La Madone de Laroque est-elle une oeuvre de Léonard de Vinci ?
Fabuleuse aventure rappelée par TF1 ce dimanche 10 février que celle de ces trois amis chineurs qui découvrent dans un dépôt-vente des Cévennes un petit tableau dont personne n’avait remarqué avant eux la facture léonardienne. Acheté pour un modeste prix, cela fait neuf ans que les heureux propriétaires se battent auprès des experts spécialistes reconnus (quatre ou cinq ?) pour qu’il soit authentifié comme une oeuvre inédite du maître.
On mesure l’importance de l’enjeu d’autant plus que si certains spécialistes doutent encore, d’autres ont pris fermement parti en faveur de l’authentification. Pour lever le dernier doute, on attend la conclusion de la police scientifique italienne qui a bien voulu accepter de comparer une empreinte de doigt relevé sur un tableau authentique avec ce qui semble être également une empreinte sur notre petit tableau (car il arrivait au Vinci de peindre avec les doigts).
Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie.
Après l’intéressant article de Mafournier publié par Agoravox le 11/12/2006, je me risque à formuler quelques hypothèses.
Les symboles
Symbole premier, nous retrouvons dans ce tableau le questionnement que Léonard de Vinci s’est longuement posé sur la reproduction humaine, mais ici comme dans d’autres tableaux, c’est le rapport mystérieux et presque mystique qui existe entre la mère et l’enfant qui est traité. Dans la pensée cachée de Léonard, cette madone est-elle Marie, mère de Jésus, Elisabeth, mère de Jean-Baptiste, Anne, mère de Marie ? Est-elle tout cela à la fois ? Est-elle une nouvelle Eglise dont rêve Léonard ? Une société plus familiale ? Ou est-ce tout simplement une interrogation, un mystère que Léonard cherche à percer, non plus dans la dissection des cadavres, mais dans la vie qui, sans cesse, se reproduit et qu’illumine l’amour maternel ?
Se retrouvent aussi dans ce tableau d’autres symboles typiquement léonardesques : la fenêtre voûtée, réplique de la voûte céleste, le paysage lointain avec son lac immobile baignant dans une lumière crépusculaire, une aiguille dont le chas est pénétré par un fil d’or, la croix de roseau que tient Jean-Baptiste (personnage préféré de Léonard). Egalement beaucoup d’autres caractéristiques léonardesques : les entrelacs vinciens, la position et la finesse des mains, la tête inclinée, le regard, le cou comme planté sur la poitrine, et j’en passe.
Le problème est que cette accumulation de détails ferait plutôt penser à un suiveur, lequel aurait rassemblé en un seul tableau des éléments qui, en fait, ne sont apparus dans l’oeuvre de Léonard que dans une longue évolution de son art. Mais ce qui surprend le plus se trouve dans l’arrière-plan. L’auteur du tableau aurait-il voulu évoquer dans le monument en ruines le tombeau du Christ et, dans le paysage, sa souffrance dans le jardin de Gethsémani ? Dans cette hypothèse, cela serait un retour à l’iconographie traditionnelle, ce qui n’est pas dans la tradition de Léonard qui sublimait toujours son arrière-plan en l’épurant à l’extrême.
Le visage de la madone
Ce visage de madone, bien que typiquement léonardien, se distingue des autres visages auxquels Léonard nous a habitués par un rendu beaucoup plus classique. Un tel visage aussi traditionnel n’a pu être peint, à mon sens, qu’au début de la carrière du peintre, avant son évolution artistique que révèle la suite de son oeuvre. La Madone de Laroque ayant été peinte relativement tardivement selon les experts, il nous faut donc rechercher le visage original dont l’auteur de notre tableau aurait pu s’inspirer.
La Vierge et l’enfant
Ce tableau est probablement une des "Vierge à l’enfant" de Léonard dont on a perdu la trace. Le visage de la femme, le voile imperceptible qui lui couvre le front, son auréole de cristal si transparente, ses fins sourcils, ses paupières finement dessinées, en revanche sa main gauche un peu trop palmée avec ses doigts qui laissent transparaître les os et son cou un peu trop ‘’planté’’ sur le buste, tout cela appartient au style débutant de Léonard. Enfin, cet enfant dodu, n’est-il pas le frère jumeau des chérubins que le Vinci a peints ou dessinés dans ses croquis ? Ce sourire n’annonce-t-il pas déjà celui de La Joconde ? Et puis tout ce noir qui fait ressortir d’autant la partie éclairée : « Car c’est un trait merveilleux de son génie que, désirant donner le maximum de relief à ce qu’il faisait, il recherchait les ombres les plus épaisses et les fonds les plus obscurs au moyen de noirs donnant des ombres plus foncées et paraissant de plus en plus sombres afin que par contraste les clairs semblent plus lumineux ; mais de cette façon, il arrivait à des teintes si sombres que l’ensemble paraissait fait pour imiter la nuit plutôt que les nuances de la lumière du jour. Cependant il faisait tout cela pour donner plus de relief et atteindre la fin et la perfection de l’art (Vasari, Le Vite, 1568). »
Raphaël qui a vu le tableau s’en est apparemment inspiré pour peindre sa Madone Bridgewater. Estimant que le cou était un peu trop planté sur le buste, il a recherché davantage de grâce en penchant le corps, rajeuni et remodelé le visage.
