La mort de Nahel, un défi pour la République
Le 27 juin 2023, Nahel était abattu par un policier, après son refus d’obtempérer. S’ensuivirent quatre nuits d’émeutes dont le monde entier entendit parler. Dans la France, pays des droits de l’Homme, un jeune homme quittait la vie dans de tristes circonstances. Les circonstances même de l’incident interrogent notre modèle républicain qu’il est urgent de réinventer.
« La police tue », un slogan anti-républicain ?
La cité Pablo Picasso de Nanterre est frontalière du quartier de Paris la Défense. Je travaille dans les tours de La Défense, juste à la limite de Nanterre et il me suffit d’être à une fenêtre ouest de ma tour pour apercevoir à même pas 500 mètres la cité Pablo Picasso et ses célèbres tours nuages. Un monde limitrophe de celui qui régit le quartier de la défense, premier centre d’affaires européen. Un monde pourtant à l’opposé de celui qui existe dans ce quartier des affaires. Un monde, dans lequel tant de talents semblent avoir été avalés par une invisible frontière sociale et géographique. Un monde, dans lequel le trafic de drogue grignote le territoire de la République. Le jeudi 29 juin 2023, j’ai vu cette cité prendre feu et nous avons tous été priés manu militari d’évacuer les lieux et de quitter ces mêmes tours de la Défense, alors que l’après-midi s’étirait.
Le lendemain, des dizaines de carcasse de voitures brûlées gisaient sur leur toit. Des bâtiments publics avaient été incendiés et partiellement ou intégralement détruits. Les vitrines brisées des galeries marchandes portaient les stigmates des émeutiers. Sans l’intervention des forces de l’ordre, qui sait quelle aurait été l’ampleur des dégâts, alors que garantir la sécurité des biens et des personnes est la première des missions régaliennes de l’Etat. Loin des caricatures médiatiques, des milliers de réussites sont présentes dans les quartiers populaires qui ne sont pas l’apanage de caïds en tout genre et en rupture avec notre société. Ces lieux foisonnent de talents dont c’est la mission de la République que de les valoriser. Pourtant, les émeutes ont montré la volonté frontale de leurs participants de contester les « valeurs » de notre République à travers la destruction de ses biens publics, écoles, mairie, commissariat, tout en s’attaquant à ses symboles. Non moins flagrante fut la rage consumériste à piller les enseignes « capitalistes » qui s’inscrit à son tour en rupture avec le modèle républicain d’égalité citoyenne.
Comment réinventer notre modèle républicain ?
L’universalisme républicain n’est pas un principe totalement suranné. Même si manifestement, la rhétorique des « valeurs » de la République a du mal à faire entendre sa voix auprès de certains jeunes des quartiers. Et l’allégeance à la force de ses symboles à s’accomplir. L’universalisme républicain n’a certes pas atteint tous ses objectifs ; cependant, il ne s’agit pas là d’une condition suffisante pour disqualifier un modèle. Quel esprit éclairé aurait intérêt en effet à céder aux sirènes de l’exacerbation d’une identité unique ? Dans son ouvrage, Il n’y a pas de Ajar : monologue contre l’identité (2022), Delphine Horvilleur, femme rabbin développe la thèse, selon laquelle la quête identitaire vire à l’obsession. Comment nier le fait que « tout un chacun a plusieurs identités », ainsi que la morbidité d’une identité qui assignerait à résidence, emmurerait dans son ethnie, dans sa couleur de peau, dans son orientation sexuelle ou encore dans sa religion ?
J’ai foi dans un modèle de société qui nous permette de faire « société commune ». Un modèle de société, dans lequel les citoyens ne soient pas définis, ni par leur race, ni par leur ethnie. Le relativisme culturel portant en lui le germe de l’exclusion, aucune identité qui ne soit pas inclusive ne pourrait être heureuse. L’Autre n’est pas mon ennemi et je ne suis pas l’ennemie de l’Autre. Cette conception magistralement portée par Fédor Dostoïevski dans Les Frères Karamazov, selon laquelle : « Chacun de nous est coupable devant tous, pour tous et pour tout, et moi plus que tous les autres » est d’une cruelle actualité. Lors de sa conférence à la Sorbonne (1882) Qu’est-ce qu’une nation ?, Ernest Renan énonçait que ce qui distinguait les nations, « Ce n’est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà ce qui fait la patrie ».
Son célèbre précepte, « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours » illustre ô combien le fait qu’aucun populisme d’aucune sorte, qu’aucun clientélisme politique d’aucune nature ne pourront participer de la construction d’un projet de société heureux. Une nation fondée sur un idéal républicain réinventé : liberté, égalité, fraternité est ainsi à plébisciter. Repenser la notion d'identité, aujourd'hui prise en étau entre universalisme et essentialisme est une exigence pour un projet de société apaisé et heureux.
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