La passion comme Hobie
Le monsieur qui vient de disparaître, indirectement, vous le connaissez tous. Lorsque vous voyez sur les plages des voiles bariolées, portées par un drôle de catamaran avec des coques bizarres en forme de banane, c'est en effet grâce à lui. Il a laissé son nom à l'engin, appelé sobrement le "Hobie Cat", car il s'appelait de son vrai nom Hobart "Alter" Hobie, ce qui en soi est déjà surprenant. Ce grand fan de surf, de planche à voile a en effet créé un engin mythique, sur lequel j'ai passé de belles heures de "fun", qui demeurent comme les plus belles aventures sportives que j'ai pu connaître, grâce à lui. Retour sur l'inventeur d'un engin devenu incontournable et qui a relancé les loisirs marins, au même titre que le minuscule Vaurien ou le mythique 420... engin apparu avant lui, et qu'il a détrôné d'une certaine manière dans les clubs. Retour sur les années "sea, sex and sun", à une époque où on ne se souciait pas du Sida, et que l'on était capable d'enchaîner régates, fêtes nocturnes et vie complètement débridée... retour donc sur mes étés de "trapéziste de Cat". Insérez un CD des Beach Boys... lancez Surfin USA ou un extrait de Smile spécial Hobie (ou bien un Dick Dale original de 1963 ou son revival surf des années 80 avec Jon and The Nighriders *) et lisez cet hommage à un sacré personnage, qui a rendu la vie des gens bien plus agréable en simplifiant beaucoup de choses. "Good Vibrations" (**) !!!
C'est une révolution réelle qui est née sous les mains expertes d'un surfeur-menuisier plutôt doué pour fabriquer des planches de surf, pas encore équipées de voile... Car à l'époque les engins venus d'Hawaï et qui avaient envahi les côtés californiennes au sortir de la guerre étaient encore en bois, et bien plus grandes et bien plus lourdes, et se manœuvraient difficilement une fois sur la plage avec leur taille de 3,50 m pour les plus grandes (voire bien davantage ?). L'une des pochettes hommage de "Jon and The Nightriders" me fera ainsi découvrir tardivement cette archéologie du surf, sur un cliché où des jeunes filles posaient devant une rangée de planches grandes comme des totems, prise sur la plage de Waikiki.
Les jeunes surfeurs californiens ont beau exhiber leurs biceps devant leurs copines, l'idée est de fabriquer des planches plus légères, notamment avec un mix de bois divers plus légers dont le balsa, trés employé en aviation et en modélisme (l'âme des planches de surf étant très proche de la technique de construction aéronautique comme le montre la photo de droite). Alter fabrique alors sa "Hobie Alter Expert Model" une planche de surf een " bois de balsa " de grand taille avec 10 pieds 6 pouces, des longerons (rouges) de séquoia et un revêtement de polyester, brillant, un objet sans frivolités mais dont l'efficacité a déjà fait la réputation. En 1958, ce fils de fermiers récoltant d'oranges, spécialité californienne, change donc radicalement de matériau, bien aidé par Gordon " Grubby " Clark, (avec sa société "Clark Foam") qui l'aide développer des planches de mousse de polyuréthane recouvertes ensuite de résine.
