La Libération (42) : l’Opération Lusty et le mythe du Horten
Ah, on me l'a déjà fait remarqué : vous n'avez pas parlé de l'aile volante Horten, la 229, celle dont un documentaire récent vient de dire qu'elle était le "bombardier d'Hitler pour aller frapper New-York". Un documentaire avec des moyens, (c'est fait par le National Geographic !) car on était allé pour le faire jusqu'a fabriquer une réplique ma foi assez réussie du seul modèle au monde existant, qui continue, c'est vrai, à se morfondre au fond des archives d'un musée. Or cette fameuse aile volante aussi est arrivée comme un cheveu sur la soupe dans l'histoire de Roswell, où elle est pour certains celle qui prouve que c'était bien un appareil humain et pour d'autres la preuve que les américains ont capté des techniques "antigravitationnelles" empruntées à ces fameux extraterrestres, à en oublier que cette aile-là n'a jamais volé de sa vie, et qu'elle fonctionne au kérosène et non au délire de neurone. La voici, donc, cette merveille des merveilles. Magnifique engin, pour sûr, qui, je le répète pour cet exemplaire, n'a jamais volé de sa vie.
Pour d'autres, c'est sûr, ce qui était tombé à Roswell c'était la fameuse aile volante ramenée d'allemagne qui aurait déjà été prise pour des engins volants extraterrestres en forme de croissants volants, à défaut de soucoupe, à en croire les soucoupistes férus. Le Horten 229, dernier descendant de la famille de planeurs motorisés par les deux frères qui n'avaient jamais fait mystère de leurs profondes sympathies nazies, décorant à plusieurs reprises leurs prototypes de ces symboles bien voyants. Car les frères Horten en avaient conçu, des modèles différents depuis le premier, le Horten H1 de 1933.
De tous les appareils qui ont été ramenés en Ohio et en Indiana, il y en a en effet un de complètement mythique, dont la présence est source de pas mal de rumeurs, pour la plupart infondées d'ailleurs. L'image est celle du corps central d'un drôle d'avion, descendant d'un wagon qui est bien américain, de la Norfolk and Western Railway de Virginie, une société qui avait atteint l'Ohio vers 1885. Un commentaire d'époque indique qu'il s'agît "d'une aile volante Horten, déchargée d'un train une photo prise en août 1945". On sait où ça se passe en fait : c'est en Ohio, justement, et c'est à Freeman Field, notre lieu habituel de réception et de concentration de ce qui est sorti du ventre et du pont du porte-avion Reaper. L'engin, lors de sa découverte, avait sidéré ceux qui étaient tombés dessus. D'abord par le lieu où il était encore en cours de construction : il fut découvert dans un simple garage automobile, lieu de repli qu'avaient choisi les Frères Horten pour le terminer à l'abri des bombardements (ici en cours de construction). Ensuite par sa conception, mêlant tubes soudés et revêtement de contreplaqué, enfin par sa propulsion, faite de deux réacteurs Jumo 004B très proches les uns des autres, enfin par sa forme, celle d'une aile volante... parfaite. L'engin, démonté en trois parties, corps central d'un côté arborant fièrement deux énormes croix gammées, et les deux ailes de l'autre était arrivé en relatif bon état. A l'examen, on s'était aperçu qu'en situation de pénurie, les frères géniaux avaient utilisés les moyens du bord : l'énorme roue avant était en fait une.. roulette de queue d'Heinkel He-177, les roues du train principal celles d’un Messerschmitt Bf-109G. Le corps central où étaient fixés les deux réacteurs était une petite merveille de tubes soudés : les américains en découvriront un en parfait état, que l'on reconstruira en 3 D des années après pour en constater toute la subtilité.
Question matériaux extérieurs, à part près des réacteurs, l'engin était recouvert de contreplaqué, les bords d'attaques des ailes étant faites de bois moulé dans de la résine, une résine qui imprégnait tout l'appareil, lui donnant un aspect lisse incomparable. Résultat, il ne pesait que 5 tonnes à vide, réacteurs compris ! A l'intérieur idem : à part quelques ferrures, le contreplaqué aux rangs serrés dominait. L'engin était extrêmement compact, tout à l'intérieur était très serré, le cockpit étant lui-même minuscule, à la planche d'instruments découpée dans le contreplaqué : priorité, visiblement, avait été donné à la vitesse. Bref, d'allure générale, déjà, il subjuguait par ses formes pures : une vraie prouesse de design !
