L’hommage aux « morts pour la France » est une obligation morale mais aussi historique et politique pour tout chef de l’État. Et Nicolas Sarkozy est dans son rôle en se mettant en scène le 11 novembre lors de la traditionnelle commémoration. Mais, doté d’une compassion à géométrie variable, il est d’autres morts dont notre président ne se soucie pas. Sans doute parce que ces morts-là manquent de mérite à ses yeux...
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Nicolas Sarkozy va faire déposer dans les prochains jours un projet de loi destiné à faire du 11 novembre une journée du souvenir consacrée à tous les militaires français morts au combat depuis la Grande guerre, y compris lors d’opérations extérieures ayant moins à voir avec la défense du territoire ou les intérêts nationaux qu’avec celle des profits attendus par les grands groupes industriels amis du pouvoir.
Transformer le 11 novembre, date anniversaire du sacrifice des « poilus », en journée du souvenir de tous les soldats tombés sous l’uniforme français est pour le moins contestable et suscite même, ici et là, un débat assez vif entre ceux qui veulent garder à cette commémoration son caractère d’hommage aux victimes militaires de 14-18 – très majoritairement des conscrits venus des classes populaires –, et ceux qui, en accord avec Nicolas Sarkozy, souhaiteraient voir cette date devenir une sorte de Memorial Day à la française.
Cette volonté affichée d’hommage collectif à toutes les victimes militaires, si elle est discutable, n’est en soi pas choquante, bien qu’elle fleure de manière peu agréable nettement plus l’opération de communication élyséenne que la réponse à une évolution attendue du devoir de mémoire. Mais par la dimension qu’elle a prise dans les médias, cette initiative n’en souligne qu’avec plus d’acuité le fait que Nicolas Sarkozy a décidément, comme il l’a démontré à maintes reprises depuis le début de son mandat, l’hommage et la compassion sélectifs.
Combien de victimes civiles innocentes – y compris femmes, enfants et vieillards – ont fait nos troupes en frappant parfois de manière aveugle des villages ou des campements avec un armement dévastateur pour mieux se protéger dans des contrées où jamais elles n’auraient dû mettre leurs treillis ? Quel hommage a rendu M. Sarkozy à ces victimes ?
Combien de personnes sont mortes cette année dans nos rues, victimes de privation de nourriture, de soins, de logement, et du minimum d’attention de pouvoirs publics au mieux indifférents, au pire cyniques ? Combien d’autres personnes, jetées dans la précarité et menacées de misère par l’abandon de ces mêmes pouvoirs publics, les rejoindront dans les mois à venir sous les yeux effrayés des 8,2 millions de pauvres que compte désormais notre pays et qui, tous, craignent que leur nom et celui de leurs proches s’ajoutent à cette liste de la honte ? Quel hommage a rendu M. Sarkozy à ces victimes ?
Combien d’ouvriers sont morts cette année sur les chantiers, victimes, pour accélérer les cadences et augmenter les profits des actionnaires des groupes de BTP amis du pouvoir, de conditions d’emploi inacceptables et dangereuses ? Et parmi eux, combien de décès directement imputables à la disparition programmée des inspecteurs du travail, sacrifiés sur l’autel des exigences du patronat avec la complicité du pouvoir UMP ? Quel hommage a rendu M. Sarkozy à ces victimes ?
Il est vrai que le chef de l’État n’a guère de temps disponible pour se disperser. Sauveur autoproclamé de la France, de l’Europe et même de la planète si l’on en croit son dernier show télévisé face aux carpettes Yves Calvi et Jean-Pierre Pernaut, il doit dégager des priorités. C’est pourquoi, délaissant les immigrés disloqués sur les chantiers, les SDF morts de misère sur les trottoirs, et les lointains étrangers hachés par les balles de 12.7 de la glorieuse armée française, il préfère se concentrer sur les causes prioritaires. Et c’est ainsi que Nicolas Sarkozy vient – pour la dixième fois* !!! – de rencontrer les parents de Florence Cassez, condamnée en première instance puis en appel non par la justice fantoche d’une république bananière, mais par les juges de l’un des plus grands pays démocratiques du continent américain, le Mexique, pour complicité d’enlèvement et de séquestration**.
La précarité, le dénuement, la misère font aussi des morts, Monsieur Sarkozy. Quel hommage comptez-vous rendre à ces victimes d’un système économique brutal qui broie les faibles, détruit les humbles, et saccagera bientôt les retraités modestes et les malades impécunieux si un deuxième mandat vous donne la possibilité de porter le coup de grâce à la protection sociale ? Où est, dans la réalité, cette belle compassion que vous affichez de manière ostentatoire devant les caméras ?
La vérité : vous n’en avez strictement rien à faire de ces pauvres gens : les étrangers ne votent pas en France ; quant aux grands précaires et aux accidentés de la vie, ils sont désocialisés et, pour une large majorité d’entre eux, ont cessé de voter. Pas de vote, pas de considération ! Les traiter de « Salauds de pauvres ! » ne peut même pas vous être reproché, Monsieur Sarkozy, car insulter quelqu’un reste une forme de reconnaissance de la personne. Or vous êtes au delà de cette attitude : vous leur opposez un silence tellement méprisant qu’il en devient assourdissant. Un silence qui engendre une indicible et inacceptable souffrance !
Une souffrance, mais aussi une colère sourde...
* C’est le père de Florence Cassez lui-même qui l’a dit aux médias à sa sortie de l’Élysée le 10 novembre.
** Il ne s’agit pas ici d’affirmer que Florence Cassez est coupable. Peut-être ne l’est-elle que de l’inconscience qui l’a conduite à vivre dans le luxe et la promiscuité d’un criminel et trafiquant notoire. Quoi qu’il en soit, recevoir une dizaine de fois les parents (ce serait déjà très étonnant de la part du Garde des Sceaux) montre que Sarkozy n’a pas le sens des priorités alors que nombre de responsables d’associations ou de syndicats attendent vainement d’être reçus à l’Élysée pour évoquer les graves problèmes qui se posent à notre société.
Á lire également : SDF : l’effrayant bilan de Sarkozy (14 septembre 2011)