La Libération (44) : l’homme qui a empêché un second Pearl Harbor
On croit tout savoir sur la question, et on continue à apprendre tous les jours, c'est ce qui fait les joies de l'histoire, me direz-vous. J'avais le vague souvenir de combats entre japonais et alliés en 1942 dans l'océan indien. J'ignorais qu'à cet endroit ces mêmes japonais, avec le même équipement, avaient tenté de rééditer leur exploit de Pearl Harbor. Pire encore, j'ignorais qu'un seul homme, par son courage et sa ténacité, avait empêché un second désastre. Voici l'histoire, restée longtemps méconnue du héros de Ceylan, l'homme qui a empêché un second Pearl Harbor, celle de Leonard Birchall, pilote anglais de Catalina.
Le 26 mars 1942 : plusieurs bâtiments japonais quittent furtivement la baie de Staring, au large de Kendari, sur une île, connue aujourd’hui sous le nom de Sulawesi, appellée aussi en géographie sous le nom de Célèbes. Il y a là dans l'armada l'Akagi, le Soryu, le Hiryu, trois porte-avions ayant déjà participé à l'attaque de Pearl Harbor, et leurs quatre cuirassés d'accompagnement (le Kongo, le Haruna, le Kirishima et le Hiei), et deux croiseurs lourds (le Chikuma et le Tone), ainsi qu'un croiseur léger et huit destroyers. En sus, deux autres porte-avions supplémentaires, se sont joints au convoi, le Shokaku et le Zuikaku. C'est clairement une flotte d'attaque. Les porte-avions ont déjà ficelé sur leur tour de commandement les sacs de sable de protection. Ils s'apprêtent bien à combattre. Les porte-avions japonais emportent chacun 72 avions, plus 12 appareils supplémentaires de remplacement : résultat, ce sont pas moins de 420 avions, qui pourraient prendre l'air, notamment des zéros dont on a toujours mal apprécié l'allonge, avec leur réservoir central sous le ventre qui s'apprêtent à fondre sur la flotte anglaise, cette fois, dans un remake, à peine plus de trois mois après, de Pearl Harbor. Une attaque bis que visiblement l'amiral Nagumo, à la tête de l'expédition, a la volonté de réétirer. La preuve pouvant en être la date choisie dans on plan pour l'attaque : le 5 avril, soit le dimanche de Pâques, en prime, dans un remake de l'attaque dominicale qui avait tant surpris les américains. Tout indique donc que l'on est en face d'une attaque similaire. Un second Pearl Harbor a été imaginé à l'amirauté nippone, et il est en cours en ce début avril 1942.
Fort heureusement, entretemps, les américains ont depuis fait de nets progrès dans le renseignement et le déchiffrage. Ils sont informés désormais au jour le jour des mouvements de la flotte japonaise (on l'imagine, après le traumatisme subit)."À l’époque, le centre de renseignement oriental interallié, avec l’aide des centres de renseignement électromagnétique de la marine des États-Unis, avait déjà infiltré le dispositif de chiffrement de la flotte principale du Japon, connu dans les services alliés sous l’appellation « JN-25 ». En mars 1942, ses spécialistes parviennent à reconstruire le JN-25B, la dernière version de ce dispositif en service depuis décembre 1941, de sorte qu’il leur est maintenant possible de déchiffrer assez rapidement de longs fragments de messages. Avant la fin du mois, les chiffreurs américains peuvent établir que les porte-avions japonais sont sur le point de pénétrer dans l’océan Indien, et Colombo en est immédiatement averti. Le centre de renseignement oriental interallié a également pu comprendre qu’une opération imminente serait menée par un détachement de porte-avions dans le secteur « D » et qu’une attaque aérienne dans le secteur « DG » était prévue le 1er ou le 2 avril. Le sens de ces indicateurs géographiques, correspondant peut-être à un code double, n’est pas clair, mais il semblerait que le secteur « D » désigne l’Inde ou le Ceylan. Fort heureusement, certains Japonais ne saisissent pas non plus le sens précis de « DG », et c’est pourquoi, le 28 mars, un de leurs opérateurs informe un collègue dans un message chiffré par JN-25B et intercepté par le centre de renseignement oriental interallié qu’il s’agit de Colombo" . Bref, il ne suffit plus que d'être vigilant pour éviter un nouveau désastre, un désastre que les japonais s'entêtent à vouloir répéter, certains historiens affirmant qu'il pourrait s'agir d'une simple question d'ego, l'amiral Nagumo n'ayant pas apprécié de ne pas partager les lauriers glanés par son collègue Yamamoto.
