La liberté d’expression
Si la liberté de penser se proclame en chansons, voire en hurlements (attention toutefois au tapage nocturne), le droit de dire ce que je veux se heurte malgré tout à ce mur sur lequel il est interdit de tagger. Ce n'est pas un mur séparateur et arbitraire comme le mur de Berlin l'était. Mais la communication exige une libre acceptation du réceptionnaire du message. La parole n'est pas toujours d'évangile, ou si vous préférez : mon mur n'est pas celui des lamentations. Comme dans les jeux, les mots doivent rentrer dans les bonnes cases. Il faut obéir à certaines règles. Si les avis convergent, même en amour, les consciences restent séparées. Leur union demeure précaire. L'idéal de l'Un est sans cesse remis en question. Je parle pour "con-vaincre", et cela atteint mon interlocuteur dans sa liberté. La victoire de l'un suppose en effet la défaite de l'autre. Je contredis donc j'existe.
Mais avant de contredire, je dois comprendre. La communication exige également des références communes que nous maîtrisons tous différemment. On parle du "bon sens" et prendre le sens interdit est à ses risques et périls. Car parler est également une menace pour le locuteur. J'encours la sanction de ne pas être compris. Dans ce cas, je ne subis pas la contradiction, mais l'incompréhension. Et c'est à ma propre défaite que j'assiste.
La communication parfaite paraît impossible et non souhaitable. Elle supprime l'échange. Il n'y a plus d'enjeu. Si je connais d'avance la réponse, j'annule le pari. la liberté d'expression serait abolie dans ce monde totalitaire.
Le monologue du solitaire demeure un mode de communication. Un intrus peut toujours l'entendre. Une rumeur se propage, s'amplifie et se déforme. Elle nécessite parfois une vérification. Parler peut révéler un danger et menacer le groupe. En parlant "bien" ou "mal", on parle du bien ou du mal, on fait du bien ou du mal. J'ai abusé de ma liberté. J'ai heurté. La communication ainsi devient agression et entraîne la riposte.
La liberté s'assume, mais à trop la rechercher j'encours de la perdre et de me retrouver derrière les murs de la prison. Certes la communication n'est pas totalement abolie mais elle devient difficile et se fige en obéissance progressive à la loi du silence.
Mais la liberté d'expression n'est pas forcément l'expression d'une liberté.
Parler est un droit (sous certaines conditions) mais c'est aussi un devoir, une politesse, un égard. Le silence parfois est violence. La communication rassure et diminue les angoisses. La parole se dilue dans l'eau comme un médicament. Elle perd tout son sens mais dispose de vertus bienfaîtrices. Elle est recherchée. Cette parole est d'or. Je donne ma parole et j'inspire confiance.
Cette générosité supprime la communication, car je me dédouble. Je ne dis plus ce que je pense.Cette liberté perdue fait apparaître une autre entraînant le mensonge et l'hypocrisie. La communication est abolie au profit de la manipulation.
La Cité subie cette dualité comme l'individu dans la séduction : et la liberté dès lors consiste à déceler, non plus le mal mais le faux. Je deviens habilité à m'exprimer librement dès lors qu'il s'agit d'exprimer la vérité. Devant le Tribunal, la victime, le témoin a le droit de parler sans crainte, et même s'il se trompe, on ne peut lui en tenir rigueur. Certains magistrats estiment même qu'il existe en ce lieu un "droit" au mensonge.
La vérité reste un but pour ne pas dire un idéal, c'est sa recherche qui justifie la totale liberté d'expression. Mais l'atteindre serait également abolir la communication. Le privilège octroyé de tout dire entraîne ce suicide, le but atteint, dans le mutisme. Si tout le monde "le sait", je n'ai plus besoin de parler.
Aussi je vais me taire...
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