suivi par un texte du même tonneau, pourrais-je dire à avoir en tête l'aile annulaire du fameux insecte de métal :
"L'histoire des débuts de l'aviation fourmille de noms français d'ingénieurs ou constructeurs aéronautiques tels que Voisin, Farman frères, Blériot, Bréguet, Nieuport et bien d'autres. D'après les études faites par les spécialistes de la propulsion aérienne au cours de la première guerre mondiale, les avions français étaient à cette époque parmi les meilleurs du monde". Nous dit Davis, parti dans une façon plutôt lucide de voir les dernières années écoulées :
"Mais, entre les deux grandes guerres, les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne se livrèrent à une course frénétique dans le domaine aérien, tandis que l'industrie française semblait être frappée par la léthargie. Dans les Salons de l'Aviation, les ingénieurs français exposaient toujours des modèles ultra-modernes, mais ceux-ci en restaient fresque toujours ait stade de modèle. La France avait une flotte aérienne très avancée... sur les planches à dessin, mais malheureusement, celle qui prenait réellement l'air était complètement périmée".
On en est donc en 1940, et la France va perdre... de sa superbe :
"Telle était la situation lorsqu'éclata la deuxième guerre mondiale et que les bombardiers en plongée allemands Stukas se mirent à rugir dans le ciel. Les Français n'avaient rien qui pût leur tenir tête, bien que les Stukas se révélèrent par la suite vulnérables aux attaques des avions de chasse modernes des États-Unis et de l'Angleterre. A la suite de la deuxième guerre mondiale, les dessinateurs aéronautiques français continuèrent à tracer des plans d'appareils d'une nature très moderne et même révolutionnaire, mais peu d'entre eux furent construits". Ce qui se tient toujours comme analyse, à tout peser. Mais on sent, selon notre rédacteur, un renouveau pointer, avec notamment l'engin doté du réacteur Atar :
"Dans les toutes dernières années cependant, on a pu remarquer les signes non équivoques d'un changement en France... peut-être la vague de fond d'une révolution aérienne. Le don d'invention et l'ingéniosité français continuent à se manifester au plus haut degré. De plus en plus, les prototypes français commencent à dépasser le stade du plan et du modèle, tandis que de nombreux appareils d'essai sont construits et volent expérimentalement." Et parmi ceux-ci bien sûr, nôtre fameux tonneau, qui s'écrasera le 25 juillet 1959 avec une bonne partie des ambitions françaises en aviation. De tous, seul Marcel Bloch devenu Dassault réussira à surnager. Notre fournisseur de réacteurs, lui, s'en tirant plutôt très bien, dans le naufrage des années 60 (et la fin des nombreuses sociétés d'aviation françaises, dont Bréguet... tout en restant bien mystérieux.
Un directeur d'entreprise nationale qui aujourd'hui encore demeure une énigme véritable, car lors de cette "francisation" de l'entreprise, qui lui vaut au passage de recevoir la légion d'honneur, Östrich avait touché le jackpot en étant... indemnisé, via le rachat par l'Etat français
de ses propres brevets. Un comble. "Curiosité" note encore l'Express :
"Oestrich, qui a reçu la Légion d'honneur en 1962, vit alors une retraite modeste. La Snecma lui a pourtant racheté tous ses brevets au milieu des années 50 pour 800 millions de francs (soit 90 millions de francs actuels !). L'ingénieur affairiste aurait englouti sa fortune dans une société d'aviation au Maroc, baptisée Hermos, et dans l'immobilier. Une partie de son trésor a-t-il servi à aider des ex-nazis en fuite ? C'est possible. Oestrich, soupçonné de contacts avec ses anciens pairs, est resté secret sur ses affaires jusqu'à son décès en France, en 1973". A-t-il alimenté les caisses des nazis réfugiés en Amérique du Sud ceux-là mêmes
tant courtisés par la CIA ?
En Argentine, il est vrai aussi, on a construit des avions à réactions, tel les deux "
Pulqui", construits par...
Kurt Tank. Des avions construits avec l'aide de "réfugiés" français tels qu'
Émile Dewoitine, aux sympathies hitlériennes affichées. On retombe sur les fameuses
"ratlines" dont je vous avais déjà
parlé ici-même en 2009, où les membres du Vatican ont jou" un rôle éminent.
"
Au printemps de 1946, un certain nombre de criminels de guerre français, de fascistes et d’officiels du gouvernement de Vichy s’expatrièrent d’Italie vers l’Argentine selon une même filière : le bureau romain du CRI leur fournissait des passeports ; ces derniers étaient alors revêtus de visas touristiques argentins (le besoin de présenter des certificats de santé et des tickets de retour avait été abandonné grâce aux recommandations de Caggiano). Le premier cas documenté d'un Français arrivant à Buenos Aires pour fuir l'épuration à la Libération en France est celui d'Émile Dewoitine, accusé d'intelligence avec l'ennemi et d'« atteinte à la sécurité extérieure de l'État ».
Il voyagea en première classe sur le navire même qui ramenait le Cardinal Caggiano en Argentine".
Dewoitine, qui avait travaillé pour Arado, sera condamné en France à vingt ans de travaux forcés, d'
indignité nationale et de confiscation de ses biens en 1948, finira ses jours en France, libre, à Toulouse, où il meurt le 5 juillet 1979. Réfugié en Suisse dans les années 50, il n'avait pas attendu la prescription pour rentrer, mais avait "négocié" son retour avec le pouvoir en place. Qu'entend-t-on par négociation, on ne sait, en tout cas il semble bien que ce fût avec le président Auriol dont le propre fils a épousé la première pilote d'essais femme en France. (en
août 1953 elle sera même la première européenne à franchir le mur du son, à bord d'un Mystère II propulsé par un réacteur Atar !). En 1971, Emile Dewoitine sera même reçu par Bernard Dufour, le directeur de « l'Aérospatiale " de Toulouse, et effectuera même le 30 octobre 1975 un vol en Concorde. D'autres, de retour d'Argentine, retrouveront l'Allemagne (nous y reviendront) alors qu'ils étaient toujours recherchés pour leurs crimes.
Dans les années soixante encore, les recherches sur les réacteurs continueront... et l'espionnage aussi. Lors de la mise au point délicate du réacteur du Concorde (ou plutôt celui du Vulcan amélioré) les français iront scanner de façon rocambolesque celui du "Concordof", alias le Tupolev 144, une histoire à se tordre de rire racontée dans le livre du SDECE, (Sdece, Service 7, ou l'extraordinaire histoire du colonel Leroy-Finville et de ses clandestins", de Philippe Bernert, Presses de la Cité, 1980).
Comaero, comite pour l'histoire de l'aeronautique "Un demi-siecle d’aeronautique en france", 2003.
"La Snecma, von Zborowski et le Coléoptère" de Jean-Christophe Carbonel