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Accueil du site > Tribune Libre > La loi et la mort d’un dictateur

La loi et la mort d’un dictateur

Le droit existe là où il y a la loi, disait Aristote. Loin de toute considération éthique, celle ci répond à plusieurs besoins. Faire vivre et organiser la Cité ; rationaliser et fixer la relation avec autrui et avec soi-même ; passer les compromis nécessaires au vivre ensemble ; chasser hors des murs de la Cité l’arbitraire considéré comme un vestige de l’état sauvage. Le droit est surtout pour Aristote l’arme ultime de la pensée politique, un produit de rapports de force antagoniques qui se résume en un résultat commun au-delà (ou au-deçà) duquel la Cité régresse. Faute de pouvoir juger Kadhafi pour ses crimes, la loi aristotélicienne, qui est la nôtre, exige de juger ses assassins. Ne pas le faire c’est déjà accepter une régression de la pensée juridique œcuménique (avec ses variantes locales) ; se réjouir de sa mort, en faisant semblant d’oublier les circonstances qui l’accompagnent, c’est la nier : nous ne somme plus sur une régression mais témoins amorphes d’une digression lourde de conséquences. On peut en effet contester la condamnation d’un autre dictateur, Saddam Hussein et critiquer son procès comme non conforme ; mais on ne peut pas nier qu’il en a eu un. On peut regretter que la condamnation du bourreau nazi Eichmann soit le produit d’une exception juridique extraordinaire, mais celle-ci a bel et bien été votée par la Cité, puis abrogée une fois le procès terminé. Ces régressions, qui dans le cas de l’Etat d’Israël ont été largement explicitées, ont été le résultat d’un constat : le droit existant ne prévoyait pas une peine égale au délit. Il y a certes régression, mais celle-ci est temporelle, légalement argumentée, et perçue comme telle. Entre ces attitudes et le lynchage, l’exécution sans autre forme de procès, accompagnés par une justification policière, militaire ou politique (comme ce fut le cas pour Che Guevara ou Marighella), il y a un monde. Celui qui sépare les limbes du non droit et de l’arbitraire sauvage de la Cité et de ses lois. Si la « révolution » libyenne était autonome, si les combattants de Misrata ou de Benghazi, les armes à la main avaient seuls renversé un régime dictatorial et crée un vide juridique intermédiaire, ils auraient seuls assumé cette responsabilité, le crie aurait été limité dans l’espace et le temps révolutionnaire, comme il le fut avec Mussolini ou Ceausescu (qui eu droit à un procès expéditif). Mais ce n’est pas le cas. Le révolution libyenne fut portée à bras le corps par les forces de l’OTAN, par l’aviation française, britannique et américaine (entre autres), consacré comme pouvoir responsable par les discours et la présence sur place du président français et du premier britannique. L’Europe, les Etats Unis, l’ONU, l’OTAN, on endossé leur cause et doivent l’assumer. Il ne s’agit pas d’imposer à la Libye le droit occidental. Au contraire : pour la communauté internationale, il s’agit d’assumer que les « valeurs » qui lui ont imposé le rôle d’arbitre agissant l’engagent a accepter ses propres lois, la première d’entre elles étant qu’elles sont les mêmes pour tous. Si les tueurs du dictateur ne sont pas jugés ( et peut-être, pourquoi pas, acquittés), non seulement nous sommes allés en Libye pour rien, mais cette expédition nous aura coûté la perte d’un pilier essentiel, fondamental de ce qui régit notre Cité : notre capacité, pour revenir à Aristote, à faire la part entre le trop et le pas assez, accéder à l’eumétrie, cette règle d’or censée garantir notre vivre ensemble. 


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11 réactions à cet article    


  • Ariane Walter Ariane Walter 22 octobre 2011 10:19

    Hélas, cher Michel, dictature et barbarie sont les deux mamelles de notre nouvelle vie.
    Quand brûlera-t-on les livres ?



    • Deneb Deneb 22 octobre 2011 11:29

      Ariane :« Quand brûlera-t-on les livres ? »

      Quand on lira sur l’écran


    • takakroar 22 octobre 2011 10:27

      Vous n’évoquez pas l’assassinat de Ben Laden qui a entraîné ce commentaire d’Obama : « justice est faite ». Il y avait donc eu un procès ? Une condamnation suite à ce procès ?

      Je n’ai entendu personne dire que la justice ce n’était pas çà.

      Pour le reste je vous rejoins totalement.


      • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 22 octobre 2011 10:37

        Non, justice n’a pas été faite et c’est une hubris que de s’y référer. Merci du rappel.


      • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 22 octobre 2011 10:34

        Chère Arianne, à eux de passer outre sur l’essentiel, à bafouer, à faire semblant de croire que le but justifie les moyens... A nous de leur rappeler qu’ils sont partie intégrante de la Cité et qu’on ne leur pardonne pas leurs virées du côté des limbes du non droit.


        • Robert GIL ROBERT GIL 22 octobre 2011 12:55

          Aucun doute, que les réformes signifieront ouvrir grand les portes aux multinationales, privatiser les propriétés publiques et endetter l’économie. A commencer par le secteur pétrolier, dans lequel le FMI aidera le nouveau gouvernement à « rétablir la production pour générer un revenu et re-stabiliser un système de paiements ». Les réserves pétrolières libyennes -les plus grandes de l’Afrique, précieuses pour leur qualité élevée et leur bas coût d’extraction- et celles du gaz naturel sont déjà au centre d’une âpre compétition entre les « amis de la Libye ». Leurs multinationales obtiendront les licences d’exploitation à des conditions beaucoup plus favorables que celles pratiquées jusqu’à maintenant, qui laissaient jusqu’à 90% du brut extrait à la compagnie nationale libyenne. Et il n’est pas exclu que celle-ci aussi ne finisse entre leurs mains, à travers une privatisation imposée par le FMI..........

          http://2ccr.unblog.fr/2011/09/16/main-basse-sur-la-libye-apres-lotan-le-fmi/


          • antonio 22 octobre 2011 19:21

            D’accord avec vous.