Il remplace alors le balsa sur ses planches par la matière plastique, estampillées sobrement "Hobie". En fait, à deux, ils n'étaient pas les premiers à faire des planches de surf à partir de polyuréthane : ils avaient été précédés par Dave Sweet, de Santa Monica qui y travaillait depuis déjà 1954 mais sans avoir réussi à commercialiser son produit totalement révolutionnaire. Historiquement, c'est lui l'inventeur du procédé. Hobie créera tout simplement des moules pour reproduire à l'infini des modèles au lieu de s'échiner de manière répétitive comme il pouvait le faire sur ses planches de bois. Hobie est un prosaïque-né, et non un ingénieur de formation, mais il est très à l'écoute de sa clientéle qui se plaint avant tout du poids des planches et non de leurs performances. Ses productions auxquelles il à apporté un soin exemplaire, sa marque de fabrique, se vendront comme des petits pains. Au milieu des années 60, Hobie livre ainsi 6 500 planches par an... Et hérite aussitôt du surnom ,"d'Henry Ford de la planche de surf" décerné par l'éditorialiste d'un journal malicieux (Steve Pezman, éditeur du Surfer’s Journal). Ce qui ne l'empêche pas de continuer à prendre plaisir à surfer. Son élément c'est l'eau et il ne peut s'en passer. Car Alter est aussi devenu auparavant l'un des meilleurs surfeurs en tandem, sport extrêmement difficile, avec sa partenaire Laurie Hoover (ici les deux en photo), il a en effet remporté les championnats de surf de la côte Ouest 1961, ainsi que le Championnat du tandem côte du Pacifique en 1962 et 1963. De faire autorité en la matière lui facilite bien sûr l'ouverture d'un marché de ventes assuré, mais ce n'est pas l'argent qui le motive vraiment. Il répond à une demande de plus en plus forte, et se retrouve un peu industriel malgré lui. La notion de Flower Power n'est pas une vue de l'esprit : il en vit, désormais, de ces ventes mais il ne désire pas devenir millionnaire pour autant. Malgré le fait que sa boutique de Dana Point (au sud de Los Angeles, en fait Capistrano Beach) ne désemplit pas. Tous les jours, il continue à faire un tour dans l'eau. Dans une discussion avec des amis, il avait dit un jour "qu'il voulait gagner sa vie sans avoir à porter des chaussures à semelles dures ou travailler à l'est de l'autoroute de la côte Pacifique de Californie. Avec son slogan de "faire de la vie des gens un jeu, en leur donnant un jouet pour jouer avec", il a pu réaliser ce rêve. Et dans le processus, il a introduit un mode de vie actif en plein air et une collection de produits qui ont offert au monde un peu plus de plaisir " note en hommage Surfing Heritage. Des jouets, il en a concçu d'autres, dont un.... planeur télécommandé et un monocoque ou même un catamaran à moteur pour 8 personnes !!!
Mais ça ne lui suffit visiblement pas. Il a remarqué que beaucoup de gamins sont un peu frustrés au bord de l'eau. Et sur les parkings avoisinants, ils en a vu jouer sur les tous premeirs skateboard. En 1964, Alter s'associe avec la société de jus de fruits Vita-Pakt pour créer Hobie Skateboards et leur première planche à roulettes la " Hobie super Surfer ". L'unité des familles est préservée ! Le même soin que pour les planches de surf de bois est apporté aux skates, qui sont fournis dans une boîte à l'aspect fort... sérieux ! En 1965, le skate est devenu le roi de Californie et Life en fait sa couverture le 14 mai. Mais comme notre Hobie désire toujours s'amuser sur l'eau en priorité, il va même essayer de motoriser sa planche de surf... sans succès, alors que sur le skateboard, ça marchera un peu mieux, en définitive ! Popular Mechanics en fera même un article en juillet 1965. Il essaiera bien la planche tirée par un bateau, inventant donc avant tout le monde le Wakeboard... mais il a déjà un autre objectif : faire un bateau cette fois, ayant remarqué là encore qu'il était toujours en bois, et bien trop lourd pour être facilement améné à la mer. Très vite lui vient l'idée d'un catamaran de petite taille, un genre d'esquif plus facile à apprendre (il gîte moins au départ et n'a pas de quille) et surtout plus facile à amener à l'eau (on peut le gréer avant). Inspiré du "Va’a motu" : l’ancêtre polynésien du catamaran. En 1967, Alter a donc commencé à commercialiser le Hobie Cat un catamaran de sport (le premier du genre) de 14 pieds facile à utiliser et conçu pour se lancer à partir de la plage et passer par-dessus les vagues. L'engin rend la navigation facile et donne des sensations inoubliables : dénué de pont (c'est un simple fliet tendu en trampoline sur ce qui joint les deux coques), on en sort trempé obligatoirement mais avec de formidables sensations de vitesse, une vraie Formule 1 des mers.
