La loi de la jungle

Voilà une expression que l'on entend de plus en plus souvent ; cela me semble assez intéressant pour qu'on s'y arrête un peu.
La première remarque que l'on peut faire, c'est qu'elle n'est jamais définie et que chacun y met probablement ce qu'il veut, tout le monde alors fait semblant de la comprendre, à moins que, comme c'est le cas pour beaucoup d'éléments de langage aujourd'hui, l'à-peu près suffise pour passer très vite à autre chose.
Je me suis laissé dire qu'il y a des humains qui vivent dans la jungle, encore aujourd'hui et pour peu de temps, et que ces gens n'ont aucun vocabulaire pour décrire la laideur ni pour établir une hiérarchie dans le temps. On m'a dit que ces sociétés étaient paisibles, en harmonie totale avec leur environnement que les humains qui les composent aiment et respectent et qu'ils en ponctionnent leur strict nécessaire. Je n'ai pas entendu dire qu'ils mouraient comme des mouches sur un ruban collant, ni comme des passants au Moyen-Orient, ni comme des mineurs dans leur trou, ni comme les pauvres dans les pays populeux en proie aux débordements de la Nature, qui a bon dos, ni comme les travailleuses honteusement exploitées dans les mêmes pays, ni comme les noirs sous le fouet de leur maître, ni, ni, ni...
La jungle n'est pas non plus cette forêt vierge, réduite à peau de chagrin aujourd'hui, ou pas seulement ; ce peut être la savane, des plateaux arides, des espaces qui ont intérêt à ne posséder aucune richesse dans leur sous-sol, car pour le reste, il y a belle lurette que tout a été saccagé, perverti, exploité, pollué, par les civilisés.
La loi de la jungle est la Loi Naturelle, incontournable, ni juste ni injuste, la loi que tout être vivant connaît et à laquelle il se plie sans effort.
C'est parce que cette vérité est ignorée que tout va si mal. À vouloir dépasser les lois naturelles, comme indignes de notre intelligence, et les remplacer par nos propres lois, certes plus nombreuses et variées, nous avons créé notre enfer !
Car la Nature ne veut rien, et surtout pas maîtriser ; or nous sommes issus d'elle. Au fur et à mesure que l'Homme s'admirait, reflet flouté d'esprit fin et d'abstraction subtile, Il se gonflait d'orgueil, s'oubliait, ou du moins oubliait de désirer se connaître un peu mieux, et fonçait droit devant sans plus s'appesantir. Il a fallu des millénaires à l'Homme pour faire du laid et détruire plus ou moins insidieusement tout ce qu'Il touche ! Alors, on peut essayer de ne plus jamais prononcer le mot de « progrès » !
L'homme avait la connaissance de la terre, il ne bâtissait pas ses maisons ni ses églises n'importe où, il connaissait l'importance du magnétisme, ses effets sur son être ; les maisons des humbles hobereaux étaient intégrées au paysage mais déjà les châteaux imposants des nobles riches s'offraient sans décence à la vue de tous, se montrer, faire envie ? Tandis que même les pauvres hères bâtissaient en terre ou torchis des masures se fondant dans le creux des coteaux, au bas des hameaux, sauf que de celles-ci nous ne voyons plus guère ! Le début de notre civilisation était harmonieuse dans la mesure où l'Homme n'avait pas inventé les outils au service de sa démesure, et la question reste ouverte de savoir si c'est sa démesure qui l'a incité à produire ou le hasard de ses inventions qui furent dévoyées ; pour ma part je penche pour la première réponse !
Les besoins sont primaires et si l'on peut considérer que se faciliter la vie fait partie des besoins, le faire au point de s'en rendre malade fait bien évidemment partie de ses délires sans plus de retenue.
On peut imaginer que l'homme ait pu évoluer tout à fait autrement ; cette accélération morbide n'était sans doute pas inéluctable et la distance consciemment mise entre lui et son biotope n'était pas non plus inscrite dans ses gènes.
Mon idée à ce sujet est assez simple : les lois de la jungle étaient trop dures pour lui, plus il réussissait à s'adapter, à trouver confort et réconfort, plus son besoin devenait exigeant ; l'homme s'est trop attardé à son corps et à sa fatigue et n'a guère nourri son âme pendant tout ce temps qu'Il caracolait dans ses découvertes et j'attribue cette faille, cette carence à un désir implicite de vengeance d'avoir été cet animal si laid et mal foutu pour tout ce qui est nécessaire dans la vie de la jungle ; Il a haï cette Nature qui l'avait si mal doté. Sa grande propension à valoriser des performances sportives, le faire avec ses animaux domestiqués, prouvent s'il en était besoin cette grande obsession de prouver quoi à qui dans le domaine physique.
Je majuscule celui d'entre les hommes qui a réussi à s'imposer, à éclipser tous les autres, qu'ils fussent penseurs, poètes, sages, sains, humbles et pleins d'esprit, courageux et chevaleresques, talentueux au service du sacré, les décrypteurs du monde tangible, les amoureux de l'éther...
