La loi Fioraso symptôme du déclin de la France
Qu’est-ce qu’un peuple en déclin ? Un peuple qui a perdu sa puissance militaire et voit petit à petit ses vassaux se détacher de l’Empire ? Peut-être. Un peuple qui a perdu sa puissance économique, produit peu et exporte peu ? Peut-être aussi. Mais c’est surtout un peuple qui n’a plus de rayonnement culturel, un peuple qui au contraire copie la culture des autres, d’un autre vis-à-vis duquel il a un complexe d’infériorité.
Tel est bien le cas de la France aujourd’hui.
Le 3 décembre 2007 le magazine américain Time écrivait en couverture « The Death of French Culture » (La mort de la culture française). Le vote par l’assemblée Nationale de l’article 2 de la loi Fioraso autorisant des cours en anglais dans les universités françaises ne fait que confirmer que Time avait raison.
J’ai déjà écrit trois articles sur la fin de la culture française sur Agoravox lors du débat houleux sur l’identité nationale.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/voici-donc-relance-le-debat-sur-l-64475
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-identite-nationale-le-vrai-65640
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-identite-nationale-le-vrai-66446
J’y expliquais déjà que la production culturelle française actuelle était inexistante.
La France est franchement entrée en décadence. Fini le cinéma avec Truffaut, fini la philosophie avec Sartre et Merleau Ponty, Foucauld et Derrida, fini les sciences humaines avec Aron, Lacan, Dumézil, Foucauld, Barthes et Lévi-Strauss, fini l’architecture avec Le Corbusier, fini la littérature avec Camus et Gracq, fini l’époque où Paris était le point de convergence des peintres. D’aucuns diront que Le Clézio a obtenu le prix Nobel. Certes il y a encore quelques beaux restes, mais c’en est fini d’un rayonnement qui avait commencé à la Renaissance et n’avait cessé depuis.
Et ce qui est vrai pour la culture savante l’est encore plus pour la culture populaire, avec 75 % de chansons en anglais sur certaines chaines (et encore parce qu’il y a des quotas !). Et Nike, les séries B, Mac Donald, Mickey, etc.
La France s’acculture et en même temps elle s’inculture car il faut voir le niveau des paroles de ces chansons pop, rap, rock et que sais-je encore. Et comparer avec Barbara, Brassens ou Gainsbourg. Il faut comparer les séries américaines avec Truffaut, Mac Do avec la gastronomie française, Nike avec le travail des grands couturiers et Coca Cola avec les vins.
Mais le plus grave n’est pas là. Il est dans le complexe d’infériorité (ce que l’on a parfois appelé le complexe du colonisé). Non seulement les productions culturelles sont réduites, mais le critère de la réussite est d’être reconnu par les Américains. Je ne donnerai qu’un exemple, le film de Hazanavicius, The Artist, entièrement en anglais. Il a obtenu nombre d’oscars aux USA, et la presse s’en est félicitée. Réussir, c’est réussir aux États-Unis, être reconnu par les Américains. Être obsédé par le regard de l’autre, c’est cela le signe de la décadence.
Penchons-nous maintenant sur les arguments des partisans de la loi Fioraso :
1) L’anglais étant la langue dominante, on exportera mieux en anglais.
D’accord. Mais alors qu’on ne nous dise plus que la culture n’est pas un produit comme les autres.
2) Une majorité de nouveaux concepts que génèrent les progrès actuels des sciences sont en anglais. Il est facile de répondre qu’aucun concept n’est intraduisible et que le français peut aussi créer des néologismes. Une langue qui ne se renouvelle pas sera bientôt une langue morte.
3) Nous, petite France de 63 millions d’habitants, ne pouvons rien faire contre la puissance des Anglo-saxons. Cet argument est très discutable : ce sont deux micro-États qui sont parmi ceux qui ont le plus apporté à la civilisation occidentale, Athènes et Florence. Florence a fini par imposer sa langue à toute l’Italie pendant que toute l’Europe imitait ses œuvres d’art. Et l’élite romaine, l’élite d’une puissance qui avait conquis toute la Grèce, parlait grec au II-ème siècle après J-C. et produisait des œuvres en grec (Apollodore, Pausanias, Plutarque). C’est le vaincu qui avait gagné grâce au prestige de sa culture.
4) Les travaux en français ne sont plus lus. Entendre par là, ne sont pas lus par les Anglo-Saxons, référence obligée pour obtenir une reconnaissance.
Les travaux en français ne sont pas lus parce qu’ils sont médiocres. On annonce la découverte du boson de Higgs. Si l’article (probablement en anglais) avait été écrit en français il aurait été lu. Et même en slovène. Qu’on annonce la découverte d’un vaccin contre le Sida dans une revue lithuanienne et le lendemain les chercheurs américains trouveraient des traducteurs de lithuanien. Kierkegaard écrivait en danois. Et combien y avait-il de danophones en 1850, et combien d’entre eux savaient lire et combien de ceux qui savaient lire pouvaient comprendre son œuvre ? Cela ne l’a pas empêché de devenir le père de l’existentialisme.
A l’inverse la thèse en 800 pages sur « l’art de lever le petit doigt à table à la cour d’Henri II » ne sera lue par presque personne. Et la traduire en anglais n’y changera pas grand chose.
5) L’argument principal de Mme Fioraso et que cela va permettre d’attirer des étudiants étrangers en particulier venant des pays émergents. A cela ma réponse est quintuple :
a) Je ne suis pas sûr que les Brésiliens ou les Chinois parlent si bien anglais que cela. Cet argument ne me semble valable que pour les Indiens.
b) On nous dit qu’ils vont quand même apprendre le français. Dans ce cas pourquoi leur donner des cours en anglais ? Dans un certain nombre d’universités françaises à l’étranger les cours sont dans la langue du pays la première année, le temps que les étudiants apprennent la langue de Molière. Après quoi en, deuxième année, ils sont en français.
c) La France attirerait les étudiants étrangers si elle rayonnait, si sa propre culture était créatrice. Tous ces gens que j’ai cités plus haut (Foucault, Lacan, Barthes, etc.), c’est pour les écouter qu’on venait en France.
d) Mais surtout, surtout, je ne suis pas du tout sûr que cela attirera beaucoup d’étudiants étrangers. Mieux vaut s’adresser au bon Dieu qu’à ses saints dit le proverbe. On vous propose une formation au karaté ou au judo dans un pays étranger. Vous avez le choix entre l’Argentine, la Slovaquie et le Japon. Inutile de me dire lequel vous allez choisir, je le sais déjà.
Pourquoi des étudiants anglophones viendraient-ils en France alors qu’une demi-douzaine de pays anglo-saxons lui proposent des certaines universités, dont beaucoup sont plus prestigieuses que les françaises ?
6) Enfin ceux qui viennent en France, y viennent parce qu’ils sont attirés par la langue et la culture françaises. Certains ont une très haute idée de la France et sont écœurés, lorsqu’ils viennent, de constater l’anglomanie régnante.
Mais cela ne sert à rien d’être passéiste. Nous allons devenir Américains un point c’est tout.
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