Un homme, fort heureusement, va comprendre tout de suite le danger. C'est l’amiral James Somerville, qui a pris fort récemment le commandement de la flotte orientale de la Grande-Bretagne, le 26 mars 1942, une flotte qui s'est rassemblée pour l'instant dans les eaux territoriales de Ceylan. C'est un amiral à poigne, davantage tourné vers l'attaque que la défense : en 1940, c'est lui qui a ouvert le feu sans état d'âme sur la flotte Française prise au piège dans le port de Mers-El-Kébir ! En 1941, il a sauvé un convoi avec son porte-avions Ark Royal et sa flotte d'intervention. L'homme à tout à faire sur place, car il s'agît d'organiser une force de frappe conséquente inédite face à la nouvelle menace japonaise : il a à sa disposition deux nouveaux porte-avions (l’Indomitable et le Formidable), un porte-avions léger, l'Hermes, et pas moins de cinq cuirassés (le Warspite, le Resolution, le Ramillies, le Royal Sovereign et le Revenge). Les anglais, laminés eux aussi dans les premiers affrontements avec les japonais, ont décidé de réagir, en s'organisant, et en regroupant au mieux leurs forces vives. Et en tentant surtout, à ce moment là, de ne pas les perdre... comme à Pearl Harbor.
Des bateaux, mais aussi des avions sont à sa disposition, même si ce ne sont pas de pures merveilles, ils peuvent rivaliser avec les japonais (sauf le Zero), comme les Sea-Hurricane ou même les Albacore, et les Martlet (des Wildcats anglais) plutôt agiles. Résumons : "L'amiral James Somerville commandant de la Eastern Fleet dispose de la Force A (Fast Force) composée des porte-avions Indomitable (9 Sea Hurricane 12 Fulmar et 24 Albacore) et Formidable (16 Martlet, 21 Albacore et 1 Swordfish), du cuirassé Warspite, des croiseurs lourds Cornwall et Dorsetshire, des croiseurs légers Emerald et Enterprise et des destroyers Napier Nestor (Royal Australian Navy) Paladin, Panther Hotspur et Foxhound. La Force B ou Slow Force est composée des cuirassés Resolution Ramilles Royal Sovereign et Revenge, du porte-avions Hermes (capitaine Onslow) avec un groupe aérien de 12 Swordfish, les croiseurs légers Caledon, Dragon et Jacob Van Heemskerck (néerlandais) et les destroyers Griffin Norman (australien) Arrow Vampire (australien) Decoy Fortune Scout et Isaac Sweers (néerlandais) sans parler des navires immobilisés à Colombo : le croiseur auxiliaire Hector et le destroyer Tenedos. "
Renseigné par les écoutes et leur déchiffrage, Somerville décide de ne pas laisser ses navires à Colombo (le syndrome de Pearl Harbor est flagrant en ce qui concerne son attitude) : le 30 mars, il prend l'initiative et incite la flotte orientale à prendre le large. Une armada scindée en deux groupes, l'un plus rapide, comportant le Warspite, l’Indomitable, le Formidable, le Cornwall, le Dorsetshire, plus deux croiseurs légers et six destroyers. Une deuxième composée de navires plus anciens, et donc plus lents, avec quatre cuirassés de la classe R, trois croiseurs légers et huit destroyers et comme navire amiral le Hermes. Somerville n'a jamais caché son intention d'en découdre avec les japonais, et, certain de son fait, juge qu'il est en situation de force, étant au courant de la présence "quelque part" de la flotte nippone. Reste à savoir où : c'est pourquoi il lance ses hydravions, avec ordre de quadriller scientifiquement la région. Sa chance est de tomber sur des équipes fort disciplinées et décidées, qui vont suivre ses ordres à la lettre, en prenant de grands risques : afin d'optimiser leurs recherches visuelles, il leur été conseillé de voler à 610 mètres d'altitude (2000 pieds) seulement, et de faire des allers-retours avec une boucle au bout, pour couvrir des portions carrées définies au départ : le propre de la chasse au navire de surface ou de sous-marin. En cas de découverte, ils n'ont aucune chance de s'en sortir face à une meute de Zéros lancés à leur poursuite. Et ils le savent ; mais acceptent les ordres de leur chef. Somerville attend donc l'arrivée des japonais, mais le rendez-vous va échouer et Somerville décide alors de scinder à nouveau sa force rapide, ce sui sera une erreur. La raison pour laquelle il perd deux bâtiments est assez surprenante, car elle inclut le rôle de la France, avec... Vichy.