Les alliés s'y intéressaient de très près, car ils avaient entendu parler par ouï-dire de ses performances, annoncées comme incroyables. L'engin, en version V2, avait été construit fin 1944, après avoir eu un modèle d'essai sous forme de planeurs, en version V1, démunis des réacteurs, puis transféré à Oranienbourg pour des essais en vol, dont le premier eût lieu le 2 février 1945 avec comme pilote Erwin Ziller. Il y avait "au moins une fois" franchi 800 km/h avaient noté les rares observateurs présents. Mais le pilotage aux ailerons, sans queue, s'avérait fort délicat : le 26 février 1945, à son troisième vol, Ziller se tuait à son bord en tentant de sauver l'appareil visiblement tombé en panne d'un des réacteurs. La version débarquée en Ohio était donc la V3, qui avait été saisie non terminée, et qui n'avait donc jamais pu voler. L'avion mythique n'avait fait que... 3 vols seulement.
Bref, malgré une version V3 non terminée, les américains espéraient bien pouvoir faire voler à nouveau cet engin si étonnant. Mais très vite ils durent déchanter. D'abord parce que l'engin débarqué était déjà lui-même en mauvais état. La résine extérieure avait déjà disparu : l'appareil était devenu complètement mat. Mauvais pour l'écoulement de l'air, pour lequel les frères Horten étaient si méticuleux. En cause également, le mode de construction de l'appareil, fait de plusieurs couches minces de contreplaqués collées les unes sur les autres. Une photo de l'atelier de construction d'Horten montre les employés en train de positionner consciencieusement les plis de contreplaqué de bouleau en croisant ostensiblement les couches de colle résineuse. Or, situation de pénurie oblige, il semble bien que cette fameuse colle ne présentait pas toutes les garanties de tenue sur le temps, notamment. Le Heinkel 162 avait eu le même problème, on l'a vu. Résultat, le corps central, notamment, s'est très vite dégradé, et les réacteurs montrés totalement inutilisables pour n'avoir jamais tourné (perte rapide de graissage interne) : impossible de se lancer dans ce cas dans un remontage dans l'optique d'un vol : les réacteurs Jumo ça ne se trouvait pas, il n'y avait aucun stock de disponible, et l'on pouvait encore moins cannibaliser un autre appareil, car on ne possédait pas sur place tous les plans de câblage du Horten, qui n'avaient pas tous été retrouvés à cette heure-là de l'histoire. L'appareil, toujours en trois morceaux, fut donc très vite remisé, en attendant des jours meilleurs pour le remettre à neuf, jours qui ne sont en fait jamais venus. L'avion, 65 ans après, est donc aujourd'hui en fort mauvais état, au Smithsonian’s Paul. E. Garber Facility comme l'avait remarqué ici-même un lecteur plutôt outré par son déplorable sort. Le contreplaqué extérieur du corps central est délité, la rouille a envahi les pièces métalliques, Les ailes, toujours entreposées à part, semblent avoir mieux résisté, ne présentant pas de délitage visible. D'autres modèles de Horten avaient connu pareils déboires, comme ici, ce qui restait du V1, ou là, pour le Horten H0-III. Bref, l'avion mythique n'avait jamais revolé, après ne l'avoir fait que trois fois dans sa très courte vie. L'avion en dépôt n'ayant lui, donc, jamais volé de sa propre vie (au sujet de celui découvert, c qu'il semble bien, c'est que ça n'a pas été le seul, comme le montre cette autre photo d'un appareil en cours de construction :