Une Formule 1 construite en polyéthylène, fibre de verre et gelcoat, selon un procédé fort particulier inventé pendant la guerre, le "rotomolding" (ici le process pour un kayak modèle Switchsports expliqué) : "le romoulage (ou "moulage BrE") implique un moule creux chauffé qui est rempli d'une charge ou de matériaux. Il est ensuite lentement mis en rotation (généralement autour de deux axes perpendiculaires) forçant la matière ramollie à se disperser et à coller aux parois du moule. Afin de maintenir la même épaisseur sur toute la pièce, le moule continue de tourner tout le temps pendant la phase de chauffage, pour éviter tout affaissement ou déformation également pendant la phase de refroidissement. Le procédé a été appliqué à des matières plastiques dans les années 1940, mais dans les premières années il a été peu utilisé, car ç'était un processus lent, restreint à un petit nombre de matières plastiques. Au cours des deux dernières décennies, des améliorations dans le contrôle des processus et de l'évolution avec des poudres de plastique ont conduit à une augmentation significative de l'utilisation. Le Rotocasting (également connu sous le nom rotacasting), par comparaison , utilise des résines à auto - durcissement dans un moule non chauffé, mais avec des vitesses de rotation lentes part en comparaison avec le moulage par rotation." Ici un reportage sur la fabrication du Hobie.
Avec une seule photo, celle "du chat qui vole », une photo du magazine Life publiée en 1968 les ventes s'envolent, et la production grimpe en flèche. Depuis il en a été vendu plus de 110 000 exemplaires du modèle suivant (le Hobie 16) dans le monde entier. L'engin est une merveille d'ingéniosité : ses deux coques sont asymétriques (planes à l'extérieur et bombées à l'intérieur, lui évitant de dériver) et ne posséde pas de dérives - sur les premiers modèles - : son plastique robuste permettant des échouages express que tout le monde va adorer faire très vite. Sa voile est lattée (c'est "une jonque pour faire du Nascar" m'avait dit un jour un pote !). De construction en sandwich, avec safrans relevables et un trampoline tendu sur un cadre en aluminium anodisé, il est fait pour s'amuser. L'engin est un peu court et "plonge" du nez un peu trop facilement, enfourne facilement, mais c'est un régal... au trapèze dès qu'un filet de brise spointe ! En prime, il bondit... comme un chat !
C'est surtout une publicité réalisée à cette époque et que tous vos amis marins vous diffiusaient sur VHS qui emportera l'adhésion (à gauche, Hobie, le jeune surfeur, à 19 ans) : on y voyait deux jeunes traverser littéralement un lagon, sans jamais mettre le pied à terre, en surfant... sur le sable sur ses deux robustes coques. Je vous l'ai retrouvée, et c'est vrai qu'elle reste impressionnante (attention c'est à 19'09" la séquence célébrissime). On y voit même au début un individu faire du ski-nautique derrière l'un d'entre eux ! Allez donc mettre à l'eau vos Hobie Cat à la Torche, pour voir, et là ça devient... grandiose (avec des Hobie Tiger de 18 pieds) ! Du pur "fun" ! Il n'y a que là-dessus qu'on peut autant... s'amuser ! Car ça fonce, ce bidule, et Dieu sait si je me suis marré, avec mon pote Jean-Louis... qui savait très bien que je n'ai jamais su nager de ma vie ; et qui ne ratait pas une occasion de m'envoyer à la baille ! En France en effet il faudra attendre un peu pour jouer avec : "à partir de 1971, les Hobie Cat sont importés en Europe par Coast Catamaran France, basée à Pierrefeu du Var (83), alors filiale du Groupe américain Coleman Inc. qui possède également Hobie Cat Company en Californie. C’est en 1975 que commence la fabrication en France, sous licence américaine des principaux modèles Hobie Cat 14, Hobie Cat 16, et plus tard Hobie Cat 17 et Hobie Cat 18. Une nouvelle usine, construite près de Toulon et à la pointe de la technologie, voit le jour en 1987". En 1986 ; la firme Wolkswagen honorera à sa façon le Hobie Cat en déclarant son Vanagon GL "véhicule officiel d'Hobie Cat et de l'Association Mondiale de la classe Hobie". La classe ! La génération hippie passait au baba-coolisme avec un peu plus de confort, visiblement. Signe des temps, ce n'était déjà plus une planche de surf mais une planche à voile comme signe de ralliement !
http://www.youtube.com/watch?v=u_rfKUE675Y#t=1213
l'histoire en vidéo :
http://www.youtube.com/watch?v=O3-5WCbFsMs
http://www.youtube.com/watch?v=591fkce0bpQ
(*) avec le bassiste de Motley Crue, Nicky Sixx, a ses tous débuts.
(**) avec Brian Wilson, qu'on réécoute en 2011 chez Jools Holland : vieilli, certes, et diminué, mais toujours magique ! Ici, seul au piano, alors qu'il pouvait encore monter dans les aigus.
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