            • Jason Jason 22 octobre 2011 20:51

              Dans l’ensemble je serais plutôt d’accord avec vous. Si le concept de justice existe, il faut qu’il soit sans tache. C’est l’idéal de justice, pas la réalité. Il faut que les exceptions n’existent pas, ni les excuses souvent confuses dérivées des situations exceptionnelles. C’est à dire que le relativisme moral n’ait pas sa place.

              Et pourtant. la Realpolitik, les intérêts d’Etat, les concessions au populisme, la justice des vainqueurs, tout cela existe, dans une forme souvent parodique. Et comme nous le rappelle Sophocle (Antigone) il y a la justice des dieux et la justice des hommes. Les principes, et la réalité. L’idéal et le pouvoir.

              Mais qui nous entendra ?


              • James James 22 octobre 2011 21:41


                 Kadhafi a été victime d’une exécution extra judiciaire, donc d’un crime de guerre commandité par les terroristes de l’Otan et sous traité aux malfrats du CNT.
                Que stipulait la résolution 1973 ?
                De protéger les populations civiles par la mise en œuvre d’une zone d’exclusion aérienne, en aucun cas de pourchasser le dirigeant Libyen et de le mettre à mort  !


                • MVS67 22 octobre 2011 22:44

                  Tout d’abord merci à Michel Koutouzis pour ce très bel article et cette analyse qui élève le débat.

                   Permettez-moi de revenir sur les événements .

                   En ce début du XXIe siècle, les États-Unis ont inauguré une nouvelle ère de barbarie ou le Droit et la Justice n’ont plus cours.

                   L’invasion de l’Afghanistan ( prétexte : lutte contre le terrorisme), les bombardements du Pakistan, la guerre d’Irak (pendaison de son chef d’état Saddam Hussein après un simulacre de procès - Guantanamo - sac du pays et milliers de victimes civiles) suivie de guerre civile et d’un chaos qui perdurent, les raids sur le Yémen ( dernièrement un attentat ciblé US)... la guerre de Libye, véritable holdup international perpétré par l’OTAN au profit essentiellement des USA,du Qatar de la France de Sarkozy-BHL et de la Grande Bretagne :.
                  Toutes ces interventions militaires montrent qu’avec ces nouveaux Barbares, seuls règnent la loi du plus fort, le Deux poids Deux mesures, la fin « justifiant » les moyens, même les plus ignominieux..

                  L’OTAN n’a fait que violer les résolutions de l’ONU sur la Libye : ce pays est détruit et la mort programmée de son Chef d’État met un terme à l’intervention de l’OTAN avec le lynchage du Colonel Kadhafi par les nervis du CNT, séides de l’OTAN : les images de cette boucherie circulent sur le Net. Quant à juger ses assassins, il ne faut pas y compter !
                   L’Occident n’est pas à une régression près...

                   A qui le tour maintenant ? La Syrie, l’Iran toujours dans le collimateur d’Israël et donc de l’Oncle Sam ?

                   Depuis le sac de l’Irak par les nouveaux Barbares, la méthode ne varie pas... Même Obama, tout Prix Nobel de la Paix qu’il soit, n’y déroge pas  !
                   
                  On étrangle les pays convoités par des sanctions, on organise une propagande mensongère contre les dirigeants qui ne plaisent plus, on introduit des faux rebelles, on prétend que ces pays sont des repaires de terroristes qui vont déferler sur l’Occident, et argument ultime : le dirigeant est un tyran sanguinaire, etc... Scénario bien rodé, et donc l’importation de la démocratie, par les armes est une évidence, un devoir, pour le bien des peuples évidemment , peuples décimés et pays dévastés pour le plus grand profit de multinationales et des marchands d’armes..
                   
                  Où est le Droit , où est la Justice dans tout cela ?
                   Où est le droit de peuples à choisir leur destin ?
                   
                  Tout cela n’existe pas ! C’est un leurre que leur font miroiter les grandes Puissances pour s’assurer le contrôle du pétrole, des ressources naturelles et humaines à moindre coût, pour installer des bases US, imposer le « secours » du FMI qui paupérise les populations.
                  . Avec la prise de la Libye, les GI’s seront aux portes de l’Afrique sub - saharienne et de l’Algérie (en face de ses installations pétrolifères). Comme par hasard Obama vient d’annoncer que les dernières troupes US vont quitter l’Irak fin 2011 (environ 80.000 hommes)

                   Pauvres Libyens, pauvres Africains !

                   Au fait pourquoi Obama n’essaye-t-il pas d’introduire la démocratie en Arabie Saoudite ???
                   
                   Sur les débuts de la catastrophe libyenne, on peut voir :

                  http://salam-akwaba.over-blog.com/article-mars-2011-l-otan-agresse-la-libye-aube-de-l-odyssee-79151066.html

                  http://salam-akwaba.over-blog.com/article-evolution-du-conflit-libyen-depuis-le-10-juillet-2011-79158544.html

                   Cordialement - MVS67

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