Or, ce qui est assez grotesque, cet avion a longtemps été lié à un des autres "cas" à l'origine des mythes des soucoupes volantes des années quarante : celui de Kenneth Arnold, et son récit le 24 juin 1947 de la poursuite en avion de "soucoupes" en forme de... croissants. En évoquant son déplacement hiératique, il aura le malheur de dire que les bidules évoluaient comme une "soucoupe de tasse évoluant au dessus de l'eau". Résultat, cela devint dans les journaux de l'époque "des soucoupes volantes". Le gag absolu de cette histoire de soucoupe, c'est que le premier à en avoir parlé n'a jamais cité le mot soucoupe volante, mais plutôt "croissant volant". On sait qu'Arnold, aviateur, s'informait sur les avions : or le Parabel des frères Horten avait été construit, rappelons-le, en 1938 (accidenté, il avait été détruit par incendie par ses propres constructeurs). Avait-il vu quelque part le Parabel en photo, s'en est-il inspiré pour dessiner son "croissant ? Car comme le dit la très fine étude lisible ici, tout le mythe est parti de son témoignage. Au début, il avait parlé d'objets volants ayant une ressemblance avec des "canards", mais qui volaient trop vite Chacun apparaissait selon lui "couleur cuivre" avec un point brillant ou un point noir au milieu.. l'auteur de l'article, Martin Shough, retracera effectivement la possiblité d'avoir croisé... 9 pélicans, emportés par un courant d'altitude comme il y en a plein au dessus du Mt Rainier, à haute altitude. Le pélican blanc vole la tête repliée sur le corps, et à une énorme envergure., et surtout vole en formation, comme les "croissants" d'Arnold ! En prime, l'avion d'Arnold, un CallAir mountain plane (NC33355) de 1947 avait un défaut de vue vers le côté arrière, là où la majeure partie de l'observation avait été faite. Bref, la propabilité pour avoir croisé une équipe de 9 pélicans est forte : il n'y a même pas à évoquer un vol hypothétique d'Horten, comme souvent c'est fait en ufologie, quand on cherche autre chose que des "soucoupes". Les frères Horten n'ont jamais mis les pieds aux USA, même s'ils ont tenté d'approcher Jack Northrop. La seule aile volante dispo du moment était celle de Northrop, la N-1M, un exemplaire unique (et donc incapable de se montrer en formation). Une "Jeep" toute jaune, qui a volé de 1940 au milieu de 1942 seulement, à partir du lac salé de Rogers (aujourd'hui Murdoc) dans la Californie du Sud. Le modèle suivant, la N-9M, a volé pour la première fois le 27 décembre 1942. Son monstre à réaction l'YB-49 vole pour la première fois le 21 octobre 1947, son modèle à hélices ayant volé dès juin 1946. Aucun de ses appareils n'a volé dans les parages du Mt Rainier Northrop était installé à Hawthorne, en Californie, près de Los Angeles et entre son terrain d'aviation et le Mr Rainier, il y a 896 km...
Non, décidément, pour Roswell, ce ne peut-être non plus les pélicans-soucoupes de Kenneth Arnold, ni un avion jamais reconstruit qui n'avait jamais volé. Ecartée la thèse de l'aile volante, reste une autre solution...
les photos du Horten 229 actuel :
http://www.ww2aircraft.net/forum/aircraft-requests/horton-brothers-flying-wings-3618.html
http://www.century-of-flight.net/Aviation%20history/flying%20wings/northrop.htm
Les "phantom aircrafts" ici (en allemand) :
http://www.youtube.com/watch?v=NdJM6u3Q7aI&feature=related
A noter que même chez Gildas Bourdais, "ufologue", la thèse du Horten ne tient pas : mais -lui, il est vrai, pense toujours que de "vrais" extraterrestres ont débarqué à Roswell ! Mais il ne croit pas non plus au soucoupes nazies, et ça c'est plutôt positif, dirons-nous ! Il y broie aussi au passage le livre d'Annie Jacobsen, qui est bien en effet l'un des plus ridicules sur la question." Plus fort encore que Nick Redfern et son livre Body Snatchers in the Desert." dit-il ! Résumé du livre de la folle : « Utilisant un seul chasseur à réaction nazi capturé, appelé le Horton HO 229, Staline avait conçu le plan de faire atterrir l’avion aux Etats-Unis avec à son bord des aviateurs à « l’allure d’enfants malformés ». Absolument consternant !
le démontage du mythe d'Arnold et de la variation de son témoignage :
http://www.nicap.org/reports/arnold_analysis_shough.pdf
liste des Horten ici
http://www.sailplanedirectory.com/horten.htm
l'excellente analyse d'une des ailes, montrant ses qualités... et ses défauts :
http://www.dedale-planeur.org/horten/Horten%20critique%20par%20Deszo.pdf
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