Il a corrigé la main droite qui soutient l’enfant, ainsi que le bras droit de celui-ci pour lui donner plus de naturel, mais en brisant la courbe magique qui englobait cette mère et cet enfant et en repoussant la fenêtre sur le côté, il a enlevé au tableau de Léonard le sens que ce dernier y avait mis. Considérablement amaigri, l’enfant ne permet plus les modelés en sfumato dans lesquels Léonard excellait.
Naissance du sfumato (extrait d’un de mes ouvrages dans lequel j’essaie de retrouver la pensée de Léonard en lui donnant la parole).
J’ai peint une Vierge à l’enfant pour essayer de comprendre ce qu’il y a de divin dans la lumière.
D’abord, j’ai imaginé une chambre dans la plus complète obscurité, sans rien qui puisse faire penser à une présence, qu’elle fut humaine ou non. J’ai voulu représenter le néant et j’ai agi en sorte de donner au spectateur l’impression qu’il est dans la pièce, dans le néant. Puis, en haut et à droite, dans le mur, j’ai ouvert une fenêtre sur l’infini, une ouverture avec un simple encadrement qui n’oblige pas l’œil à se fixer sur elle. Dans cette ouverture, j’ai peint un paysage flou qui baigne dans une atmosphère vaporeuse où j’ai mêlé intimement reflets verts de la nature et reflets bleus du ciel. J’ai ajouté du bleu aux montagnes en les faisant se profiler sur un fond lumineux de lever de soleil. « Dans une telle atmosphère, les objets les plus lointains, comme par exemple les montagnes paraissent, à cause de la grande quantité d’air qui se trouve entre elles et ton œil, bleues presque comme la couleur de l’air quand le soleil se lève. » « Par contre, lorsque le soleil se couche, les brouillards qui tombent rendent l’air épais, et les objets qui ne sont pas touchés par le soleil restent obscurs et indistincts. »
Sur cette perspective subtile et aérienne, j’ai ajouté une perspective de ligne de fuite d’arbres érigés qui prend appui, au premier plan, sur une ligne horizontale et immobile d’arbres en boule.
Pour bien évoquer le sentiment que le divin et la source de la vie sont dans l’infini de la ligne de fuite, à l’arrière et au-delà de la montagne, j’ai dessiné à l’avant un paysage mort en y insérant un arbre aux branches déchiquetées et tourmentées.
Entre la chambre noire et ce paysage derrière lequel règne l’infini, se trouve comme une paroi de verre. Si l’homme n’ouvre pas son œil, il ne voit rien, mais s’il l’ouvre, c’est un mouvement de l’âme qui lui fait franchir la paroi de verre.
Ensuite, j’ai fait pénétrer la lumière dans la pénombre de la pièce comme un puissant rayon de soleil qui, dévalant du haut de la montagne, ‘’tomberait’’ sur la Vierge et l’enfant ou, comme une tornade qui entrerait et ressortirait aussitôt par l’ouverture en suivant une courbe en ellipse et en spirale. J’ai amené la lumière sur les pieds de l’enfant, lui ai fait suivre son corps en remontant, le bras de la mère, puis son buste. De plus, j’ai voulu, en n’éclairant pas le fond de la pièce, qu’on ne puisse pas imaginer un éclairage autre que la lumière qui ‘’tombe’’ de la fenêtre et y repart après avoir baigné de sa luminosité le corps de l’enfant et celui de sa mère. Pour bien faire sentir ce mouvement, je l’ai souligné par le regard qu’ils échangent.
J’ai voulu insuffler dans la mère et l’enfant le divin qui est venu dans le monde en le représentant dans le sentiment humain le plus beau et le plus pur qui soit : l’amour entre une mère et son enfant.
Pour cela, j’ai commencé par esquisser une ébauche volontairement très imparfaite. La nuit et le matin, dans l’obscurité de ma chambre, j’ai laissé rêver mon esprit autour de cette ébauche jusqu’à ce que la scène se précise, d’abord dans ses contours, puis dans tous ses détails.
Dans mon ébauche, je m’étais appliqué à donner l’impression d’une perspective lointaine dans le paysage par un modelé vaporeux. Cette technique, qui prendra le nom de sfumato, est le fruit de mes réflexions sur la lumière et la vision. Pour faire ressortir ce flou, j’avais dressé dans l’embrasure une colonne très rigide aux contours très nets, mais dans mon tableau final, je me suis rendu compte que cela ralentissait le mouvement de l’âme vers l’infini et ne l’ai pas représentée. Dans mon souci d’aller à l’essentiel, en supprimant le superflu, j’ai accentué les effets de lumière sur la Vierge et l’enfant et l’obscurité tout autour, y compris sur la robe jusqu’à la rendre invisible.
C’est ainsi que j’ai fait revivre mon rêve sur la toile jusqu’à l’idéal. Tout en peignant, je regardais mon ébauche dans le reflet flou que me renvoyait un miroir - ce qui explique que les deux images soient inversées. Cela me permettait d’imaginer une scène plus expressive et plus belle.
« Regarde la lumière et admire sa beauté. Ferme l’œil et observe. Ce que tu as vu d’abord n’est plus et ce que tu verras ensuite n’est pas encore. »
Le tableau La Madone de Laroque est largement diffusé sur la toile.
Celui de La Vierge à l’enfant et son modelo appartiennent à un collectionneur privé qui m’a donné l’autorisation de les reproduire.
Celui de Raphaël est extrait de Tout l’oeuvre peint qui lui est consacré.
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