Il a nommé, Il a classé, Il a hiérarchisé, Il a maîtrisé, Il voudrait maîtriser le cosmos et n'a plus aucune espèce de complexe à l'exprimer et à y croire !...
Car l'homme est minuscule, il ne se croit grand que dans l'artifice qu'il a mis en place en l'espérant vainqueur dans ce combat abject et stupide !
Dans la jungle, bien des souffrances sont épargnées ; l'injustice, l'humiliation, le sadisme, la perversion, l'exploitation, l'esclavagisme, la spoliation, le vol, l'arbitraire, mais on y trouve l'aléatoire, et ça !
Et ça, Il n'a pas pu le dominer !
Tristesse et rage !
Nul ne sait...
Aujourd'hui, faire le marché, les soldes, appel à un artisan, une recherche d'emploi, demande plus de vigilance et de circonspection que cueillir les fruits et chasser la chèvre sauvage ! L'homme ne connaît plus ce qui lui est bon et ignore le visage de ses ennemis, de ses prédateurs : la vie régie par loi de la jungle comparée à celle que nous avons, était une sinécure ! Dans la jungle, un loup ne tue jamais un loup par derrière pour lui piquer sa proie, n'utilise jamais un congénère pour le servir, ne tabasse jamais sa femelle, ne viole pas ses petits et aucun herbivore ne choisit à la tête de son troupeau son pire ennemi.
L'homme n'a de cesse d'affubler les animaux de tous les vices qu'il est le seul à posséder, de tous les maux qu'il est le seul à faire endurer.
Ainsi, comme c'est étrange qu'il s'offusque de la loi du plus fort ! Parce que c'est comme cela qu'il s'imagine la jungle ! Qui était censément inhabitée dans sa première version lexicale !
Certes, il a remplacé le plus fort par le plus malin, le plus rusé, le plus instruit, le plus compétent, le plus méritant, mais surtout, le plus riche ! Dans la jungle, celui-ci serait le plus démuni, le plus fragile, la proie facile tandis que ceux qu'il exploite et pressure y seraient toute à leur aise, surpris de tant d'évidence et de facilité, une fois les quelques caractéristiques du lieu et de ses habitants connues.
Mais bien sûr, la jungle c'est l'inconnu, l'inconnaissable, l'enfer pour tout dire ! Mais peut-on imaginer un enfer plus terrible que celui que s'est fabriqué l'homme ? Un lieu de plus grand danger imprévisible ? Ailleurs, avec un peu d'écoute et d'intelligence, on anticipe, on évite, on s'abstient, on se débrouille ; avec l'homme, il n'y a pas de règles, bien souvent pas de signes avant-coureurs ; c'est la loterie, on est chanceux : on passe entre les mailles, on ne l'est pas, on est piégé !
L'homme donc, pour survivre ,- dans cette jungle , il se sentait si mal loti -, a élaboré au fil des millénaires La Civilisation, et ses nombreuses variantes. On sait que certaines ont très bien fonctionné en harmonie avec l'environnement, sans exploitation de rien ni de personne, mais d'autres en revanche leur trouvant la vie trop belle comparée à ce qu'ils avaient construit, se mirent en devoir de les détruire et piller.
Ce ne sont pourtant pas ces civilisations qui ont inventé le concept de barbares ! Non, ce sont bien ceux qui ont bâti leurs empires sur le pillage et le meurtre d'autrui et, une fois leurs pyramides hiérarchiques établies, leur pouvoir en place, ont rejeté tous les autres, les non vaincus, sous le délicieux vocable de « barbares » ! Quelle est donc cette barbarie qui nous guette ? Régie par quelles lois de quelle jungle ?
Nous sommes issus de ces pillards, de ces vandales de ces barbares, nous sommes nés dans leurs filets et le mystère réside tout entier dans le fait que tous les individus issus de ces lieux de non- droit n'aient pas été conçus à l'identique, à moins que... il ne s'agisse que d'une minorité ? D'abîmés ?
Une majorité d'humains, une large majorité d'humains souffre de la violente démesure de quelques pervers soutenus par une minorité de veules ; ce qui ne nous empêche pas de parler de démocratie, de se faire croire, encore, que la majorité gouverne !
L'intelligence de la Vie est sa capacité d'adaptation ; l'Homme est à un point de non retour : les dominés s'adaptent ( se plient) au pouvoir des dominants, jusqu'à en mourir ; les dominants eux-mêmes ne brillent pas par leur santé ! L' Homme est devenu incapable de survivre dans les conditions qu'il s'est imposées à lui-même, aussi le temps est sans doute venu qu'il soit détruit par ce que sa folie a nié.
Mais au fait, lesquels parlent de Loi de la Jungle ? De Retour à la Barbarie ?
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