"À 21 h le 2 avril, n’ayant vu aucune trace des Japonais depuis trois jours, Somerville en conclut que l’attaque a été annulée. Il ne peut d’ailleurs pas maintenir sa flotte en mer plus longtemps, car ses quatre cuirassés de la classe R produisent juste assez d’eau douce pour y demeurer à peine quelques jours de plus. La flotte met donc le cap sur l’atoll d’Addu, d’abord parce que la majorité des navires auxiliaires s’y trouvent déjà, et ensuite pour garder une distance, au cas où la flotte japonaise ferait une apparition tardive près de Colombo. Somerville doit toutefois y envoyer deux bâtiments : le Cornwall, pour escorter un convoi de troupes, et le Dorsetshire, pour y poursuivre des travaux en radoub. Il envoie aussi le Hermes et le Vampire à Trincomalee, en prévision de l’occupation de Madagascar, alors sous l’autorité du gouvernement français de Vichy, dans le cadre de l’opération Ironclad". Cette fois, c'est Churchill en personne qui a tranché : la présence trop visible des sous-marins japonais dans le canal du Mozambique force les anglais à s'emparer de Madagascar, s'il veulent empêcher la mainmise japonaise sur l'océan indien. Les anglais vont faire à Madagascar leur seul débarquement en nom propre durant tout le conflit. Deux brigades débarqueront le 5 mai 1942 près de Diego Suarez (à Antsiranana), et le 8 mai les troupes françaises et malgaches sont battues : en métropole, ce sera mal vécu, comme Mers-El-Kébir. Il y en a un, à Londres, qui n'apprécie pas du tout, c'est DeGaulle, qui n'a même pas été mis au courant de l'invasion...
Et entretemps, le Catalina de Birchall, qui n'a cesse de quadriller avec abnégation la zone, tombe sur le jackpot, le 4 mars en milieu d'après midi : la flotte de Naguma est aperçue par les veilleurs du Catalina "à 360 milles (580 kilomètres) de Dondra Head, point situé à l’extrême sud du Ceylan, suivant un cap de 155 degrés". Birchall, ce jour-là, va devenir un héros. En découvrant la flotte japonaise, il allait éviter un Pearl Harbor bis, avec courage... et une sacré dose d'abnégation, encore, dont il fera preuve une fois capturé. Un héros véritable de cette guerre, dont l'attitude inspirera bien plus tard les scénaristes hollywoodiens, dans le Pont de la rivière KwaI, histoire d'un autre phénomène de même calibre. Face a l'adversité, certains ne plient jamais, là ou d'autres participent et collaborent. Des exemples à méditer sur ce qu'est être un individu, et ce qu'il pense être la liberté.
Envoyès à la recherche de la flotte japonaise, cette fois les Catalina ne l'ont donc pas ratée (à Pearl Harbor, il semble bien qu'un Catalina semblable avait averti de l'arrivée d'une flotte japonaise, mais son message était resté sans effet). Tout s'est très vite s'enchaîné, car volant bas, l'avion de Birchall a été tout de suite repéré : « En nous approchant suffisamment pour repérer le premier navire, nous avons tout de suite compris ce que nous avions sous les yeux. Plus nous nous approchions, plus il y avait de navires. Il nous fallait continuer jusqu’à ce que nous puissions tous les identifier et les compter. Une fois cela fait, notre sort en était jeté. » Birchall sait en effet que tant qu'il reste en l'air pour transmettre la position de ce qu'il a vu, il est une cible facile, tant il ne vole pas haut. C'est pourtant ce qu'il fait : « La seule chose à faire, c’était de plonger, ce qui nous donnait une vitesse d’environ 150 nœuds (277 km/h). Nous avons immédiatement chiffré un message et avons commencé à le transmettre [...]. Nous étions au milieu de notre troisième transmission réglementaire quand un obus a pulvérisé la radio. L’opérateur a été gravement blessé. Nous étions alors la cible d’attaques incessantes. Sous les tirs, nos réservoirs internes ont pris feu ; nous avons réussi à étouffer les flammes, mais un autre foyer s’est déclaré et l’avion a commencé à se désintégrer. Notre altitude était trop basse pour sauter en parachute, mais j’ai réussi à poser l’avion sur l’eau avant que l’empennage se détache". A l'autre bout, Somerville, immédiatement, met toutes ses forces en alerte et éparpille surtout ses navires et ses précieux tankers. La base de Colombo est quasimment vidée de tous ses navires en quelques heures. Seuls 42 avions anglais la défendent, mais aussi une défense antiaérienne renforcée qui va infliger de lourdes pertes aux japonais. Somerville choisit d'évacuer ses navires vers l'atoll Addu, dans les Maldives. Au 4 avril, les plans de Nagumo paraissent mal engagés. Et pourtant...
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